Ou quand les mots masquent les maux

Quand les directions d’entreprises em­ploient le mot « collaborateur » à la place de « salarié », ce n’est ni un effet de style, ni un vocabulaire plus riche, ni du Shakespeare dans le texte, mais ce terme acte une réalité bien moins flatteuse: celle d’un rapport de force toujours inégal entre ceux qui vendent leur travail, et ceux qui l’achètent. Et quand le patronat explique que nous sommes tous des « collaborateurs », il ne fait aucunement preuve de générosité, il joue simplement sur les mots pour camoufler les maux, en tentant de désamorcer l’idée même de lutte collective.

Tous les mots ont un sens

Ils façonnent nos perceptions, orientent nos comportements et servent parfois de cache-misère à des stratégies bien moins nobles. Pour le syndicalisme CGT, dont l’ADN repose sur la construction d’un rapport de force avec la mobilisation des salariés, il est urgent de démystifier cette novlangue (chère à Georges Orwell dans son roman « 1984 ») qui cherche à nous désarmer, particulièrement auprès des ingénieurs, cadres et techniciens (ICT), souvent très réceptifs à ces discours patronaux.

« Collaborateur »: le cheval de Troie du management

Ce mot, qui a pourtant une connotation très marquée dans l’histoire de France, semble inoffensif aujourd’hui, presque flatteur car il évoque un partenariat, une mise en commun des forces et des intérêts. Mais sous cette apparente bien­veillance se cache une réalité bien plus sombre. En rempla­çant « salarié », qui renvoie à une relation juridique claire, par « collaborateur », le patronat redessine les frontières. Il ne s’agit plus de garantir des droits en contrepartie du travail fourni, mais de célébrer une adhésion presque spiri­tuelle à l’entreprise. Alors qu’être salarié engendre un lien de SUBORDINATION, être « collaborateur » suppose une COOPERATION, et les revendications collectives se trans­forment alors en de simples aspirations individuelles. 11 s’agit bien de faire croire que le salarié a décidé d’adhérer aux orientations de l’entreprise et de collaborer, mais ce n’est qu’une illusion dans le choix qui lui est donné.

En remplaçant « salarié », par « collaborateur », la subordination devient « coopération »

Pour les ICT, souvent considérés comme des piliers stratégiques de l’entreprise, ce discours est particulièrement séduisant. Ils deviennent les apôtres du comportement « corporate », des « talents » qui se battent, non pour des augmentations collectives, mais pour la reconnaissance personnelle de leur « leadership », ou de leur « esprit d’initiative ». Et voilà comment, subtilement, mais sûrement, les solidarités sont atomisées.

Quand les mots désarment la lutte syndicale

Cette novlangue impacte énormément les syndicats. En parlant de « collaborateurs » plutôt que de « salariés », le patronat redéfinit les termes du dialogue social. Ce glisse­ment transforme les syndicats en de simples « partenaires sociaux », censés co-construire avec l’employeur, au lieu de défendre les intérêts des travailleurs et transformer la société. Or, un syndicat qui se fourvoie dans ce rôle d’ac­compagnement, perd toute son essence : il cesse d’être un contre-pouvoir et devient un des rouages du système qu’il était pourtant censé réguler.

Les ICT : des cibles stratégiques du discours patronal

Bombardés de louanges sur leur rôle stratégique et leur autonomie, ils se retrouvent souvent isolés dans leurs luttes. Leur faible syndicalisation s’explique en partie par une idéologie qui les pousse à croire qu’ils pourraient « se débrouiller seuls », grâce à leurs compétences. Mais lorsqu’une restructuration pointe son nez et que les objectifs deviennent intenables, ce sont ces mêmes ICT qui subissent de plein fouet les conséquences de leur isolement.

Démystifier pour montrer que, derrière les mots, les rapports de force n’ont pas changé

Pour la CGT, le défi est clair: il faut démystifier ces discours pour montrer que, derrière les mots, les rapports de force n’ont pas changé.

Même si les ICT semblent valorisés dans les discours, ils restent subordonnés dans les faits

Même si les ICT semblent valorisés et caressés dans le sens du poil dans les discours patronaux, ils restent subordon­nés dans les faits et surtout dans leur contrat et ont tout intérêt à rejoindre la CGT et la lutte collective.

Se réapproprier les mots pour mieux lutter et s’émanciper

Puisque les mots ont un sens, il est temps pour les syndi­cats de se réapproprier le vocabulaire. Oui, nous sommes des salariés, et c’est précisément cette subordination juri­dique qui garantit nos droits. En insistant sur cette réalité, cela démontre que la lutte collective reste le meilleur outil pour défendre ces droits face à un patronat qui cherche à les éroder.

Mais il ne s’agit pas seulement de dénoncer : il faut aussi convaincre. Et pour cela, un peu d’humour et de pédago­gie aident à faire passer le message. Par exemple, pour­ quoi ne pas rappeler aux ICT que la « coresponsabilité », tant vantée par le management, ressemble souvent à un mauvais mariage : on partage les problèmes, mais jamais les bénéfices ? Pourquoi ne pas souligner que le « collabo­rateur » est celui qui devrait tout donner, mais sans jamais remettre en question les choix des directions de toujours privilégier les profits ?

Un salarié conscient vaut mieux qu’un collaborateur formaté

Enfin, cette bataille sémantique doit s’accompagner d’une mobilisation concrète. La CGT doit démontrer que, quelle que soit sa fonction, chaque salarié, ICT compris, a tout à gagner à se syndiquer, car c’est en retrouvant la solidarité entre toutes les catégories, et tous ensemble, que nous inverserons le rapport de force. Et qu’on se le dise: un salarié conscient vaut mieux qu’un collaborateur formaté.

Et quand les mots ne suffisent plus, l’action s’impose

Le combat contre cette novlangue n’est pas qu’une ques­tion de style. Il s’agit bien d’un enjeu de fond, d’une lutte pour préserver les droits des salariés et leur capacité à s’organiser. Face à un patronat qui manie les mots comme des armes, les syndicats doivent utiliser un vocabulaire clair, précis, et porteur de sens. Et quand le dialogue ne suffit plus, c’est l’action qui s’impose, et sous différentes formes pour impliquer un maximum de salariés.
Les ICT, souvent pris au piège de la spirale de l’individua­lisation, doivent être les premiers à comprendre que der­rière toute flatterie se cache une ruse (relire les fables de La Fontaine). La CGT, en démystifiant cette novlangue et en réaffirmant ses principes de lutte, non seulement proté­gera les droits des salariés, mais redonnera aussi du sens au mot « travail ».

Alors, tous ensemble, quittons ce rôle de « collaborateurs » pour redevenir ce que nous avons toujours été : des salariés acteurs d’un rapport de force en construction.

Salariés ou travailleurs ?

La CGT utilise aussi le terme « travailleurs » pour inclure toutes celles et ceux qui participent à la création de richesses (salariés, précaires, intérimaires, indépendants ou chômeurs) pour dépasser les clivages de statuts et renforcer la solidarité face aux divisions souvent imposées par le patronat. Dans un contexte où le travail se transforme (ubérisation, précarité), « travailleurs » reflète une vision plus inclusive et unitaire. Il rappelle que, malgré nos différences, nous partageons des intérêts communs face aux défis du monde du travail.

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