Baromètres sociaux d’entreprises, dernière édition

[Options 648 – juin 2019 – Pages 7-11] Que l’on travaille à Engie, Enedis ou EDF, la crise de confiance entre directions et salarié.e.s s’amplifie. D’une année sur l’autre, la tendance au désengagement perdure.

(Voir tous les graphes dans l’article en téléchargement)

Des salariés discrètement passifs

Confiance disparue et organisations jugées inefficaces. Les éditions 2018 des baromètres sociaux d’entreprises sont placées sous le signe du découragement et du désengagement.

C’est un divorce à bas bruit mais désormais consommé entre salarié.e.s et directions. Les collègues se sont fortement désinvestis ces dernières années de la valeur travail ; la prise de risque dans le cadre d’un projet, l’investissement au sein d’une équipe, la motivation pour de nouvelles responsabilités techniques et/ou managériales sont de moins en moins sources d’intérêt pour une part non négligeable et grandissante d’entre eux et cela se ressent aussi au travers de la participation dans les dernières élections à EDF par exemple.
Cet engourdissement du corps social de l’entreprise et son défaut de vitalité est désormais un état persistant, signe que « quelque chose » ne va pas. Mais quoi  ? Publiquement, aucune analyse des causes profondes n’est avancée par les directions qui ont bien du mal à trouver un quelconque point d’appui dans les résultats. Une exception, peut-être, à EDF sur le nucléaire, où on constate un regain d’optimisme : 52 % de salarié.e.s sont optimistes sur l’avenir du nucléaire contre 46 % en 2017. Une remontée que la direction met sur le compte du succès de l’opération « Parlons Energie ».

Cependant, les réorganisations qui se succèdent, l’incompréhension face aux changements en cours, le développement de l’isolement au travail, l’avenir incertain de nombreuses unités voire des entreprises elles-mêmes… en bref, le modèle individualiste vendu par les directions depuis une vingtaine d’années et intériorisé par les salarié.e.s porte des fruits amers.

Au siège d’Engie, des salarié.e.s modérément convaincus

A l’échelle du groupe Engie et particulièrement chez les salarié.e.s du siège, Newcorp dans le langage anglicisé du groupe, l’ambiance est morose. Le seul motif de satisfaction de la direction réside dans l’augmentation de la participation de ces salarié.e.s à l’exercice : 65 % en 2018 contre 49 % en 2017. Ceux qui sont restés – un plan social en 2017 a provoqué la suppression de 400 postes – ont répondu, mais pour exprimer une nouvelle fois leur défiance à l’encontre de la politique d’Isabelle Kocher, Directrice Générale du Groupe. Sur chaque item, le score réalisé est largement inférieur aux résultats du groupe et aux résultats moyens obtenus dans des entreprises du secteur de l’énergie (voir tableaux 1a et 1b) [1].
Entre un tiers et la moitié de ces salarié.e.s manifestent leur manque de confiance alors même qu’ils.elles participent à l’élaboration de la politique et de la stratégie du groupe. On aurait donc pu penser qu’ils.elles adhéreraient majoritairement, mais, peut-être sont-ils.elles justement spectateurs.trices des revirements, approximations, flous et contradictions de la stratégie…

Des salariées encore moins convaincues

A Engie, un taux de confiance des femmes de 1 à 3 % plus bas que les hommes

Les salariées du siège expriment pour leur part une défiance encore plus marquée que leurs collègues masculins. Les femmes sont systématiquement entre un point et trois points en deçà du taux de confiance exprimé par les hommes (voir tableau 2).
Que signifie cette différence notable d’appréciation ? Parce qu’elles sont moins bien considérées en général en termes de rémunération, de carrière (item mobilité), de contenu de poste, les femmes portent-elles un jugement plus dur sur leur entreprise ? Il y aurait une certaine logique à penser qu’elles sanctionnent une direction plus attentive à leur situation dans le discours que dans les faits et pour tout dire peu entreprenante en matière d’égalité professionnelle.

EDF : l’atonie du corps social

Côté EDF, la participation fléchit de 4 % passant de 77 % en 2017 à 73 % en 2018. Et, comme pour Engie, les salarié.e.s doutent terriblement de leur entreprise, que l’on parle d’avenir collectif (Tableaux 3 et 4) et/ou d’avenir individuel (Tableau 5a et 5b) [1].

Désespérément à la recherche de points d’appui, la direction des Ressources Humaines du groupe EDF préfère évoquer une confiance « stable » ou qui « se stabilise », alors que depuis 2016 le degré de confiance accordé par les salarié.e.s a chuté de vingt points. Et des salarié.e.s qui n’ont plus confiance, ce sont aussi des salarié.e.s qui peinent à imaginer leur avenir au sein de l’entreprise. A la question « Etes-vous satisfait des possibilités d’évolution professionnelle », 50 % des participants répondent par la négative. Ce mécontentement se répercute quasi automatiquement sur l’idée que l’on se fait d’un bon employeur que l’on recommanderait à ses proches. Seulement 20 % des participants à l’édition 2015 déclaraient qu’ils ne recommanderaient pas EDF ; ils sont 32 % dans l’édition 2018 et cela percute également la relation des salarié.e.s à leur entreprise : 58 % des participants déclarent leur sentiment d’appartenance au groupe ; ils étaient 60 % en 2017, 63 % en 2016, 69 % en 2015.

Au chapitre travail, rien ne va plus !

Le degré de satisfaction concernant le contenu du travail et l’ambiance dans l’équipe diminue année après année. 65 % des répondants sont satisfaits du contenu de leur travail en 2018 contre 67 % en 2017 et 72 % en 2015. 67 % des répondants sont satisfaits de l’ambiance dans laquelle ils travaillent en 2018, contre 70 % en 2017 et 73 % en 2015. L’impact des outils numériques sur l’efficacité du travail est jugé négativement : connexions à distance, applications informatiques maison, outils dits collaboratifs déçoivent la majorité des salarié.e.s (Tableau 6).

L’engagement des salariés d’Enedis marque également le pas

Si l’adhésion à la stratégie de l’entreprise et aux orientations du distributeur reste encore légèrement majoritaire (Tableau 7), la confiance des salarié.e.s dans les décisions prises par la direction d’Enedis devient franchement minoritaire (Tableau 8).
L’image que le monde du travail se renvoie à lui-même est celle d’un monde découragé, qui se libère de l’engagement moral le liant à son employeur.

Et demain ?

A EDF, ce n’est pas le projet Hercule, de scission de l’entreprise en deux entités, qui devrait aider à un retournement de situation pour les salarié.e.s… Quant à Engie, le découragement traduit à la fois l’usure face au nombre de revirements stratégiques (pas moins de quatre en dix ans), et le grand écart entre besoins de compétences liées aux objectifs de développement d’une part et réalité des moyens humains après les plans d’austérité successifs d’autre part.

Un monde du travail découragé qui se libère de l’engagement moral le liant à son employeur

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