Dans un contexte d’urgence climatique, le secteur de l’énergie est à la croisée des chemins avec les gaz du futur.
Alors que l’attention est focalisée sur l’électricité, qu’elle soit nucléaire ou renouvelable, le gaz est loin d’être une simple relique de l’ère fossile. Il se réinvente avec le biométhane et les nouveaux gaz, pour constituer un des piliers de la transition énergétique car il présente beaucoup d’atouts pour la décarbonation et de nombreux avantages souvent méconnus…
L’hydrogène
Gris, vert, turquoise, blanc… un panel de couleurs en fonction de ses origines
En France, en 2021, la consommation de gaz atteignait 474 TWh et dépassait celle de l’électricité qui s’élevait à 468 TWh, selon les données de GRTgaz et RTE. Et cela reste toujours vrai en 2023, selon les Chiffres Clés DATALAB Ministériels, qui relèvent que la consommation de gaz corrigée des variations climatiques atteint un niveau historiquement bas à 417 TWh PCS, quand la consommation finale d’électricité baisse de 2,8 %, pour s’établir à 413 TWh (403 TWh non corrigée du climat).
Ces chiffres témoignent de l’importance du gaz dans notre mix énergétique. Mais comment cette énergie, traditionnellement associée aux combustibles fossiles, peut-elle s’inscrire dans un avenir durable ? La réponse réside dans une transformation profonde du secteur gazier.
Une consommation de gaz qui dépasse celle de l’électricité
Un secteur gazier qui se réinvente
Le biométhane issu de la valorisation de nos déchets, l’hydrogène vert produit à partir d’électricité renouvelable, ou encore les gaz de synthèse, dessinent les contours d’une nouvelle ère pour cette énergie. Ces gaz du futur promettent non seulement de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de jouer un rôle clé dans le stockage d’énergie, le mix énergétique de la production d’électricité, la décarbonation de l’industrie et le développement d’une mobilité plus propre.
Mais cette transition soulève de nombreuses questions. Comment ces nouvelles technologies s’intégreront-elles dans notre système énergétique existant, dans l’utilisation des réseaux de transport et de distribution ? Quels seront leurs impacts environnementaux et sociaux ? Et surtout, comment garantir que cette évolution bénéficie à l’ensemble de la société, sans creuser les inégalités énergétiques ?
L’hydrogène vert, une révolution en marche
L’hydrogène s’impose comme une solution d’avenir dans le paysage énergétique mondial. La production actuelle d’hydrogène à des fins énergétiques est estimée à environ 100 millions de tonnes par an. Cependant, il est crucial de distinguer les différentes méthodes de production et leurs impacts environnementaux.
L’hydrogène (H2) conventionnel, aussi appelé hydrogène gris, est à ce jour majoritairement produit à partir du méthane (CH4), une source fossile. Ce procédé, bien qu’il soit efficace, génère des émissions de CO2 significatives.
L’hydrogène turquoise est un autre processus qui permet de récupérer de l’hydrogène par la pyrolyse du méthane. Cette technologie, émergente, convertit le gaz naturel en hydrogène et en carbone solide. Un kg de méthane est ainsi transformé en 250 g d’hydrogène et 750 g de noir de carbone, en évitant toute émission de CO2. Cet hydrogène turquoise présente plusieurs avantages. Sa production demande beaucoup moins d’électricité que l’hydrogène vert ou gris, ce qui pourrait le rendre plus économique. La pyrolyse au plasma n’utilise pas d’eau et ne produit pas de CO2, car elle est réalisée en l’absence d’oxygène. Et si le méthane provient de biogaz, son empreinte carbone peut même devenir négative.
L’hydrogène vert est, lui, produit par électrolyse de l’eau (H2O) à partir d’électricité renouvelable : c’est l’avenir le plus propre de cette technologie qui offre une alternative, sans émission, pour le stockage d’énergie, la mobilité lourde et certains processus industriels difficiles à électri- fier. Selon le Conseil National de l’Hydrogène, la demande en hydrogène renouvelable pourrait atteindre 1,4 million de tonnes par an en France d’ici 2030. Mais produire de l’hydrogène vert pose d’autres défis, car pour obtenir une tonne d’hydrogène, il faut 10 tonnes d’eau, ce qui n’est pas optimal. Et électrolyser de l’eau non potable nécessite des traitements d’eau préalables (comme l’osmose inverse) qui émettent du CO2 et sont énergivores. De plus, l’électrolyse de l’eau est très énergivore, ce qui soulève la question du mode de production de cette électricité pour considérer l’hydrogène comme véritablement “vert”.
L’hydrogène est considéré comme “vert” en fonction du mode de production de l’électricité
Selon l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), la capa- cité mondiale de production d’hydrogène par électrolyse devrait connaître une croissance exponentielle, passant de 0,3 GW en 2020 à 850 GW d’ici 2030.
Enfin, l’hydrogène natif ou “blanc“ est une ressource naturelle présente dans le sous-sol, contrairement à l’hydrogène produit industriellement. Des gisements sont identifiés dans plusieurs régions du monde, notamment en Australie, Afrique, États-Unis, Brésil, Oman, Russie, et dans la moitié Sud de l’Europe. La formation de l’hydro- gène natif se fait principalement par deux processus. Soit par oxydation du fer contenu dans les roches, libérant de l’hydrogène lors du passage du fer ferreux en fer ferrique. Soit par dissociation de la molécule d’eau sous l’effet de la radioactivité naturelle des roches, un processus appelé radiolyse.
En France, des permis d’exploration ont été délivrés ou demandés dans le Bassin aquitain et en Lorraine, où une découverte potentiellement majeure a été annoncée au printemps 2023 à Folschviller. Des études sont en cours pour comprendre le mode de formation du gisement et estimer son importance.
L’hydrogène natif soulève néanmoins des questions sur la nature de la ressource : s’agit-il d’un stock limité ou d’un flux renouvelable ? Un premier élément de réponse est fourni par le gisement actuellement exploité au Mali, où aucune diminution de pression n’a été observée après des années d’exploitation.
L’hydrogène natif ou “blanc” est une ressource naturelle présente dans le sous-sol
Un retard à combler mais des projets concrets qui prennent forme
La France s’engage dans le développement de l’hydro- gène, avec des projets comme GRHYD à Dunkerque ou Jupiter 1000 à Fos-sur-Mer qui démontrent la faisabilité de l’injection d’hydrogène dans les réseaux de gaz existants. Le projet MosaHYc, lancé en 2020, vise à convertir 70 km de réseau gaz existant à l’hydrogène.
Cependant, malgré ces initiatives, la France accuse un re- tard dans la course à l’hydrogène par rapport à ses voisins européens. Car les budgets peinent à être débloqués et les décrets d’application tardent, ce qui crée une situation problématique pour les entreprises du secteur.
Philippe Boucly, Président de France Hydrogène, appelle à une mise en cohérence rapide entre les déclarations et les faits. Pendant ce temps, l’Allemagne a déjà fait valider par la Commission Européenne son schéma d’investisse- ment qui prévoit 3 milliards d’aides d’État pour soutenir la construction d’un vaste réseau de transport par gazoducs. L’Espagne, quant à elle, a pour objectif de devenir le leader européen de la production d’hydrogène vert, avec un objectif de 12 GW de capacité de production d’ici 2030.
Pour que la France reste dans la course, il est urgent que l’État tienne ses engagements. Les enjeux sont triples pour l’hydrogène. Il faut développer des électrolyseurs, des usines pour les produire, et soutenir la demande en hydrogène bas carbone. Le secteur attend depuis plus d’un an un appel d’offres qui devrait poser la base d’une rémunération permettant de combler l’écart de prix entre l’hydrogène gris et l’hydrogène propre. Mais la CGT met en garde contre une approche qui serait purement marchande pour ces développements. Elle préconise “une Recherche & Développement publique, qui coordonne et valide ces projets, avec pour objectif de satisfaire l’intérêt général, tant sur le volet socio-économique que sur le volet environnemental”.