L’écran de fumée des chiffres
“Difficile d’y voir clair sur les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes dans nos entreprises, si l’on s’en tient aux données des employeurs” .
Les femmes auraient une rémunération moyenne supérieure à celle des hommes… de 3% ! Selon le premier chiffre du document annuel de la branche des IEG sur la situation comparée des femmes et des hommes 2015. Un peu plus loin, cet écart devient 7%… mais en faveur des hommes. Deux autres chiffres enfin donnent 15 % et même 20% d’écart en faveur des hommes ! Bien entendu c’est 3% que la direction met en avant !
La communication très positive des employeurs sur ce +3%, alors que quatre valeurs extrêmement différentes caractérisent cet écart de rémunération, montre bien l’enjeu qu’il y a à mieux comprendre les calculs de ces écarts.
En France, la Dares établit à 26% l’écart des salaires moyens annuels entre les femmes et les hommes, toute forme de rémunération incluse, tout temps de travail confondu (Dares, Ministère du Travail 2015). L’Insee établit à 19% l’écart entre les salaires horaires moyens toute forme de rémunération incluse. Mais quel est donc le bon chiffre ? En retenant 19%, c’est la différence due aux temps de travail qui est effacée ; or les femmes sont plus souvent à temps partiel que les hommes.
Que deviendrait cet écart sur le salaire horaire, si l’on tenait compte du temps de travail domestique ?
Sur quelle population fait-on cette mesure ?
Dans nos entreprises, il existe une seconde source de variation très forte sur l’écart femme / homme.
Le calcul peut inclure une partie seulement des rémunérations. Dans les IEG, seule la rémunération
« principale » est prise en compte. Au CEA c’est la « permanente ». Pourtant quand on parle rémunération, il faudrait inclure les primes et toutes les autres formes possibles de rémunération : avantages en nature, avantages familiaux, indemnités diverses, vêtements… alors qu’elles sont très inégalement réparties selon le sexe : astreinte, primes de déplacement, de disponibilité, aides à la mobilité… Les ignorer c’est masquer une partie des écarts.
Souvent les cadres dirigeants et cadres supérieurs sont exclus du calcul du salaire moyen… Encore une façon de sous-évaluer l’écart, car cette catégorie à salaires très élevés est encore plus masculine que dans les autres collèges et en plus, l’écart entre rémunérations des femmes et des hommes y est encore plus fort. Ce biais est très courant dans nos entreprises et n’est jamais clairement affiché, alors que dans les données nationales (Insee, Dares), ou internationales (OIT, Eurostat), toutes les populations sont prises en compte.
Quelle référence pour calculer un écart ?
En général la référence est le salaire moyen des hommes. Pourquoi ne pas calculer l’écart en prenant comme référence celui des femmes ? Le 26% affiché par l’Insee, est l’écart calculé par rapport au salaire moyen des hommes. Il signifie qu’il faut enlever 26% du salaire des hommes pour avoir celui des femmes. En clair quand ils touchent 100 € en moyenne, elles ne reçoivent que 74 €.
Par contre si on rapporte l’écart de salaire moyen (26 €) au salaire des femmes (74 €), l’écart devient 26/74 soit 35% : le salaire moyen des hommes est supérieur à celui des femmes de 35%. L’écart est plus fort, même si c’est exactement la même différence !
Ce 35% est l’augmentation du salaire moyen des femmes qui permettrait d’arriver au niveau de celui des hommes et à une forme d’égalité. C’est bien entendu cet écart qui est le chiffre préféré par la CGT, c’est à dire l’écart par rapport au salaire le plus bas, et non l’autre calcul, qui reviendrait à dire de combien diminuer le salaire des hommes pour rejoindre celui des femmes !
Pourquoi cette tromperie sur les chiffres ?
En 2012, EDF n’hésitait pas à communiquer dans les médias :
« L’égalité salariale, tout le monde en parle, à EDF on l’a atteinte : 0,8% d’écart ». La Branche des IEG affirme sans vergogne que l’écart de rémunération serait de 3% en faveur des femmes en 2015 ! Pour obtenir ces « bons » chiffres, les directions utilisent un mode de calcul « maison », mesurant les écarts à l’intérieur de chaque groupe fonctionnel (même niveau de qualification). Les femmes bénéficiant de moins de promotions (elles changent moins vite de groupe fonctionnel), mais progressant tout de même en rémunération (ancienneté…), ce mode de calcul aboutit à un écart en faveur des femmes !
L’objectif est d’afficher une image de modernité vis-à-vis des salarié-e-s, des recrues potentielles et du grand public, et d’attirer les louanges des Ministères et autres Comités de labellisation… tout en instaurant un consensus sur la question, et en évitant de répondre aux contraintes d’informations légales. Un état des lieux conforme aux lois permettrait d’ouvrir une brèche pour aboutir à de vraies mesures correctrices. A force de persévérance, la CGT a permis d’avancer sur cette question du calcul de l’écart dans la Branche des IEG : il n’y aura désormais plus ce calcul d’un écart global résultant des écarts groupe par groupe.
Des calculs qui suppriment l’effet négatif de certains facteurs : âge, domaine d’activité…
Afficher en France 26% d’écart entre les salaires des femmes et des hommes, cela fait un peu désordre… Alors, la tendance des statistiques nationales et des entreprises est d’élaborer des outils de mesure qui aboutissent, par construction, à des écarts moindres. Une façon de réduire cet écart est de supprimer l’effet de certains facteurs d’écart : l’âge, le secteur d’activité, le métier ou le temps de travail… Ainsi, des écarts moins mauvais sont annoncés… sous couvert de mieux comprendre l’effet de chacun des facteurs. Par exemple, l’Insee affirme qu’en 2013, à secteur d’activité, âge, poste et conditions d’emploi équivalents, les hommes gagnent 10 % de plus que les femmes. L’Insee réduit ainsi à 10% l’écart des femmes par rapport au salaire des hommes alors que nous avons vu que cet écart était de 35% !
De tels découpages pour décomposer l’effet des facteurs d’écart de rémunération, ne doivent servir qu’à comprendre sur quels facteurs les entreprises ou l’Etat, doivent jouer pour les réduire. Ils ne doivent en aucun cas servir à communiquer sur l’écart restant quand on efface l’effet de ces facteurs, car ce serait alors les accepter à vie !
Pour avoir une échelle commune, toutes les entreprises devraient publier des chiffres avec le même mode de calcul qui donne un écart de 35% pour la France. Bien entendu les directions s’y opposent.
Après avoir recoupé différentes données sociales 2015 pour approcher ce calcul, les écarts deviennent alors : 7% pour Enedis, 15 % pour EDF et le CEA, 24% pour ENGIE… De fortes différences entre entreprises encore inexplicables : l’écran de fumée des chiffres ! Mais ce qui est sûr, c’est que cela est significativement supérieur à zéro et que c’est inacceptable !