Décoder les RPS Organisationnels pour s’en libérer

Les ICT évoluent dans un monde du travail où la pression de la performance et des changements organisationnels sont constants. On y parle de plus en plus de risques psycho-sociaux (RPS), souvent confondus avec leurs conséquences sur la santé : stress, burnout, dépression…

Parmi les RPS, il existe des risques psycho-sociaux organisationnels (RPSO), ancrés dans le fonctionnement de l’entreprise. Les faits générateurs en sont la charge excessive de travail, le manque de soutien, les conflits de valeurs… et les ICT y sont particulièrement exposés du fait de leur position stratégique dans l’entreprise !

Risques PsychoSociaux Organisationnels (RPSO)

Bien au-delà du stress individuel, ce sont les structures qui rendent malades…

Le dernier sondage Viavoice, mené auprès de 2 660 cadres du secteur des mines et de l’énergie, met en lumière la réalité de la pression ressentie au travail. 45 % des répondants estiment être confrontés à des risques psychosociaux, notamment en raison d’une surcharge de travail et de pratiques managériales inadaptées. 67 % jugent leur charge de travail élevée et plus d’un tiers dépassent 45 heures de travail hebdomadaires. De plus, 61 % des cadres interrogés estiment que leur système d’évaluation individuelle est peu transparent et fondé sur de mauvais critères. Tout ce contexte favorise l’apparition de troubles professionnels et, pour l’Ufict-CGT, c’est un enjeu majeur qui nécessite de comprendre ces risques pour mieux agir collectivement.

45 % des cadres estiment être confrontés à des risques psychosociaux

Les RPSO menacent la santé mentale et physique des salariés et, contrairement aux troubles visibles qui en sont les symptômes, ils relèvent de dysfonctionnements dans le travail. Les RPSO ne sont pas une fatalité individuelle, une soi-disant « fragilité » du salarié, mais bien le produit de conditions délétères : le résultat de décisions organisationnelles, de modes de management ou de contextes relationnels particuliers.

Des facteurs de risques qui sont multiples

Par exemple, des réorganisations et restructurations incessantes (sources d’incertitude permanente), des procédures ou outils numériques inadaptés (qui entravent le travail au lieu de le faciliter), un management autoritaire (avec des décisions unilatérales et une absence d’écoute), ou un management laxiste et flou qui laisse le salarié sans repères ni soutien. Tout cela prive les salariés d’autonomie dans leur activité et les épuise à tenter de s’adapter. Et à ces facteurs organisationnels s’ajoutent aussi des facteurs relationnels : un climat de concurrence, des relations de travail dégradées…

Les ICT sont spécifiquement exposés de par la nature même de leurs fonctions : faire face à une complexité accrue des tâches et à des injonctions contradictoires, gérer des projets dans des délais serrés, s’adapter en continu aux nouvelles technologies. Et si, avec leur qualification, ils bénéficient souvent d’une certaine autonomie, ils ont aussi de lourdes responsabilités et doivent être polyvalents, engagés, ce qui les pousse à accepter des surcharges de travail au nom de la « réussite collective ». Enfin, les outils numériques sont de plus en plus prégnants dans leurs métiers. Ils sont parfois un atout, mais deviennent aussi un risque lorsqu’ils conduisent à une trop forte intensification du travail ou à une disponibilité de tous les instants.

Comprendre les RPSO, c’est prendre conscience qu’il s’agit de dangers structurels, inscrits dans l’organisation du travail, et c’est le point de départ pour agir efficacement en prévention.

Le prix à payer du “toujours plus”

Comme nombre de salariés, les ICT ont une conscience professionnelle élevée, mais ce perfectionnisme devient un piège quand l’environnement de travail ne permet pas de répondre à des objectifs toujours plus exigeants. Les symptômes sont insidieux au début, puis deviennent de plus en plus invalidants. Au niveau psychologique, ce sont anxiété, irritabilité, troubles de la concentration, perte de motivation qui apparaissent. Au niveau physique, ce sont des troubles du sommeil, une fatigue intense, des maux de tête, des troubles musculosquelettiques ou cardiovasculaires. Tous ces signes d’alerte, trop souvent ignorés, peuvent évoluer vers des troubles plus graves : dépression, ulcères, hypertension… Le salarié risque alors de s’isoler, d’adopter des conduites addictives ou de tomber dans le présentéisme malgré la souffrance.

Si plus de la moitié des cadres déclarent ressentir régulièrement une surcharge de travail, 54 % témoignent d’un épuisement professionnel ou d’un stress intense. Et ces chiffres illustrent bien toute l’ampleur du phénomène car ils atteignent des niveaux encore plus élevés chez les cadres ayant des responsabilités managériales.

54 % des cadres témoignent d’un épuisement professionnel ou d’un stress intense

Parce qu’ils occupent des postes à responsabilités et qu’ils sont équipés d’outils numériques, beaucoup d’ICT restent connectés au-delà des horaires de travail. Selon une étude APEC de décembre 2024, 60% des cadres consultent leurs mails pendant leurs congés et 44 % n’arrivent pas à se déconnecter. Télétravail aidant, la frontière entre vie professionnelle et personnelle s’estompe, et le cerveau reste en alerte en permanence. Ce lien numérique permanent engendre un sentiment d’urgence continue et un flux d’informations incessant : des sources de stress cognitif et de sur-engagement qui deviennent très nocifs.

Dépasser l’individualisation pour identifier les causes réelles

Face à un salarié en souffrance, l’erreur serait de n’y voir qu’une faiblesse personnelle, ou de reporter la faute sur une « personne toxique » de son entourage. Ce piège de l’individualisation  est  largement  répandu,  y  compris dans l’entreprise, en opposant la « personne fragile » au « collègue difficile » pour expliquer les problèmes. Or, cette lecture individualiste n’a aucune validité scientifique et occulte l’essentiel. Car les réactions de chacun face au stress sont différentes et s’expliquent par la diversité des histoires et des contextes vécus. Elles ne signifient en rien que certains salariés seraient naturellement moins résistants.

C’est sur les causes qu’il faut agir, et non sur les symptômes ou sur les personnes isolées

Car les causes profondes des RPSO sont externes aux individus, et se situent dans l’organisation même du travail. C’est donc sur ces causes qu’il faut agir, et non sur les symptômes ou sur les personnes isolées, car c’est le travail qui doit être adapté aux humains, et non l’inverse.

C’est le travail qui doit être adapté aux humains, et non l’inverse

Cela signifie que toute action centrée exclusivement sur l’individu (comme proposer au salarié stressé de suivre une formation de gestion du stress, de la sophrologie ou du yoga…) ne suffit pas. Et si ces approches de « prévention tertiaire » apportent un soulagement ponctuel, elles laissent  inchangées  les  conditions  pathogènes  du milieu de travail. Former les salariés à mieux supporter l’insupportable revient à écoper la mer à la petite cuillère. C’est sur l’organisation du travail qu’il faut intervenir et non demander aux individus de mieux gérer leur stress.

Redonner du pouvoir d’agir aux ICT avec des solutions collectives

Des chercheurs ont développé des outils pour analyser le stress au travail. Au travers de questionnaires, ils identifient les causes de certains déséquilibres qui apparaissent au travail : déséquilibre entre charge de travail/complexité/ marge de manœuvre possible, déséquilibre entre efforts fournis et récompenses obtenues…

RPSO = Dangers structurels d’ordre organisationnel : les solutions passent par

une action collective

Des outils standardisés et validés par l’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité) évaluent les causes et ne se limitent pas à n’identifier que des symptômes. Mais une fois ces causes identifiées, comment agir collectivement ? Les RPSO étant d’ordre organisationnel, les solutions passent par une action collective. Les psychologues du travail parlent de redonner du pouvoir d’agir aux travailleurs, de la capacité à faire des choix, à influencer les décisions qui les concernent, pour ne plus se sentir impuissants face aux dysfonctionnements. Pour les ICT, pris dans des contraintes hiérarchiques, retrouver un pouvoir d’agir est fondamental afin que les objectifs ne soient plus un piège mais qu’ils deviennent atteignables et partagés.

Créer un climat de confiance, où la parole se libère

Une des démarches les plus prometteuses consiste à mettre en place des espaces de discussion sur le travail afin de créer des moments structurés, où les ICT parlent collectivement de leur travail réel, partagent ce qui fonctionne bien, affichent ce qui pose problème, analysent ensemble pourquoi tel projet dérape ou pourquoi tel processus génère du stress, et cherchent « tous ensemble » des solutions concrètes. Bien menés, ces espaces de discussion présentent de multiples vertus. Ils s’ancrent au plus près du terrain, des situations quotidiennes vécues par les salariés, et aboutissent à un diagnostic fin, bien plus pertinent que de grands audits déconnectés du vécu. Ils sont, de plus, une alternative aux questionnaires ou baromètres sociaux qui, une fois remplis, débouchent trop rarement sur des plans d’actions tangibles afin de désindividualiser les RPS et rompre l’isolement.

Mais il faut des actions constructives et veiller à ce que ces espaces de discussion restent pérennes et débouchent sur des changements visibles, sinon le risque est de nourrir du cynisme. Il est donc crucial de les articuler avec le dialogue social formel de l’entreprise. En pratique, cela signifie que les représentants du personnel (dont les élus CGT) participent, ou aient un lien avec ces ateliers, et que les conclusions ou propositions qui en ressortent soient transmises aux instances officielles (CSE, commissions santé au travail, réunions de direction).

Prévenir plutôt que guérir : une stratégie syndicale à renforcer

En matière de RPSO, comme pour tout risque professionnel, la devise « Prévenir plutôt que guérir » doit être la boussole, et cette prévention s’organise classiquement sur trois niveaux complémentaires.

La prévention primaire vise à supprimer ou réduire le risque à la source. C’est l’idéal à atteindre, en agissant en amont, sur l’organisation du travail elle-même. La prévention secondaire cherche à accroître les capacités des salariés à faire face aux risques. Enfin, la prévention tertiaire a pour but de limiter les dommages sur la santé : prise en charge médicale des salariés en souffrance, réparation des préjudices…

Si chacun de ces trois niveaux est utile, ils ne se valent pas. Car il faut privilégier la prévention primaire pour ne pas se contenter de panser les plaies. Sans traitement des causes, les conséquences submergeront tout le reste.

Agir à la source du risque en revendiquant et négociant des changements dans l’organisation

Pour la CGT, la prévention primaire est le terrain d’action par excellence. Et agir à la source du risque signifie revendiquer et négocier des changements dans l’organisation du travail. Par exemple, si la charge de travail est identifiée comme un facteur de RPSO, il faut revendiquer des embauches supplémentaires ou une meilleure répartition des tâches afin de la réduire. Et si un conflit de valeurs pèse sur les ICT, la prévention primaire consistera à rouvrir une discussion sur les objectifs assignés, les critères de qualité, pour que le travail retrouve du sens.

Des revendications syndicales structurelles pour prévenir les RPSO

Augmenter les effectifs, réduire le temps de travail effectif (rappeler au besoin le droit à la déconnexion pour éradiquer l’hyperconnexion), modifier les organisations trop pathogènes, former les encadrants à un management plus humain… C’est un travail de longue haleine pour peser sur le dialogue social, comme négocier un accord d’entreprise sur la prévention des RPSO, incluant par exemple un droit d’alerte interne dès qu’une situation à risque est repérée, ou créer une commission RPSO au CSE chargée de surveiller des indicateurs (absentéisme, turnover, enquêtes sur le climat social…) et de proposer des plans d’action. La prévention secondaire est plutôt complémentaire à la prévention primaire et doit éviter l’écueil de la responsabilisation individuelle des salariés. Quant à la prévention tertiaire, le rôle syndical y est essentiel pour assister les salariés déjà en souffrance. Il s’agit de les orienter vers la médecine du travail ou l’assistance sociale, et de veiller à ce que leurs droits soient respectés (comme la reconnaissance en accident du travail ou en maladie professionnelle d’un bum-out avéré, ce qui est toujours un combat).

Les RPSO sont un levier pour transformer le travail

Les  risques  psycho-sociaux-organisationnels  ne  sont pas une dérive inéluctable du monde moderne qu’il faudrait simplement accepter en serrant les dents. Au contraire, ils constituent un levier pour transformer le travail, à condition de les nommer et de les combattre collectivement. Pour les ICTAM, s’attaquer aux RPSO, c’est ouvrir la voie à un renouveau des conditions de travail : imaginer des organisations où le travail ne se réalise plus au prix de la santé des salariés, des entreprises où l’on travaille sereinement parce que la charge de travail est soutenable, un collectif solidaire où le sens du travail est préservé…

Cet horizon est ambitieux, mais chaque action compte : chaque espace de discussion instauré, chaque accord arraché sur la charge de travail ou le droit à la déconnexion, chaque responsable formé à un management bienveillant, représente  une  victoire  culturelle  contre  la  fatalité du stress.

Une reconquête du travail« à cœur », plutôt qu’à corps perdu

La CGT et son Ufict ont un rôle moteur à jouer dans cette reconquête du travail « à cœur » (pour reprendre les mots d’Yves Clôt), plutôt que du travail à corps perdu. En misant sur la prévention primaire et le pouvoir d’agir des collectifs, nous protégerons non seulement la santé des travailleurs et travailleuses que nous représentons, mais nous leur redonnerons aussi la fierté et le plaisir d’un travail bien fait et accompli dans des conditions dignes.

 

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