Évaluer ou contrôler

La double face des baromètres sociaux en entreprise.

Dans un monde du travail évolutif, où le bien-être des salariés et l’engagement envers l’entreprise deviennent des leviers stratégiques de performance, le baromètre social est un outil central mats controversé. Conçu pour mesurer divers indicateurs de bien- être des salariés, mais avant tout pour ressentir le climat social interne, ce baromètre se veut être un pont entre les aspirations des salariés et les objectifs de l’entreprise. Il incarne, en théorie, une démarche d’amélioration continue pour renforcer la cohésion interne et optimiser l’environnement de travail. Mais sa mise en œuvre pratique soulève des interrogations légitimes…

Est-ce un outil d’enquête pour diagnostiquer et véritablement améliorer les conditions de travail? Ou bien est-ce un instrument potentiel de manipulation et de contrôle? La frontière est parfois ténue et cette dualité, perçue par nombre de salariés, invite à une réflexion approfondie sur la véritable nature et l’efficacité du baromètre social en entreprise. Est-il un mécanisme bienveillant d’écoute et de progrès? Ou peut-il devenir une forme déguisée de surveillance, altérant la confiance et la sincérité des relations au sein de l’entreprise?

Ce dossier Options tente d’apporter quelques réponses…

Pourquoi les baromètres sociaux fleurissent-ils au printemps?

Questions et synthèses des réponses sont subtilement pesées par les Directions des entreprises…

Le baromètre social aborde des questions de perception par les salariés de leur parcours, de la stratégie de l’entreprise, du management, des conditions de travail, du climat psychologique… II est la plupart du temps réalisé par un prestataire et son but est d’identifier les points forts et les points faibles de l’environnement de travail, les signes de malaises ou de conflits latents. Il sert aussi à évaluer l’efficacité des politiques RH mises en oeuvre.

En 2019, l’étude intitulée « L’engagement des salariés en France : état des lieux et perspectives », menée sur 500 entreprises de tous secteurs, révélait que 64 % des entre­prises interrogées utilisent cet outil pour mesurer l’engage­ment de leurs salariés. 80 % des entreprises le considèrent comme un outil utile pour améliorer le climat social et 72 % ont constaté une amélioration de l’engagement de leurs salariés.

64 % des entreprises interrogées l’utilisent et 72 % constatent une amélioration de l’engagement de leurs salariés

Ces enquêtes de baromètres sociaux sont souvent an­nuelles, anonymes (pour la sincérité des réponses), et contiennent des questions ouvertes (pour une libre ex­pression) et fermées (choix d’une ou plusieurs réponses).

Un outil d’enquête au service des entreprises

L’utilisation du baromètre offre des avantages significatifs aux entreprises. En premier lieu, il ouvre un canal de com­munication entre le salarié et sa Direction, court-circuitant au passage les corps intermédiaires que sont les organisa­tions syndicales. C’est aussi un moyen d’identifier rapide­ment les zones de tension dans l’organisation et les diffi­cultés rencontrées par les salariés. Cette détection précoce vise à résoudre les problèmes avant qu’ils ne s’aggravent, préservant ainsi la productivité attendue.

Cela implique la définition d’objectifs précis, une métho­dologie d’enquête rigoureuse et adaptée, et une communi­cation des résultats sur divers items : conditions de travail (charge, organisation, ressources), relations interperson­nelles avec les collègues et la hiérarchie, sentiment de reconnaissance, équilibre vie pro/vie perso, engagement (implication, motivation), satisfaction globale…

Les salariés ont ainsi la sensation d’être entendus et considérés en donnant librement leur avis sur leur envi­ronnement de travail, et font aussi des propositions. Le baromètre social aide donc les entreprises à cerner les axes d’amélioration, tout en aidant à prévenir les risques psychosociaux et à fidéliser leurs salariés. Mais l’objectif ultime, souvent implicite, est de renforcer la performance de l’entreprise.

L’objectif ultime, souvent implicite, est de renforcer la performance de l’entreprise

Et l’exercice a ses limites, comme le risque de non- participation qui fausse les résultats, ou des difficultés à garantir l’anonymat total des réponses quand le panel des répondants est trop réduit. De plus, toutes ces données recueillies sont soumises à interprétation quant aux véritables causes sous-jacentes des problèmes soulevés…

Le dilemme: quand la méfiance éclipse la confiance

Dans de nombreuses organisations, les baromètres sociaux ne rencontrent pas la totale adhésion espérée

des salariés. Car plutôt que de les voir comme des outils bénéfiques, nombre de salariés les considèrent comme des instruments de manipulation et malgré les garanties affichées de confidentialité, les doutes persistent.

« Nous sommes inquiets que nos réponses ne soient pas réel­lement anonymes, ce qui nous incite à la prudence dans nos commentaires » explique Émilie, salariée d’EDF : une réac­tion loin d’être isolée pour ceux et celles qui voient ces en­quêtes plus comme des outils de surveillance, que comme clés moyens d’amélioration.

Mathieu, manager chez EDF, exprime une frustration com­mune. « il semble que les résultats sont utilisés principalement pour polir l’image de l’entreprise, plutôt que pour résoudre les problèmes. Lorsque les résultats des baromètres ne mènent pas à de réels changements, cela renforce le scepticisme des équipes. À quoi bon répondre si cela n’entraîne aucun changement ? ».

« Pour polir l’image de l’entreprise plutôt que pour résoudre les problèmes » ?

Une perception confirmée par Jean-Christophe, cadre chez EDF ; « J’y ai cru lors de la enquête, avec l’espoir que cela allait faire remonter ce que, nous tous, vivions. Mais sitôt après avoir entendu les « enseignements » qu’en tiraient les

Directions, ça a été la douche froide : conclusions biaisées, réa­lité des chiffres ignorée, voire interprétée… Si moins de 50% des agents n’avaient pas adhéré à un sujet, c’était forcément un manque de « pédagogie » et non un désaccord avec l’organisa­tion ou les objectifs mis en place. Et on nous réexpliquait ce que tout le monde avait compris ! Depuis, je ne réponds plus, nos souhaits de changement de cap n’étant pas considérés, et meme plutôt détournés. Les questions essentielles de notre quotidien de travail ne peuvent se satisfaire de réponses comme « oui/non/ peut-être/jamais ». Les seules questions où un avis personnel est demandé sont absentes des retours faits par les Directions… probablement trop précises et détaillées pour eu tirer des généra­lités allant dans le sens des décisions prises ».

La peur d’être surveillé peut même induire une certaine pression pour donner des réponses faussement posi­tives… par peur de représailles. « On a l’impression d’être surveillés et qu’il faut donner une bonne image, sinon cela pour­rait être mal vu » confie Julien, manager de première ligne. Ces inquiétudes alimentent un climat de méfiance, entre le personnel et les Directions, qui nuit à l’engagement et à la motivation des employés. Pour reconstruire la confiance, il serait crucial que les entreprises augmentent la trans­parence autour de ces enquêtes, acceptent les véritables résultats et mettent de vraies mesures d’amélioration en place, visibles par tous les salariés.

Vous trouverez ici  Les baromètres sociaux dans nos entreprise

Quel serait le baromètre social « idéal »?

Les baromètres sociaux devraient renforcer la cohésion et améliorer l’environnement de travail. Mais leur réalité est bien plus complexe, et parfois contradictoire dans leur mise en œuvre. Si les objectifs sont parfois louables, leur restitution et leurs effets concrets soulèvent d’importantes questions sur leur véritable efficacité et intégrité.

L’examen détaillé des baromètres sociaux de différentes entreprises montre une tendance à la méfiance et à la rési­gnation. Cette situation est exacerbée par des pratiques qui semblent plus utiliser ces outils pour la surveillance ou la justification de politiques préétablies, que pour un véri­table engagement envers un changement constructif. Et les doutes, quant à l’anonymat, s’ajoutent à cette défiance.

Méfiance, résignation et doutes sur la surveillance, l’anonymat, la justification de politiques préétablies !

Il est donc crucial et impératif pour les entreprises de réévaluer l’usage de ces baromètres, de restaurer la confiance, garantir l’anonymat et la transparence, de mettre en œuvre des actions concrètes, et ne pas s’en servir à des fins de relations publiques ou de contrôle interne.

L’Ufict-CGT revendique l’application de l’Article L2281 du Code du Travail qui régit le droit à l’expression directe et collective des salariés dans les entreprises : un cadre structuré, pour que les salariés puissent partager leurs opinions et leurs préoccupations de manière régulière et organisée.

L’Article L2281 du Code du Travail régit le droit à l’expression directe et collective des salariés dans les entreprises

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