La brutalité de la réorganisation de l’acheminement illustre la méthode : 13 sites sur 18 sont condamnés à fermer. Seuls 5 sites subsisteront : Nantes (44), Isneauville (76), Épinal (88), Clermont-Ferrand (63) et Rodez (12). Tous les autres seront rayés de la carte et leurs salariés devront être redéployés ou quitter l’entreprise.
Les effectifs cibles pour les sites maintenus, entre 30 et 65 agents, sont de plus sous-dimensionnés face aux besoins. Les agents qui ont déjà connu des plans de restructuration et fermetures de sites en connaissent parfaitement les conséquences… Car comment maintenir la
qualité de service, avec des équipes réduites et éloignées du terrain ? La connaissance fine des territoires, pourtant cruciale pour le développement du biométhane et la sécurité des installations risquent d’être sacrifiés sur l’autel de la rationalisation.
“Un torpillage en règle des effectifs” qui pourrait atteindre 15 % des emplois actuels
La CGT dénonce “un torpillage en règle des effectifs” qui pourrait atteindre 15 % des emplois actuels. Une hémorragie qui touchera tous les métiers, fragilisant la capacité de GRDF à assurer ses missions de service public.
Une hémorragie de compétences
Le plan emploi révèle une problématique majeure : aucune garantie de parcours professionnel n’est donnée aux 30 % de salariés qui devront quitter l’entreprise ! Les chiffres sont éloquents : – 28,4 % pour l’acheminement, – 8,8 % pour le développement, – 8,7 % pour l’ingénierie. Seuls l’Informatique Telecom (+ 26 %) et les nouveaux gaz (+ 39,6 %) échappent à cette cure d’austérité, et la situation est particulièrement critique pour les métiers techniques.
Les chargés d’affaires, déjà en tension avec un turnover de 15 à 20 %, voient leurs effectifs diminuer, alors même que les projets biométhane nécessitent une expertise renforcée. La Direction des Systèmes d’Information fait figure d’exception avec + 26 % de hausse, mais peine à recruter face aux tensions du marché, et GRDF a du mal à retenir les salariés qui veulent partir vers Enedis.
Seuls l’Informatique Telecom et les nouveaux gaz échappent à cette cure d’austérité
Et la politique salariale aggrave la situation. Le refus d’un second NR fin 2022, et une politique de promotion qualifiée « d’anémique » par la CGT, découragent les « talents ». Cela engendre plus de départs qu’auparavant, notamment via des démissions. La direction y voit une “opportunité de renouvellement des profils et des compétences”, mais c’est bien une fuite des cerveaux qui s’opère.
Cette perte massive de compétences intervient au pire moment
Et cette perte massive de compétences intervient au pire moment, car la transition vers le gaz vert exige au contraire de renforcer l’expertise technique. La transmission des savoirs, déjà complexe avec le départ en retraite de nombreux experts, devient impossible dans ce contexte. C’est tout l’avenir de GRDF qui est en jeu.
LES TECHNICIENS ET LES CADRES NE SONT PAS EPARGNÉS
La transformation numérique et l’évolution vers les gaz verts exigent de nouvelles compétences : data scientists (scientifiques des données), experts en IoT (Internet des Objets), spécialistes de l’exploitation dynamique des réseaux… Mais l’entreprise peine à attirer tous ces profils dans ce contexte et les métiers traditionnels sont en pleine mutation, avec une transition difficile à gérer entre expertise gazière historique
et nouvelles technologies. Ainsi, les conditions de travail se dégradent. Les techniciens d’intervention voient leurs contraintes d’astreinte exploser, avec des cas extrêmes de 22 astreintes annuelles contre 13 prévues dans les accords. Avec un effet pervers : les agents préfèrent conserver leurs primes d’astreinte plutôt que d’évoluer vers la maîtrise. Une technicienne, coincée dans une trappe à bas salaire avec 10 ans d’ancienneté, gagne ainsi 25 % de moins qu’un technicien gaz du même âge.
Pour les cadres, les réorganisations successives créent une instabilité permanente, tandis que la charge de travail s’accroît avec la réduction des effectifs. Les managers de proximité se retrouvent en première ligne pour gérer des équipes démotivées, avec une pression sur les résultats et la complexité croissante des projets biométhane.
La nécessaire mobilité interne pour accompagner ces transformations est freinée par la perte de rémunération qu’elle implique souvent. Le projet “Je Bouge”, censé fluidifier les parcours professionnels, se heurte à la réalité des écarts de rémunérations entre métiers. L’expertise technique, dévalorisée au profit de fonctions support, aboutit à un déséquilibre dangereux pour l’avenir.
Les enjeux de sécurité industrielle et environnementaux sont mis à mal
L’arrivée du biométhane, les nouvelles configurations de réseau, le pilotage des pressions, la multiplication des points d’injection complexifient l’exploitation. La perte de compétences techniques et la réduction de la présence territoriale constituent donc un cocktail explosif pour la sûreté des installations. Et il faut aussi anticiper l’impact des évolutions réglementaires françaises et européennes à venir, notamment celles concernant les mécanismes de taxation carbone tels que l’ETS2 (Emissions Trading System) : le système d’échange de quotas d’émission de CO2. GRDF devra adapter son organisation et optimiser le fonctionnement de ses infrastructures. Les mesures actuelles, comme la réduction de la pression du réseau pour limiter les fuites, ou la modification des processus de travail, ne seront pas suffisantes. L’entreprise devrait plutôt privilégier une approche proactive, en investissant dans des solutions conduisant à une meilleure maîtrise des émissions de gaz, plutôt que de se concentrer uniquement sur la réduction des volumes. La centralisation forcée des activités met à mal le modèle de service public de proximité qui a fait le succès de GRDF. En concentrant l’acheminement sur cinq sites nationaux, l’entreprise s’éloigne des territoires qu’elle dessert. Les collectivités locales, autorités concédantes, s’inquiètent déjà de cette perte de contact direct avec leurs interlocuteurs habituels.
Avec 5 sites nationaux, où est le modèle de service public de proximité qui a fait le succès de GRDF ?
Le développement du biométhane illustre parfaitement ce paradoxe. Les projets d’injection nécessitent un accompagnement de proximité des porteurs de projet, une connaissance fine du territoire et de ses acteurs. Comment maintenir cette qualité de service avec des équipes centralisées et réduites ? Les règles actuelles du ratio Bénéfice/Investissement (B/I) freinent déjà le développement du réseau, comme le rapporte un agent GRDF qui s’est vu refuser une extension, malgré la conversion de plusieurs usagers au gaz.
Le ratio bénéfice/investissement (B/I) freine le développement du réseau
Et ce n’est pas la digitalisation des services, même si elle apporte certaines améliorations, qui remplacera la présence humaine. Car les usagers, notamment les plus fragiles, ont besoin d’interlocuteurs accessibles et compétents. Le risque est donc grand de voir se dégrader la qualité du service public, alors même que GRDF doit démontrer sa capacité à accompagner la transition énergétique des territoires.
LA CGT FAIT DES PROPOSITIONS ALTERNATIVES
Face à ce qu’elle qualifie de “stratégie de la terre brûlée”, la CGT porte une vision alternative pour l’avenir de GRDF. Elle propose, notamment, de modifier les règles du ratio Bénéfice/ Investissement (B/I) qui brident actuellement le développement du réseau. En effet, une plus grande souplesse permettrait de saisir des opportunités de raccordement, particulièrement dans les zones proches des réseaux existants. La CGT suggère aussi de transformer les agents de l’acheminement en véritables “VRP de la prospection” sur les territoires, car
leur connaissance du terrain est un atout pour identifier les potentiels de conversion au gaz, notamment autour des chantiers de renouvellement et d’extension. De même, les réseaux de collecte biométhane devraient être considérés comme de nouvelles zones de desserte, en accompagnant les riverains impactés par les travaux liés à la conversion.
Le gaz et l’électricité sont complémentaires
La CGT plaide également pour un investissement massif dans la formation et les parcours professionnels, qui sont indispensables pour réussir la transition vers les gaz verts, ainsi que pour l’internalisation des activités de maintenance, afin de préserver les compétences et garantir la qualité des interventions. Elle rappelle que “le gaz et l’électricité sont complémentaires et indispensables à notre souveraineté et à la stabilité de tout le secteur énergétique”.
Interview de Sébastien Raya, Délégué Syndical Central CGT à GrDF
« La limitation de la taxe d’acheminement par la CRE a immédiatement modifié la stratégie de l’entreprise. Les directeurs ont dû fournir rapidement des plans de « performance économique » pour trouver les 180 millions manquants. Et la solution choisie, c’est la masse salariale. Mais tout plaide en faveur de GrDF puisque la réglementation veut la fin du gaz, énergie fossile : elle remet en cause les aides à l’installation de chaudières gaz, elle interdit les raccordements dans les bâtiments neufs et le prix du gaz est en hausse continuelle. Tout pour que les usagers abandonnent cette énergie, entraînant une baisse de l’activité. Donc, GrDF s’adapte.
La CGT condamne l’absence d’ambitions de GrDF notamment sur la partie Développement, et son absence de scrupules quant à la suppression de centaines d’emplois. Alors que dans un contexte de développement du « gaz vert », nombreuses sont les opportunités de créer de l’activité et donc de conserver des emplois : déployer des kms de nouvelles canalisations pour raccorder écoles, cantines… pourraient limiter la perte d’usagers et garantir l’activité. De plus, la suppression des dernières canalisations en plomb, et le renouvellement des colonnes est aussi une nécessité de sécurité qui seraient autant d’opportunité pour redéployer les emplois remis en cause par les économies imposées. Pour la CGT, une transition réussie doit passer par un mix énergétique réfléchi. Il en va de l’avenir de toute la filière industrielle du gaz »