Souriez, vous êtes notés !

EIA, 360, enquêtes de satisfaction… De plus en plus souvent, vous êtes amenés à donner votre avis, à noter vos collègues, à juger vos pairs. Pour envahissantes qu’elles soient, ces sollicitations sont surtout le signe d’un désengagement des ressources humaines dans la gestion interpersonnelle, un pas supplémentaire vers la déshumanisation des processus de décision. Ce sont les notes, les courbes statistiques qui font tout le travail. Car elles sont forcément objectives, non ? 5, 4, 3, 2, 1…

 

Le cas le plus symptomatique est celui de l’entretien individuel annuel, devenu entretien individuel de performance (EIP). La maigre enveloppe de MSI de ces dernières années n’a fait que rendre le problème plus visible, cristallisant les frustrations chez les salariés, d’autant plus fortes que les augmentations générales seules ne permettent plus de couvrir l’inflation…

Conçu comme un point d’appui à l’évolution de carrière d’un salarié, l’EIA instituait une base d’échange sur l’activité de l’année écoulée et des objectifs à venir, sous l’égide du manager de proximité. Celui-ci formulait son appréciation au moyen d’une note, de 1 à 4 originellement, puis de 1 à 5, une note moyenne ayant été rajoutée face aux récriminations suscitées par le principe. En d’autres termes, avec le premier système, on était soit au dessus, soit au dessous de la moyenne. Avec le second, la majorité d’entre-nous peut être dans la moyenne, ce à quoi les RH vont s’employer.

Peu à peu dévoyé de son principe premier, l’EIA devient indissolublement lié aux augmentations salariales. Corsetées par les négociations annuelles sur les salaires, les notes de l’EIA sont transformées en un instrument de répartition statistique des augmentations. Exit la sincérité d’une appréciation professionnelle, désormais le nombre de notes au-delà de la moyenne devra obéir au budget alloué !

 

En vertu de cette répartition statistique, il faut trouver autant de mauvais élèves qu’il y en a de bons. Certains sont mis au ban injustement, d’autres,

qui se sont employés toute l’année, se voient rabaissés à la moyenne. Les années de vaches maigres, tout le monde est moyen, plus aucune tête ne dépasse. Certes les commentaires laissés sur le formulaire pourront encore contrebalancer la notation, mais déjà les injonctions arrivent : les avis devront correspondre aux notes. Toute cette mécanique se traduit par un nivellement par le bas, un éloge de la médiocrité pour satisfaire des décomptes d’épicier. Paradoxal, alors que dans le même temps, on scarifie les cadres sur l’autel de la performance et de l’individualisation !

360…

Mis en place suite à l’enquête sur le climat social au CSTJF, le 360 consiste en une évaluation croisée entre collègues, services, subordonnés et hiérarchies. Vous devez vous prononcer sur le comportement et les relations avec des gens que vous côtoyez au quotidien. Là où le bât blesse, c’est que cette façon de traiter la problématique fait peser sa résolution sur les gens eux-mêmes, en occultant les effets de structure, ceux des choix d’organisation, des campagnes et des injonctions institutionnelles.

C’est l’individu le problème, pas l’organisation du travail. Plus encore, la proximité avec ceux que vous devez évaluer vous rend-elle objectif ?

Quelle valeur accorder à une appréciation forcément biaisée par les rapports interpersonnels ?

L’évolution du climat social, le consentement et le goût de l’effort collectif viennent en contrepartie d’une politique managériale et de distribution perçues comme justes. Pas besoin d’un regard à 360° pour le comprendre, il suffit juste d’avoir les yeux en face des trous…

 

Les questionnaires de satisfaction

Ce type d’enquête tend à se généraliser pour sanctionner la qualité d’une étude, d’un service etc… Comparable à ce qu’on peut trouver sur les réseaux lorsque tout un chacun est invité à donner son avis sur un service, un restaurant, un spectacle, … il est étroitement lié à la relation client/fournisseur qui s’est imposée à de multiples entités du groupe, une relation marchande bien éloignée de la notion de services centraux. Un degré de perversité a été franchi lorsqu’il a été décidé d’inclure le taux de retour de ces questionnaires en tant que critère de minoration d’une part du calcul de l’intéressement du personnel concerné. Encore une fois, on reporte sur l’individu un choix institutionnel. Si un service n’est pas rendu de façon convenable, la gestion de la paie par exemple, ce n’est pas l’organisation du travail qui est pointée du doigt mais bien le salarié à qui on le fera payer. Souriez vous êtes notés !

 

Je te tiens, tu me tiens par la barbichette…

Tous ces mécanismes où cohabitent arbitraire, déresponsabilisation de la structure décisionnelle et stigmatisation de l’individu, portent en eux toutes les dérives du monde actuel de l’entreprise. Il n’est plus question que d’indicateurs, de taux, de pourcentages, outrageusement audités, une marche cadencée vers une déshumanisation des processus. Il n’est pas anodin que le Groupe investisse de plus en plus dans l’IA (Intelligence Artificielle) : le futur des processus d’optimisation s’écrira sans le facteur humain.

Faussement participatives, les mécaniques actuelles n’opèrent que comme justificatifs du système, lequel reste intangible [cf le tract sur le lean management disponible sur le site ep.cgttotal.fr, pour la description d’un autre instrument de « collaboration »].

Au final, le résultat risque bien d’être à rebours de celui escompté. La structure étant de facto « hors de cause », tout le monde jauge tout le monde. Le salarié devient l’instrument de sa propre coercition : il se surveille et se punit lui-même, pour que tout aille pour le mieux dans la meilleure des entreprises possibles…

Idéal pour tout figer, pour couper court à tout élan émancipateur. Tout est lisse, convenu. Et derrière le masque de convenance, on ne voit personne grimacer !

 

Ce que demande la cgt

 Suppression des notes des EIA. Le système n’engendre que frustrations et sentiment d’injustice. Le message qu’il envoie est celui d’un nivellement par le bas et d’un management par l’arbitraire.

Revalorisation du rôle des managers de proximité. Ces derniers doivent redevenir des décisionnaires de plein droit avec une vraie marge de manoeuvre en ce qui concerne leur gestion d’équipe, délivrée des quotas et autres injonctions statistiques, aveugles par nature à la réalité des bilans.

 Refonte des entretiens annuels. Les évaluations ne doivent porter que sur la tenue du poste, l’évolution des compétences et de carrière, rapportées à l’année écoulée et à celles qui ont précédé. Le positionnement par rapport aux grilles de classement (CCNIP ou Elf-ep) devrait être évoqué.

 Les primes exceptionnelles ne doivent être liées qu’à des performances exceptionnelles du salarié. Elles ne sont en aucun cas un substitut aux augmentations salariales. Un salarié qui montre fiabilité et conscience professionnelle sur plusieurs années a autant droit à une revalorisation salariale que celui qui dépasse une fois les objectifs qu’on attend de lui.

 En corolaire, le volume d’augmentations individuelles ne doit pas être du ressort de la négociation collective. Celle-ci ôte toute marge de manoeuvre lorsqu’il s’agit de « mettre de l’huile dans les rouages » et contribue à la déresponsabilisation du pouvoir managérial. Il est de la responsabilité de la direction générale d’affecter un budget suffisant et ré-ajustable.

 Seul le maintien du pouvoir d’achat en regard du contexte économique extérieur à l’entreprise doit rester l’objet des négociations salariales annuelles.

 la performance ne doit pas être jaugée par le biais de questionnaires de satisfaction. En faire un critère de sélectivité sur une partie de la rémunération alors que par ailleurs tous les mécanismes d’évolution de carrière et salariale sont contraints est un contre-sens d’un cynisme absolu.

 

19.003-Tract Souriez vous êtes notés