EDF : scission à l’allemande ?

[Options 647 – mai 2019 – pages 10-11]

Le secteur européen de l’électricité traverse une période paradoxale : alors que la libéralisation est « en marche », toutes les entreprises énergétiques cherchent refuge dans les activités les moins exposées aux vicissitudes du marché.

A EDF, exposée au risque marché pour 2/3 de sa production, le mot d’ordre est, comme toujours, de s’adapter. Ainsi, le projet « Hercule », en gestation depuis fin 2016, voudrait réorganiser l’entreprise en différents compartiments bien distincts, dans un premier temps sous un même chapeau. Comme les autres bougent, il faudrait bouger aussi ? Même causes, même conséquences, est-ce si certain ?

« L’Energiewende », potion amère

La transition énergétique allemande a défini ses axes : arrêt du nucléaire, développement des EnR massif et subventionné (25 Md€/an) et enfin fermeture à terme des centrales charbon/lignite (40% de l’électricité aujourd’hui).
Les deux grandes entreprises privées, RWE et E.On, n’avaient pas dans leurs plans une fermeture anticipée de leurs unités de production nucléaire (2022 au plus tard), et une croissance molle de la demande d’électricité. Ces entreprises n’avaient pas non plus imaginé un soutien inconditionnel des EnR. En conséquence, la chute des prix de l’électricité sur le marché et de leur « profitabilité » n’était pas prévue.

Aux grands maux, les grands remèdes

E.On isole dans une filiale, Uniper, ses activités de production (à l’exception notable de la production nucléaire allemande sous l’injonction des autorités), puis s’en sépare en les cédant à Fortum, entreprise publique d’électricité finlandaise. E.On conserve donc les activités non exposées aux risques de marché : EnR, réseaux et fourniture.
RWE agit un peu différemment, mais reste dans cette logique en regroupant les activités « attractives » (EnR, réseaux, fourniture) dans une filiale créée en 2016, Innogy (43.000 salariés en Europe), dont elle conserve la majorité du capital après sa mise en Bourse. Paradoxe : la valeur de la filiale en Bourse est le double de celle de la Maison mère ! Dans le capitalisme moderne, une partie peut valoir plus que le tout.

Dans le capitalisme moderne, une partie peut valoir plus que le tout

Ces acrobaties se font sans casse sociale… jusqu’ici, mais le patron et créateur d’Innogy (ex patron de RWE), est débarqué fin 2017 pour manque de résultats (dont 80% sont remontés à la Maison mère), avant l’annonce au premier trimestre 2018, d’une grande opération : RWE cède Innogy à E.ON, à l’exception des activités EnR. En contrepartie, E.ON cède à RWE ses propres activités EnR et offre 17% de son capital.
D’un côté donc, E.ON devient une entreprise « aval » (réseaux, fourniture et services) et RWE, une entreprise de production d’électricité.

Tout ça pour ça

Cet accord passe plutôt bien côté actionnaires : ils ne se sentent pas lésés et « on » demeure entre allemands (Engie intéressé par Innogy, a finalement abandonné).
En revanche, l’enthousiasme est bien moindre côté salariés : le patron d’E.ON, futur patron d’Innogy, annonce de l’ordre de 600 à 800 M€ d’économies du fait des « synergies » entre les activités d’E.ON et d’Innogy, soit 5.000 départs « équitablement » répartis entre Innogy et E.ON (respectivement 22.000 et 15.000 salariés en Allemagne).
Les investisseurs peuvent choisir le meilleur morceau :
· E.ON : placement sans surprise : réseaux, fourniture et services associés : une activité certes peu rentable, mais l’inertie du marché de masse joue en faveur des opérateurs historiques ;
· RWE : placement un peu plus risqué, mais la sortie du charbon ouvre des perspectives d’indemnisation et les EnR, encore subventionnées, offrent de bons rendements. Et si les prix de marché de gros de l’électricité remontent, alors là c’est bingo !
Les communes allemandes, détentrices de 25% du capital de RWE, sont comme l’Agence des Participations de l’Etat (APE) : elles s’intéressent d’abord aux revenus de leurs placements…
Est-ce la destruction de deux fleurons de l’industrie allemande ?
Les deux entreprises sont désormais liées et vu leurs poids respectifs, il est probable qu’en cas de problème la doxa ordo-libérale soit mise au placard… Mais ces manœuvres capitalistiques ont un coût social, auquel s’additionnera les dégâts de la sortie du charbon/lignite, définitive entre 2035 et 2038 (RWE exploite aussi des mines), même si des fonds accompagneront la reconversion énergétique.

Un modèle pour la France ?

Le coût du traitement des déchets nucléaires (totalement provisionné par EDF mais qui pourrait évoluer à la hausse) effarouche les investisseurs et obère les espérances des activités « aval » à plus haut rendement. C’est bien l’idée de l’APE qui a commandité, dès 2017, de savantes études sur ce thème aux banques d’affaires, avec l’idée que la désintégration d’EDF pourrait suivre le modèle allemand. Mais ce serait oublier que RWE devient actionnaire de référence d’E.ON (dont le capital est très dilué entre de multiples mains), et en Allemagne certains n’écartent pas l’hypothèse d’une future fusion entre les deux « grands ».
Le patron d’EDF, reconduit avec comme mission principale la réorganisation du groupe, a nié toute idée de désintégration. Est-ce bien vrai pour aujourd’hui comme pour demain ?
Certes, en Allemagne, la réorganisation se fait essentiellement autour des notions amont (production)/aval (réseau et fourniture), alors qu’en France, seraient distingués régulé/non régulé.
Le régulé français comprend les réseaux de distribution et de transport mais aussi 1/4 de la production nucléaire (ARENH : Accès Régulé à l’Energie Nucléaire Historique environ 100 TWh), bradée aux concurrents d’EDF à 42 €/MWh (prix fixe de l’ARENH), avec l’aval de la Commission Européenne et ce jusqu’en 2025.
Aujourd’hui, les concurrents d’EDF piaillent pour davantage d’ARENH, voire sans plafond, d’autant plus que les prévisions des prix de marché de l’électricité sont à la hausse.
Dans ce modèle français de scission, « EDF Nucléaire » aurait un profil producteur, identique à RWE, et vendrait sa production sans se préoccuper des besoins propres de ses clients puisque précisément il n’en aurait pas.
Mais, si RWE vend sa production au prix de marché, « EDF Nucléaire » la fournirait selon un tarif administré. « EDF Nucléaire », producteur principal, approvisionnerait donc tous les fournisseurs (y compris EDF Commerce) : un retour du monopole public et du service public ? Pas du tout ! Et encore moins lorsque la Commission demandera des contreparties pour accepter un modèle dérogeant aux règles de marché (suppression des Tarifs Régulés de Vente ? concessions hydrauliques interdites à EDF ?…). « EDF Aval », soumise aux règles de marché, risquerait fort de suivre les traces d’ENGIE… et un certain nombre d’acteurs privés pourraient se remplir les poches au détriment des usagers et salariés.
Avec l’ouverture du marché de l’énergie en France, la précarité énergétique n’a cessé d’augmenter et des milliers d’emplois ont disparu. Le projet « Hercule » pourrait encore aggraver ces tendances.
C’est pourquoi, l’Ufict-CGT et sa Fédération Mines Énergie CGT s’opposeront à toute transformation d’EDF dont les conséquences industrielles et sociales seraient catastrophiques.
Les élections au CA d’EDF de juin et au CSE en novembre, avec un vote massif CGT, seront un premier signe pour la Direction et ce gouvernement.

Face à des échéances cruciales pour EDF, avec notamment le projet de scission Hercule envisagé pour fin 2019, le score et le nombre d’AS CGT pèsera dans la balance : pas une voix ne doit manquer pour ces élections du 7 juin au 13 juin, à commencer par tous les syndiqués CGT et Ufict-CGT !

La scission d’EDF aurait des conséquences industrielles et sociales catastrophiques

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