EDF mise en difficulté par son actionnaire principal

Excellents résultats pour les comptes annuels 2021, prévisions 2022 catastrophiques, contraintes sur le parc nucléaire, agences de notation en embuscade… Où l’État emmène-t-il EDF ?

Le 17 février 2022, le Conseil d’Administration d’EDF a arrêté les comptes 2021. Ils sont qualifiés d’excellents avec 5,1 Mds € de bénéfice net et 1,9 Mds de dividendes qui seront en grande partie payés en actions nouvelles. En effet, l’État, qui possède 84 % du capital, a annoncé vouloir les toucher en actions. Si cela évite à EDF de sortir du cash, l’État fait au passage une très bonne opération, puisque l’action EDF est au plus bas à la bourse. Deux raisons de ce dévissage : l’obligation gouvernementale, imposée à EDF, d’augmenter la part bradée de son électricité à ses concurrents (de 100 à 120 TWh via l’ARENH – Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique), et le problème de corrosion sous contrainte rencontré sur le parc nucléaire (qui contraint EDF à arrêter de nombreuses tranches en plus de celles déjà programmées pour maintenance lourde).

Des doutes subsistent sur le nombre de centrales qui seront impactées par ce problème, et une question demeure sans réponse : quelle responsabilité incombe au diktat de la finance, qui depuis des années, met la maintenance toujours plus sous pression au seul motif de gonfler les résultats annuels ?

 

Les salariés paieront une nouvelle fois l’addition

Pourtant à l’origine de la belle performance sur 2021, les salarié.e.s ne constateront sur leur feuille de paye qu’une toute petite augmentation générale du Salaire National de Base de 0,3 %. Ce qui signifie que celles et ceux qui ne bénéficieront pas d’un avancement (+2.5 % d’augmentation) pour 2022, verront leur pouvoir d’achat amputé de pratiquement un NR puisque l’inflation 2021 est de 2,8 % !

Pour faire face aux 20 TWh d’ARENH supplémentaires, avec une dizaine de centrales indisponibles, EDF devra acheter ces TWh sur le marché de l’électricité au prix fort, pour les revendre à perte à ses concurrents. Le surcoût, déjà estimé à 8 milliards d’euros, sera très certainement supérieur en raison de la guerre en Ukraine et de la nouvelle flambée des prix de l’énergie qu’elle génère. Ainsi, l’engagement sans faille des agents depuis des années a été anéanti en une seule décision gouvernementale !

Par ailleurs il est à craindre que ces 20 TWh supplémentaires pour 2021 soient reconduits en 2022 !

Des agences de notation en embuscade

Les agences de notation ont vite oublié les bons résultats 2021 et n’ont pas tardé à répercuter les mauvaises nouvelles pour 2022 : elles ont dégradé d’un cran la note financière d’EDF, et la sanction pourrait être encore plus grave si d’aventure la dégradation atteignait un cran supplémentaire. En effet, la dizaine de milliards d’euros d’emprunts hybrides, non comptabilisée actuellement, se retrouverait comptablement partie intégrante de la dette d’EDF (43 Mds €). S’en suivrait alors une très forte dégradation de la cote d’EDF auprès de la finance, qui rendrait bien plus élevés et chers les taux auxquels EDF devrait emprunter dans le futur… alors que des investissements énormes sont à venir dans les renouvelables et dans le nucléaire.

C’est la raison pour laquelle l’Etat, après avoir empoché ses dividendes, s’est empressé d’annoncer qu’il contribuerait à hauteur de 2 milliards à l’augmentation du capital d’EDF. Son objectif est de rassurer les agences de notation afin qu’elles en restent à ce cran de dégradation sans passer au cran suivant.

 

Investir oui, mais pas n’importe où

Le Plan Moyen Terme prévoit un retour à la normale en 2023 et annonce de 2022 à 2024, 17 Mds € d’investissements par an. Cette bonne nouvelle est ternie par 3 Mds € de nouvelles cessions. On peut d’ailleurs se demander quelles seront ces nouvelles cessions, car toutes les entités non stratégiques et monnayables ont déjà été vendues. Va-t-on assister à des ventes partielles d’entités comme cela a été effectué en Italie où EDF a cédé 49 % des Renouvelables d’Edison au Crédit Agricole pour recueillir 1 Md € de cash en échange ?

Dans tous les cas, il ne faudrait pas que la dette, creusée par les gouvernements et les directions successives, soit l’argument d’un nouveau plan Hercule (ou Ulysse) entrainant la scission de l’entreprise intégrée, même si cela devait être atténué par une « nationalisation » partielle : les agents l’ont démontré à plusieurs reprises, ils refusent toute division du groupe EDF !

 

Un quinquennat de sabotage du service public de l’énergie !

Baisse du pouvoir d’achat, transition énergétique repoussée, fermeture de Fessenheim, arrêt du programme Astrid (génération IV nucléaire), fermeture sans reconversion de centrales thermiques, flambée des factures… le bilan de la politique énergétique de ce gouvernement est bien sombre !

L’origine de la crise énergétique mondiale que nous traversons, et qui est encore devant nous pour plusieurs années, vient bien d’un manque cruel d’investissements qui crée un déséquilibre entre l’offre et la demande. La situation est telle aujourd’hui que le moindre alea, ferait exploser le système. Car l’électricité se stockant mal, les effets sont immédiats. Il faudrait pouvoir augmenter les capacités de production pilotables, mais cela nécessite du temps et de l’argent : la sortie de l’impasse dans laquelle le gouvernement nous a conduit, risque d’être longue !

 

Pourtant les perspectives semblent bonnes pour EDF

Au-delà des problèmes actuels, le futur proche semble plutôt prometteur : un programme de relance du nucléaire en France avec 6 EPR2, et peut-être plus, avec des prospects à l’international (Sizewell en Angleterre, Jaïtapur en Inde, et aussi en Europe de l’est…). Mais sous quelle forme ? Avec des filiales d’ingénierie du type Edvance, sans aucune garantie pour les salarié.e.s ? C’est au contraire avec une ingénierie qui s’appuie sur des personnels statutaires, qui gagnent en expertise au fur et à mesure des chantiers qu’EDF a assuré avec succès la construction du parc des années 1980. C’est bien ce modèle-là qui est gagnant pour l’entreprise, ses agents et le pays et non un modèle qui n’offre que précarité et bas salaires !

 

Non, l’Etat ne protège pas EDF, bien au contraire !

2 Mds € de recapitalisation, ce n’est finalement pas grand-chose par comparaison aux conséquences des décisions gouvernementales et de leurs conséquences. Car n’oublions pas que c’est ce même Etat qui a empoché 84 % des 32 Mds € de dividendes d’EDF versés depuis 2002. C’est encore lui qui voulait démanteler EDF avec Hercule qui pourrait ressortir après les élections, avec des conséquences par exemple pour les activités de réseau et renouvelables. Et c’est toujours lui qui soutient les fournisseurs alternatifs au détriment d’EDF en augmentant l’ARENH.

Pour stopper net la flambée des prix de l’électricité, il faut en finir avec le marché aussi bien pour les particuliers que pour les industriels. Il faut revenir à un monopole public, avec des missions renforcées par les objectifs de transition énergétique. Toutes ces actions sont déjà inscrites dans le Programme Progressiste de l’Energie (PPE) de la FNME-CGT et si l’on veut vraiment atteindre nos objectifs climatiques il faut que l’électricité soit à un prix abordable ! C’est pourquoi la CGT, aux côtés des autres syndicats et associations de consommateurs, contestera en justice les derniers arrêtés et décrets qui mettent EDF dans le rouge.