Autonomie des salariés Promesse ou réalité ?

Depuis une quinzaine d’années, les entre­ prises et administrations expérimentent de nouvelles formes d’organisation du travail, souvent regroupées sous les termes d’« en­treprise libérée », de « management agile » ou encore de « travail collaboratif ». Ces démarches sont présentées avec l’objectif de relâcher le contrôle hiérarchique au profit d’une plus
grande autonomie des salariés. Mais derrière cette promesse d’émancipation, la réalité est plus ambivalente.

Une aspiration réelle des salariés

D’un côté, ces transformations répondent à une aspiration réelle des salariés : pouvoir s’exprimer sur leurs méthodes de travail, participer aux décisions, et retrouver du sens dans leur activité. L’autonomie devient alors un levier de motivation, de créativité et de qualité du travail. De l’autre, ces dispositifs peuvent masquer une forme d’auto-contrôle, voire d’auto-exploitation, où l’on demande aux salariés de s’auto-réguler sans leur offrir les protections et les cadres nécessaires. Par exemple dans les équipes d’achat, voire d’ingénierie, les entreprises développent des méthodes managériales dans lesquelles les managers s’extraient de la discussion et laissent les salariés se répartir entre eux les affaires… Ce sont alors eux qui régulent la charge de travail et “s’administrent” la contrainte… avec tous les risques que cela comporte.

Les outils collaboratifs: plus d’interactions mais quel travail collectif?

Les outils numériques et collaboratifs jouent un rôle central dans cette évolution. Comme le souligne la sociologue Marie Benedetto-Meyer, ces technologies favorisent des collectifs plus éphémères, moins structurés, où les échanges sont facilités mais où l’apprentissage collectif s’affaiblit.

L’apprentissage collectif s’affaiblit

Le lien social se fragilise, et les managers, sommés de devenir « facilitateurs » ou « leaders-serviteurs », peinent à redéfinir leur légitimité. Ils doivent à la fois accompagner, réguler, protéger… tout en s’effaçant.

Évolutions organisationnelles et impact de la crise sanitaire

Pa cal Ughetto, sociologue, rappelle dans son analyse des mutations organisationnelles, que ces évolutions ne sont pas nouvelles. Déjà dans les années 1980, des tentatives de sortir du taylorisme avaient vu le jour, avant un retour en force du contrôle standardisé. Aujourd’hui encore, les contradictions persistent : comment concilier autonomie locale et organisation à grande échelle ? Comment articuler innovation et impératifs industriels ? Les expérimentations, souvent menées selon une logique de « test and learn », peinent à dépasser le stade de l’initiative ponctuelle.

Un retour au contrôle hiérarchique

La crise sanitaire a accéléré ces mutations, en imposant le télétravail et en révélant une aspiration transgénérationnelle à plus de souplesse. Mais depuis 2022, un retour du contrôle hiérarchique s’observe, avec des politiques de « retour au bureau » qui réduisent les marges de négociation. Le risque est grand que les salariés, déçus par l’écart entre les discours d’autonomie et la réalité, se désengagent.

Des enjeux syndicaux considérables

Pour les organisations syndicales, ces évolutions posent des enjeux cruciaux : il faut d’abord rappeler que l’autonomie, ce n’est pas l’absence de règles. Dans ces conditions, comment répondre aux besoins d’autonomie sans cautionner une dérégulation et une perte de crédibilité des managers dont l’Ufict-CGT a toujours défendu le rôle essentiel de régulation? Et surtout, comment redonner au travail sa valeur, en partant du réel, et non des seules injonctions à toujours plus d’« agilité » ou d’innovation ?

 

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