TOTAL et l’écofourre- tout

Après le rejet d’un recours de Total devant le conseil constitutionnel le 11 octobre, l’assemblée nationale a supprimé le 15 novembre l’avantage fiscal sur les biocarburants. Au delà de ce vote, c’est le positionnement éco-éthique de Total, qui est pointé du doigt. Entre communication de séduction, campagnes internes moralisatrices et cynisme économique, le groupe peine à convaincre lorsqu’il tente de se repeindre en géant vert.

 

Gorilles dans la brume

Convoqué par la commission des affaires économiques de l’assemblée le 17 septembre dernier, le pdg de Total a vainement plaidé le retrait de la mesure fiscale* et d’expliquer les efforts du groupe en matière d’énergie renouvelable et les contraintes de la filière. Tout communiquant qu’il soit, il n’est pas exempt de raccourcis faciles et de contradictions. Mais de quoi parle-t-on ?

L’usine de la Mède, à côté de Marseille, a été reconvertie en 2015 en unité production de biocarburants, profitant d’une ristourne fiscale sur ce type de produits. Les biocarburants de 1ère génération utilisent des végétaux de culture pour produire le biodiesel ou le biogazole de synthèse** . Colza, soja ou huile de palme sont des candidats possibles. Le colza est produit en France.

L’huile de palme est importée d’Indonésie, premier producteur mondial, à un coût de revient bien moindre.

Or c’est là que le bât blesse : les “sages” ont jugé que l’utilisation d’huile de palme ne saurait recevoir de coup de pouce fiscal, “compte-tenu du fait que la culture de *audition visible sur http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8116408_5d80f30370e85.commission-des-affaires-economiques–m-patrickpouyanne-pdg-du-groupe-total-17-septembre-2019

**cf. www.ecologique-solidaire.gouv.fr/biocarburants pour plus d’informations.

 

l’huile de palme présente un risque élevé, supérieur à celui présenté par la culture d’autres plantes oléagineuses, d’induire indirectement une hausse des émissions de gaz à effet de serre”. Car la culture de palmier à huile en Indonésie se fait au prix d’une déforestation massive, ce que Total n’ignore pas.

Il est ironique par ailleurs d’entendre le pdg se targuer devant les députés de passer des vacances écolo à aller observer (déranger ?) les gorilles au Rwanda : il n’a pas les mêmes larmichettes attendries pour les orangs-outans, directement menacés par la disparition accélérée de la forêt indonésienne…

 

La politique des petits tas

A l’image de la communication véhiculée par le haut management, il convient de rhabiller tous les salariés en vert. C’est tendance. Le “green washing” s’invite à tous les étages hiérarchiques, les managers rivalisent d’injonctions pour promouvoir l’éco-responsabilité citoyenne.

Désormais, il faut s’attendre à des “team building” pendant lesquels chacun pourra flatter sa bonne conscience environnementale. Un des derniers exemples en date : un séminaire de TGHRS à Cannes rassemblant des salariés de Pau, de Paris et de Genève. Activité proposée : ramassage de déchets plastiques sur la plage. L’histoire de manque pas de sel lorsque l’on songe que les quelques dizaines de salariés palois qui ont participé à l’événement auront dû traverser deux fois le territoire français en avion, de Pau à Paris et de Paris à Cannes, aller et retour, pour faire des petits tas de plastique sur la plage. On vous laisse calculer le bilan carbone de l’opération…

 

Écologie de bazar

Autre opération récente, l’innovathon, qui chaque année lance un concours d’idée à l’EP sur un thème préétabli, a choisi pour 2019 de faire plancher sur “l’éco-performance” ou “comment créer de la valeur tout en réduisant notre empreinte environnementale ? “. Une manière supplémentaire d’envisager le problème par le petit bout de la lorgnette. Et d’éloigner les regards des désordres globaux provoqués par la course effrénée aux profits et par la surexploitation des ressources de la planète au delà de sa capacité de régénération. L’écologie, qu’on se le dise, appartient au temps long, et est antinomique avec la notion de performance. Plutôt que l’innovathon, la CGT propose de renommer l’initiative en dequisemoque-thon. Histoire de montrer que les salariés ne sont pas dupes de cette écologie de bazar.

 

Noblesse oblige

Ne nous y trompons pas. Il y a une certaine noblesse dans l’idée de fournir de l’énergie à l’humanité. D’aucuns pourront même y voir une mission d’intérêt supérieur. Mais cette mission n’autorise pas tous les raccourcis ni toutes les hypocrisies. Avant la tenue de la COP21 à Paris, le pdg de Total s’était exprimé pour défendre le pragmatisme d’un scénario visant 3 à 3,5° de réchauffement climatique. Depuis, les documents internes ne se hasardent plus sur cette rhétorique. Ils se bornent à exposer le mix énergétique de l’AIE (Agence Internationale de l‘Energie) compatible avec le scénario à 2°. Le problème est bien sûr global et d’une complexité extrême. On ne change pas le mix énergétique mondial du jour au lendemain, et quand les logiques économiques, nationales et géopolitiques se mêlent de la partie, l’avenir de la planète passe souvent au second plan.

 

L’écologie, c’est le temps long

 

Certes, le groupe Total s’est désengagé des énergies les plus nocives, comme le charbon, consacre 50 % de ses investissements au GNL et à l’électricité, et a révisé sa stratégie industrielle en conséquence. Mais celle ci- n’est pas exempte de travers : le processus de liquéfaction et de regazéification du GNL en vue de son transport est un processus assez énergivore en lui-même et qui génère son lot de gaz à effets de serre. Les objectifs d’augmentation de la production de GNL visent surtout à supplanter la part du pétrole dans les actifs du groupe et restent peu adaptés à celui d’une politique ambitieuse de lutte contre le changement climatique.

La garantie d’origine des sources d’énergies renouvelables de l’électricité « verte » fournie par le groupe est également remise en question.

Plus encore, le groupe Total reste l’esclave du système et de la quête de rentabilité, du retour toujours accru et immédiat vers les actionnaires, lesquels, on s’en doute, partagent le souci du futur de l’humanité et de la planète bleue.

La crispation autour de l’usine de la Mède n’en est qu’un exemple.

 

Pour la CGT, avec les milliards de bénéfices qu’il engrange chaque année, le groupe Total doit accepter de perdre de l’argent dans le développement de technologies immatures, de processus de production moins rentables, de stratégies d’acheminement moins énergivores, quitte à les financer par ses activités les plus bénéficiaires : un mix économique pour faire émerger le mix énergétique du futur. Total doit accepter de ne pas courir après toutes les subventions d’état et autres formes d’optimisation fiscale, d’inclure les actionnaires dans l’effort planétaire, de ne pas se parer des habits de la vertu écologique mais de faire en sorte de les mériter, un jour.

 

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