Derrière l’accord mobilité durable EDF : le capitalisme vert

[Options 654 – Février 2020 – p7-11]

Face à l’accumulation de déséquilibres qui met la planète en danger, les États imposent de nouvelles règles aux entreprises. L’accord mobilité durable du groupe EDF s’inscrit dans cette logique obligée.

Mobilité durable, cadre de vie et organisation du travail

Préoccupation majeure dans la société mais engagement sur un mode mineur pour le groupe EDF.

L’environnement est une ressource monétaire, un domaine d’investissement comme un autre quel que soit l’habillage dont on le revêt et le discours dont on l’enrobe. Le « on » désigne ici les institutions politiques et financières internationales, l’Union Européenne, les gouvernements nationaux, les entreprises, qui font du réchauffement climatique un nouveau business avec ses marchés, ses clients, ses défis technologiques et ses lois dont le contenu n’évoque ni les besoins sociaux ni les inégalités environnementales. EDF SA avec son « Accord collectif relatif à la mobilité durable du groupe EDF » entre précisément dans cette catégorie d’entreprises pour laquelle urgence écologique rime avec capitalisme vert ; un capitalisme vert qui par ailleurs décolle insuffisamment et doit être soutenu. Cet accord s’inscrit pleinement dans le discours officiel du groupe et sa déclaration d’intention, CAP 2030.

Le travail et son organisation à l’épicentre du projet

Les six chapitres qui constituent son contenu puisent en grande partie leur origine dans la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM publiée au Journal officiel le 26 décembre 2019). Cet accord est en fait une proposition de cadre national car, depuis le 1er janvier 2018, toute entreprise regroupant plus de cent salarié.e.s est tenue d’élaborer un plan de mobilité durable, une obligation issue de la loi d’août 2015 de Transition Energétique pour la Croissance Verte, dans l’objectif d’améliorer la mobilité des salarié.e.s. Le but est d’encourager l’usage des transports en commun et le recours au covoiturage pour diminuer le trafic routier et les émissions de gaz à effet de serre. En cas de non-respect de cette obligation, l’entreprise se voit privée du soutien technique et financier de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME), ce qui ne relève pas vraiment de la sanction contraignante. Des unités EDF se sont donc dotées d’un plan avant que le groupe ne propose un cadrage.

La mobilité durable, une valeur marchande

Parler mobilité durable pour EDF et d’autres, signifie penser les enjeux du transport routier (et aérien) en termes d’impact environnemental. Difficile d’être en désaccord. Cependant, se limiter à cette définition reste insuffisant à au moins deux titres. Premièrement, cette façon de voir implique que l’on prête davantage attention à ce qui se passe en milieu urbain en termes de pratiques et de mise en œuvre de la mobilité ; deuxièmement, la mobilité est vue comme une façon de penser la ville et le travail en termes de flux à optimiser, de circulation ininterrompue des personnes et donc de valeur marchande ; les corps sont transformés en capitaux.

Les salarié.e.s ne présentent qu’un intérêt collatéral, puisque dans cette pensée ce sont le travail et son organisation qui constituent l’épicentre du projet, ainsi que les nouveaux profits à retirer pour le groupe lui-même et la nouvelle économie numérique à laquelle se rattache le capitalisme vert. Dans un projet présenté début 2019, Engie nomme deux axes (sur quatre) relevant de cette pensée : « Optimiser et rationaliser la mobilité des collaborateurs. Piloter et organiser ».

L’organisation de la mobilité aujourd’hui, peu importe le groupe, passe par des applications numériques du type Welcome dont l’usage est réservé aux Welcomers. Eligibles sur accord managérial, ces dernier.e.s font 2 h 30 de transport chaque jour pour se rendre à leur travail et en revenir. Une à deux journées par semaine, ils.elles vont pouvoir réserver, via la plateforme cowork, un emplacement de travail (144 au total) sur l’un des 15 sites EDF et filiales mis à leur disposition en Île de France depuis la fin de l’été 2019*.

La mobilité durable est une affaire d’argent

Plus classiquement, le capitalisme vert passe par la négociation, avec les groupes automobiles mondiaux, d’offres de véhicules électriques pour l’entreprise et les déplacements professionnels, ainsi que pour les salarié.e.s. EDF SA à travers la Direction Mobilité Groupe (qui faisait partie de l’équipe des négociateurs côté direction) et la Direction des Achats Groupe propose « des offres privilégiées » portant sur seize véhicules électriques ou hybrides rechargeables de huit marques (BMW, Citroën DS, Jaguar, Mini, Nissan, Opel, Peugeot, Renault) dont certaines sont étendues aux inactifs, avec des remises négociées qui oscillent entre -10 % et -18 %. Premier prix proposé, 20 312 € TTC pour un véhicule dont l’autonomie est de 330 kilomètres, remise salariée incluse et bonus de 6 000 € compris pour les véhicules 100 % électriques.

La prudence est pourtant au rendez-vous. En effet, les offres proposées sont valables jusqu’au 31 octobre 2020 et plafonnées à 1 000 commandes. EDF SA met en avant « une première phase de test » en vue d’un retour d’expérience. Plus prosaïquement, l’État prépare une diminution progressive de la prime pour l’achat d’une voiture électrique. « Au-delà d’un prix d’achat de 45 000 euros, son montant sera ramené à 3 000 euros. Quant aux modèles de plus de 60 000 euros, ils ne seront plus subventionnés »**.

La voiture électrique représente un achat coûteux qui freine la massification du marché. Clairement, c’est un public interne haut de gamme qui profitera de cette offre ; des cadres à haut salaire et grosses primes issus le plus souvent de sites urbains déjà engorgés par les voitures, électriques ou pas.

L’application numérique briseuse de grève ?

Heureusement, les salarié.e.s vont pouvoir gagner quelques euros en s’inscrivant sur une plateforme de covoiturage, Klaxit, Blablalines, etc. La première, qui compte la RATP dans son capital, fait son auto-promotion dans les termes suivants : « L’appli #1 du covoiturage domicile-travail » […grève du 5 décembre : pas de transport, pas de télétravail ? Optez pour Klaxit ! Arriver à l’heure et sans stress au bureau pendant les grèves, c’est possible en covoiturant avec Klaxit ! […] Conducteurs, obtenez 24 euros minimum par jour en covoiturant avec 3 passagers aller/retour avec 4 euros minimum garantis par trajet et par passager transporté, quelle que soit la distance. Les trajets sont gratuits pour les passagers jusqu’à 80 km. Offre valable à partir du 05/12/2019 durant toute la période de la grève et jusqu’à épuisement du budget ».

La voiture électrique : un achat coûteux

Opportunisme et cynisme font bon ménage d’autant que ces plateformes numériques de mise en relation entre conducteurs et passagers décollent difficilement en termes financiers et que, de façon générale, le nombre de conducteurs inscrits sur une plateforme de covoiturage est bien plus important que le nombre de passagers désireux de se faire conduire. Dans le même temps, la gratuité ou l’élémentaire coup de main qui consiste à rendre service à un collègue en le déposant le matin ou en repartant avec lui le soir, ne trouve pas sa place dans ce dispositif. La mobilité durable est une affaire d’argent et de développement de nouveaux marchés et, accessoirement, elle peut aussi devenir un outil contribuant à briser une grève.
C’est une même logique qui est à l’œuvre lorsque l’on aborde le chapitre deux roues, limité, pour EDF, au vélo avec ou sans assistance électrique. Des tarifs préférentiels doivent être prochainement proposés aux salarié.e.s du groupe. Le vélo, traditionnel ou électrique, est essentiellement utilisé pour de courts trajets – de l’ordre de quatre kilomètres – et plutôt dans un contexte urbain. L’achat d’un vélo électrique dans une enseigne de distribution d’équipements sportifs coûte entre 700 euros, premier prix, et 3 300 euros. Là encore, un achat pour classe moyenne supérieure. Pour des raisons de sécurité, scooters, trottinettes, gyropodes, planches à roulettes sont exclus de l’accord.

Un nouveau champ d’intérêt pour la CGT

Toutes les organisations syndicales ont signé cet accord entre le 21 octobre et le 12 novembre 2019. Pourtant la CGT et FO ont été très critiques quant au contenu proposé tout au long de la négociation, car il est très peu favorable aux salarié.e.s et, en fait, très basique. La voiture, électrique dans le meilleur des cas, reste bien l’alpha et l’oméga de la mobilité durable au sein du groupe EDF. Pas d’effort de promotion et/ou d’incitation à utiliser les réseaux de transports publics des centres urbains avec, par exemple, une prise en charge améliorée des cartes, passes et tickets de métro, tram, bus. Peu d’envie de penser les déplacements domicile-travail dans le cadre d’une politique de transition énergétique et d’un bouleversement induit des modes de consommation et de vie, que l’on soit sur un site rural ou urbain. Aucune réduction envisagée, ou tout au moins envisageable à terme, du nombre de places de parking sur un site. Or, limiter vraiment le rôle de la voiture au quotidien nécessiterait une mesure phare engageante, tant pour les salarié.e.s que pour le groupe.

Peu de moyens surtout. EDF consacrera très peu d’argent à la qualité de vie de ses salarié.e.s. En témoignent les discussions de boutiquier pour arriver à un forfait mobilité durable annuel de 200 euros alors même que la LOM évoque un maximum de 400 euros. Cependant, la mobilité durable ne peut être réduite à une question de financement.

Le vélo est essentiellement utilisé pour de courts trajets

Pour la CGT Mines Énergie et son Ufict, l’écologie et l’urgence climatique impliquent de réinventer notre rapport au monde et de chercher des réponses individuelles et collectives pour transformer les entreprises et le travail. De nombreux collègues sont très attentifs à ces questions qui amènent forcément à parler intérêt général, biens communs, besoins sociaux… c’est-à-dire à entrer en contact avec le syndicalisme. C’est souvent à partir de questions concrètes que des salarié.e.s s’engagent. L’adoption d’un plan mobilité durable sur un site peut susciter de l’intérêt et des prises de conscience particulièrement chez de jeunes collègues et les amener à poser un regard nouveau sur l’engagement syndical.

* Toutes les informations sur Welcome sont disponibles sur vivreEDFonline, l’intranet du groupe EDF.
** « Voiture électrique : l’État rabote le bonus », Ingrid Feuerstein, Les Echos, mercredi 18 décembre 2019.

Un accord dénué d’ambition

Cet accord EDF comporte deux grands volets : organisation du travail et modes de déplacement. Étalement des horaires d’arrivée et de départ, télétravail et travail à distance, réunions à distance sont encouragés de même que l’élargissement du panel de salarié.e.s bénéficiant du télétravail. Ils.elles pourront, grâce au service Welcome, travailler sur un autre site du groupe plus proche de leur domicile.

Marche, vélo, transports en commun, covoiturage, autopartage, train seront encouragés via des partenariats avec des plateformes de covoiturage et un forfait annuel mobilité durable de 200 euros, versé en une seule fois en fin d’année, pour celles et ceux qui effectueront au moins 40 trajets en covoiturage par an. Le vélo sera valorisé à travers la fourniture d’un « kit de sécurité », des ateliers dédiés à l’usage du vélo et des « tarifs négociés préférentiels pour l’achat de vélos à assistance électrique ou non ». Les cyclistes bénéficieront d’un stationnement sécurisé, de douches et de casiers de rangement. L’accord prévoit également le développement de la mobilité électrique avec l’électrification de la flotte de véhicules légers du groupe, le recours à l’auto-partage de véhicules électriques, l’installation de bornes de recharge à destination des salarié.e.s utilisant leur véhicule électrique pour se rendre au travail. Comme pour le vélo, tarifs préférentiels et offres de financement seront proposés.

Les réflexions et propositions de la CGT

La mobilité domicile-travail s’apprécie dans un cadre plus ambitieux que la seule question des transports. La CGT propose de l’envisager dans le cadre d’un « vivre et travailler sur un même périmètre géographique ». Or, le groupe EDF ferme de nombreux sites, recase ses salarié.e.s dans un nouvel environnement, ce qui accroît souvent le temps de déplacement domicile-travail et diminue la qualité de vie de celles et ceux qui mutent. C’est pourquoi, avant toute décision de déménagement d’un site ou d’un service, les conséquences de l’allongement du temps de trajet (distance supplémentaire à parcourir, mode de transport, impact sur les émissions de gaz à effet de serre) doivent être mesurées de même que leurs conséquences en termes de qualité de vie.

La mobilité est corrélée au maillage territorial ; plus il est fort, plus il autorise la limitation des déplacements et des temps de déplacement. Dans le cas contraire, la CGT milite pour l’accès des salarié.e.s du groupe à des tiers lieux, à une échelle bien plus importante qu’aujourd’hui. Elle milite également pour des aides au rapprochement domicile-travail dans des bassins d’emplois d’avenir via un système d’allocation logement. Enfin, la limitation du nombre de déplacements avant d’arriver au travail et après est aussi liée à la mise en place de crèches d’entreprises, particulièrement dans les grands pôles urbains. Ces mêmes grands pôles urbains dotés de systèmes efficaces de transports en commun dont la prise en charge devrait passer de 50 % à 75 %, ce qui est déjà pratiqué dans certaines unités. Enfin, le passage à une semaine de quatre jours de travail entraînerait un impact majeur sur les déplacements et donc la mobilité domicile-travail.

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