Géosciences : une affaire de spécialistes

Depuis la réorganisation de l’Exploration-Production, l’approche RH des métiers Géosciences est en pleine refonte. La gestion des compétences est au coeur du sujet, et les démarches d’inventaire menées ici et là montrent que la direction de l’EP a –enfin– pris la mesure de l’urgence du chantier.

Il était temps : les départs massifs des spécialistes à la retraite mettent déjà à mal la pérennité du savoirfaire interne et le bricolage est devenu monnaie courante en ce qui concerne les postes à pourvoir…

 

Carrières verticales vs. carrières horizontales

Une première étape de revalorisation du parcours de spécialité a consisté il y a quelques années à mieux définir les notions d’expert, de référent et de spécialiste, en revisitant la méthode Hay et ses niveaux de poste (NP). La CGT avait depuis longtemps argumenté en ce sens. Visant surtout à catégoriser les carrières « verticales », c’est-à dire avec évolution hiérarchique, pour des comparaisons entre entreprises, la méthode Hay était particulièrement inadaptée aux carrières « horizontales », sans management d’équipe mais tournées vers l’expertise.

La notion s’est récemment étendue aux généralistes : les zones géographiques de l’Explo se sont vues récemment adjoindre des référents de filière, des « prospect generators ». Même si cet anglicisme peut paraître mal fagoté, l’initiative est louable. Elle pose la notion d’expertise pour la filière de généraliste qui est ainsi gréée avec ses propres référents, à l’instar des filières de spécialité. Et elle offre une perspective d’évolution autre que managériale aux ingénieurs les plus anciens.

On peut tout à fait imaginer que des « référents généralistes » puissent être mis en place dans d’autres secteurs d’activité, pour asseoir une homogénéité technique et méthodologique.

 

Mobilité vs. pérennité

Mais ce premier pas en appelle un autre : l’agrégation, la pérennisation et la transmission du savoir-faire au sein d’une spécialité ne peut s’organiser sans une forme de résilience des postes. Le turn-over d’usage chez les ingénieurs, tous les 3 à 5 ans, complique la gestion du savoir faire sur le long terme, d’autant plus que tout un chacun n’acquièrt la pleine autonomie sur son poste qu’après un minimum de 2 ans de pratique.

Cela ne laisse que peu de temps pour profiter du plein rendement du géoscientiste avant qu’il ne soit happé par le mouvement tournant. En matière d’efficacité, on fait mieux…

Et ça n’en fait pas pour autant un spécialiste ! Dans le domaine médical, un médecin généraliste pourra-il se muer en un chirurgien aux doigts experts en l’espace de deux ans ? A l’inverse, le chirurgien de haut vol pourra-t-il embrasser une carrière de généraliste pendant 15 ans et revenir à sa spécialité comme si de rien n’était ? Les techniques, les outils, la théorie évoluent. Rester à la page, faire évoluer soi-même sa spécialité nécessite un investissement sans rupture. Et cela n’en fait pas forcément des rats de laboratoire sourds aux contraintes opérationnelles : celles-ci savent se rappeler au souvenir de toute la chaîne de service ! Et la réciproque doit redevenir vraie : combien d’études EP ont-elles été mal ficelées faute d’une mauvaise appréhension des aspects mono-disciplinaires ?

Il faut donc en finir avec le dogme de la mobilité comme un parcours d’apprentissage pour tout géoscientiste qui se respecte. Cela ne vaut que pour ceux qui doivent acquérir une culture générale : les généralistes en somme ! Les spécialistes doivent vivre et faire vivre leur discipline.

 

Généralistes vs. spécialistes

Pour reprendre la parabole médicale, un spécialiste se substitue-t-il aisément à un autre ? Va-t-on consulter un anesthésiste ou un gynécologue parce qu’on a un problème aux voies auditives ? En matière de géosciences, la distinction opère également : sédimentologue, paléontologue, géologue structural, géophysicien d’acquisition ou d’imagerie sismique, chacun d’entre eux ayant son domaine de compétence bien distinct et non facilement interchangeable.

Chaque spécialité est une discipline en propre, avec ses spécificités, son cursus de formation et sa filière de recrutement. La politique d’embauche doit donc évoluer et non plus se tourner vers les seuls profils généralistes issus des grandes écoles. Les cursus universitaires et de techniciens supérieurs pour les jeunes diplômés, ainsi que les compagnies du secteur parapétrolier pour les profils plus expérimentés, sont autant de viviers. Et il faudrait laisser de côté les réticences selon lesquelles on ne saurait faire évoluer un profil mono-disciplinaire. Citons par exemple les difficultés à recruter un numéricien, compétence très recherchée, car il faudrait qu’il soit en outre versé dans la mécanique des fluides, qu’il parle sept langues et soit spécialiste du droit international ! (on exagère à peine). A rechercher les couteaux suisses, on se prive des meilleures lames…

 

Ingénieurs vs. techniciens

Dans les faits, la fonction de « pilier » des services de spécialité est assurée actuellement par des « vieux de la vieille », techniciens ou ingénieurs rattrapés aujourd’hui par l’âge de départ à la retraite.

Il y a une vraie complémentarité des niveaux d’étude dans ces filières, un agrégat de compétences qui englobe technicien et expert, en passant par l’ingénieur de spécialité. Mais là encore, le dogme sévit. Celui qui veut que tout technicien embauché doive obligatoirement évoluer vers une cadration, ce qui a conduit à soustraiter peu à peu nombre de tâches laborantines. Pour quel effet sur le savoir-faire interne ? Gestion métier et gestion RH devraient parler le même langage pour éviter les ruptures générationnelles telles que celle vécue en ce moment. Il faudrait que les filières soient sécurisées ; une sorte de numérus clausus alimenté par des études emploi.

Depuis quand cet exercice, autrefois régulier, n’a plus été effectué ? Le groupe fait bien des plans stratégiques à 5, 10 ou 20 ans. Pourquoi l’emploi stratégique devraitil constamment être en proie au court terme des soubresauts du marché ?

 

Explo vs. DSO

La réorganisation de DSO est encore balbutiante, témoin le regroupement il y a 6 mois de deux “lignes de produit” insuffisamment contourées. Les difficultés de plan de charge sont telles qu’on est obligés de faire appel à des dizaines de sous-traitants pour gréer les différentes équipes projets. Comme l’Explo, DSO héberge son lot de spécialités, mais encore aucune ligne de conduite pour les organiser formellement en tant que filières.

À GIS (Gisement), dans les départements FGO (Fluides et Géochimie Organique) ou PERM (Pétrophysique et Mécanismes EOR) par exemple, toute la chaîne de spécialité est définie, du technicien de laboratoire à l’expert. Un département TGK (Thématiques Gisement & Savoir Faire) a été créé, mais qui peine à fonctionner du fait du turn-over et du manque de budget. Les filières sont donc bien identifiées dans l’organigramme, mais sont-elles réellement gérées en tant que telles pour ce qui est des moyens, du recrutement spécifique et de la gestion de carrière ? Concernant les métiers, le collège Géosciences 2G regroupe les géoscientistes de l’Explo, le collège Réservoir ceux de DSO.Mais qui gère géologues et géophysiciens de DSO ? Soulever ces questions revient à pointer le manque de lisibilité quant aux parcours professionnels. Le maintien et le développement de l’excellence technique de l’EP passe par une gestion des compétences et des postes sans rupture générationnelle dans les différentes filières. Le défi est de taille : assurer le devenir de la vitrine technique et technologique made in Total, un atout stratégique face aux autres acteurs pétroliers.

Pour la CGT, investissement stratégique, financier et investissement humain vont toujours de pair !

 

18.049-Tract ingénieurs et cadres