Holacratie : Nouveau mode de management ?

[Options n°645 – mars 2019] Holon, holarchie, holacratie, holocratie, mais de quelle nouvelle langue managériale s’agit-il ? D’où vient ce concept et que recouvre-t-il ? Dans ce dossier Options part à la découverte d’une expérimentation menée à Engie.

Les chefs sont-ils obsolètes ?

L’holacratie nous promet-elle la fin des managers ? Peut-être, mais pas de tous. Dans ce nouveau monde du management – en principe heureux – les cadres dirigeants ne craignent rien. En revanche, la hiérarchie intermédiaire est une nouvelle fois montrée du doigt.

Après l’organisation matricielle dans les années 1970, l’entreprise libérée des années 1990 dans laquelle les salarié.e.s sont « totalement libres et responsables dans les actions qu’ils jugent bon – eux et non leur patron - d’entreprendre »1, puis la sociocratie « un monde de gouvernance sans structure de pouvoir organisé »(2), voici venu le temps de l’holacratie…

Arthur Koestler, ingénieur de formation et pourfendeur du totalitarisme soviétique avec « Le zéro et l’infini », publie en 1967 un essai, le dernier d’une trilogie sur le génie et la folie de l’homme. Traduit en français sous le titre « Le cheval dans la locomotive »(3), Koestler invente le néologisme « holarchie » ou « holocratie » ou encore « holacratie », élaboré à partir du terme « holon », qui est à la fois un tout et une partie.

L’holarchie est une hiérarchie d’holons, de tout et de parties, qui s’oppose à la hiérarchie, une création artificielle de l’esprit humain. Pour son inventeur, le modèle holarchique est une tentative de modification des perceptions de la hiérarchie naturelle.

Une méthode de management d’entreprise et d’organisation du travail

Pour remplacer les managers de proximité

Au début des années 2000, la société HolacratieOne (USA) s’inspire des idées d’Arthur Koestler pour développer une nouvelle méthode de management d’entreprise et d’organisation du travail. Fondée sur l’idée que l’organigramme, la hiérarchie et les chefs, suscitent plus de problèmes qu’ils n’en résolvent, HolacratieOne veut donc donner davantage d’autonomie et de responsabilité aux salarié.e.s. L’holacratie est présentée comme une alternative au modèle conventionnel pyramidal. Elle fonctionne avec des règles (la constitution holacratique), tout en étant divisée en rôles et en cercles (une équipe). Via un système de réunions de régulation, elle vise en fait au remplacement du management intermédiaire et fonctionnel.

Charlotte(4), salariée du service juridique d’Engie, au cœur de l’expérimentation, reste sceptique face à l’holacratie. « Peut-être ai-je l’esprit un brin cynique et conservateur, mais l’organisation holacratique n’a pas modifié ma façon de travailler. Je n’ai pas été vraiment convaincue, alors qu’au départ, j’étais absolument ouverte et très encline à apprendre quelque chose de nouveau ». Visiblement, elle n’est pas la seule, car son cercle, composé d’une petite quinzaine de personnes, est revenu à des méthodes plus traditionnelles. « Nos réunions étaient plutôt inefficaces, elles prenaient trop de temps. Nous avons arrêté l’expérience en fin d’année ».

L’holacratie vise à remplacer le management intermédiaire et fonctionnel

Holacratie au Négoce chez Engie

Une autonomie formelle, aux antipodes du management participatif

Que penser d’une expérience de mise en place de l’holacratie, en cours dans l’entité Négoce d’Engie, quand la CGT revendique des modes de management plus démocratiques, plus collectifs, libérant l’initiative, favorisant l’épanouissement personnel et tout en garantissant le « contrôle social » (c’est-à-dire la protection des salariés via leurs droits, leurs garanties sociales et les prérogatives de leurs représentants). Après deux ans d’expérimentation sans consultation préalable des IRP, le CHSCT de Négoce a commandité une expertise qui est riche d’enseignements. Réalisée entre février et mars 2018, cette expertise a été présentée en CHSCT en juin 2018.

La mise en place de l’holacratie est volontaire et concerne actuellement 22 % des effectifs, quasiment tous cadres, surtout dans les fonctions Etat-Major et Développement commercial. Le présupposé, que nous partageons, est celui du « travailler autrement » : ce sont ceux qui font, qui savent. Donc, pour que l’entreprise fonctionne, il faut juste que les salarié.e.s s’autocontrôlent et déterminent collectivement la répartition des activités.

La remise en cause des manageur.se.s intermédiaires

L’holacratie vise ainsi à développer l’autonomie, la responsabilité, à faciliter la distribution des tâches, la régulation de la charge, la reconnaissance au travail, le renforcement du collectif. Mais ces objectifs sont inégalement atteints…

L’holacratie remplace, via un système de réunions de régulation, les manageur.se.s de proximité. C’est d’ailleurs le principal objectif de cette méthode. Dans le collimateur : la suppression de la hiérarchie intermédiaire. Et ce qui a été vendu aux entreprises, c’est un gain de coût d’au moins 15 %. Les manageur.se.s de proximité se trouvent donc, du jour au lendemain, sans responsabilité, ou plutôt dans une situation intermédiaire qui consiste à exercer une forme de contrôle non reconnue dans le système holacratique.

Ce qui a été vendu aux entreprises, c’est un gain de coût d’au moins 15 %

Les auteurs du rapport relèvent que nombre de manageur.se.s sont en souffrance et se sentent abandonné.e.s : sans responsabilité et plus ou moins placardisé.e.s. D’autant que la méthode holacratique est appliquée, sans aucune réflexion collective préalable sur le fonctionnement et les modes de management. Il n’y a aucune construction collective d’un système adapté à l’équipe et à ses membres. Du coup, certains anciens manageur.se.s en titre gardent la même façon de fonctionner, tandis que d’autres jouent en coulisse pour conserver leur pouvoir. A la lecture du rapport CHSCT, il apparait clairement que celles.ceux qui connaissent et maîtrisent les règles du système holacratique (appelées la « Constitution ») peuvent bloquer des initiatives.

Le rôle strictement hiérarchique est dévolu aux cercles qui se superposent. Il y a toujours la hiérarchie puisqu’il y a des cercles supérieurs et les règles holacratiques sont très claires : le cercle supérieur (dit « cercle d’ancrage ») « définit la raison d’être » et prend les décisions stratégiques qui s’imposent à tous.

Un bilan mitigé

Si l’autonomie dans le travail est bien vérifiée, il reste toujours la hiérarchie des cercles et le constat que le travail lui-même est très peu modifié ; c’est une autre façon de manager « un autre mode d’organisation du travail et non une transformation de l’entreprise »(1). Et cet autre mode d’organisation du travail crée aussi de la frustration et du ressentiment, car les décisions émanant du cercle peuvent être violentes : « …et les gens au-dessus, il n’y a plus de tampon, ils agissent et peuvent prendre des décisions parfois violentes sans avoir en face des contrepouvoirs parce que les lampistes en bas ne savent même pas ce qui s’est passé »(1).

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Entreprise_libérée
(2) https://fr.wikipedia.org : wiki/Sociocratie
(3) Arthur Koestler : Le cheval dans la locomotive. Les Belles Lettres. Paris 2013
(4) Le prénom a été modifié