La CGT et la politique – Peut-on transformer la société sans agir politiquement?

Dans un contexte de crise démocratique, de montée de l’extrême droite et de dé­fiance croissante envers les organisations syndicales et politiques, la CGT s’inter­roge sur son rapport au politique. Cette question, essentielle, a été débattue lors d’une table ronde avec Bernard Thibault, ancien Secrétaire Général de la CGT, et Léon Deffontaines, porte-parole du PCF.

Le lien entre syndicalisme et politique est historique

Si de nombreux militants expriment un malaise ou une difficulté à assumer une dimension politique dans leur activité, Bernard Thibault leur rappelle que le lien entre syndicalisme et politique est historique. Dès ses origines, la CGT a affirmé son indépendance vis-à-vis des partis, mais sans jamais être apolitique. Il cite un texte de 1895, antérieur à la charte d’Amiens, qui revendiquait une CGT « en dehors de toute école politique », et souligne que cette position n’a jamais été synonyme d’indifférence.

Car la charte d’Amiens, souvent instrumentalisée, est un com­ promis entre différentes tendances. Elle ne doit pas être interprétée comme une injonction à la neutralité. Léon Deffontaines insiste sur la confusion entretenue par les médias entre indépendance et apolitisme, dénonçant une volonté d imposer une neutralité politique aux syndicats. Bernard Thibault, lors de son parcours syndical, affirme n’avoir jamais vécu de porte-à-faux entre CGT et PCF.

Il revient sur la démission de Louis Viannet du bureau politique du PCF, qu’il voit comme un acte fort de la part de son prédécesseur. Tout en reconnaissant une proximité avec les partis progressistes, il insiste sur le rôle irremplaçable des luttes syndicales dans les conquêtes sociales. Car même sous un gouvernement favorable, l’action syndicale reste indispensable. Contrairement à 1936 où les luttes syndicales furent décisives, en 1981 la CGT a été critiquée pour avoir “levé le pied” une fois la gauche au pouvoir.

Mener des actions collectives devient plus difficile

Le débat s’est poursuivi avec l’évolution des forces orga­nisées et la perte de légitimité des “institutions” depuis le référendum de 2005 sur la constitution européenne. Léon Deffontaines évoque une atomisation de la société, où les anciens cercles de socialisation disparaissent, rendant l’action militante plus difficile. D’autant que les collectifs de travail sont plus éclatés, ce qui complexifie la syndica­lisation. Il souligne que la gauche n’a pas tenu sa promesse de « changer la vie », ce qui oblige d’autant plus la CGT à reprendre cette question sociale à son compte et d’avoir un message clair. Les entreprises doivent devenir des lieux de pouvoir et de démocratie. Il appelle à internationaliser la question du pouvoir des travailleurs.

En écho, Bernard Thibault rappelle le préambule de la charte de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) « Il n’y a pas de paix durable sans progrès social, la misère menaçant la prospérité de tous », mettant en garde contre les ré­ponses nationalistes qui détournent la colère sans remettre en cause le capitalisme. L’absence de progrès social ouvre la voie à des idéologies dangereuses… Le débat aborde aussi la stratégie face au Rassemblement National. Bernard Thi­bault affirme que ne pas parler du RN ou de l’immigration, c’est déjà prendre position. Il dénonce les tentatives d’infil­tration du RN dans les syndicats et appelle à une clarté absolue sur la dangerosité de l’extrême droite.

« Il n’y a pas de paix durable sans progrès social » : Charte de l’OIT

Recréer du lien, du collectif

Pour Léon Deffontaines il faut politiser les enjeux : le RN prospère sur la dépolitisation. Les syndicats doivent recréer du lien, du sens, du commun, et contrairement aux discours médiatiques, la CGT est bien un frein à la montée du RN.

Les échanges avec la salle ont permis d’approfondir plusieurs enjeux majeurs : la transformation du monde du travail avec la montée des Ingénieurs Cadres et Techniciens, la perte de repères collectifs, la baisse de l’engagement militant, la posture à adopter face aux élus RN… Car quelle posture adopter face aux élus RN, notamment lorsque les luttes syndicales débordent sur le champ institutionnel ? Bernard Thibault est clair: il ne s’agit pas de faire la morale, mais il faut refuser la banalisation. Traiter les élus RN « comme les autres » reviendrait à valider leur logique politique : c’est incompatible avec les valeurs de la CGT. Il appelle à une vigilance constante et à une mobilisation syndicale qui ne cède pas à la normalisation en cours de l’extrême droite.

Reconstruire un cadre collectif d’action et de sens

Les intervenants reviennent aussi sur l’évolution du sala­riat. Le diplôme n’est plus une protection, et les logiques libérales pénalisent toutes les catégories. Léon Deffontaines regrette que les organisations syndicales et poli­ tiques aient tardé à s’adapter à l’atomisation du monde du travail. Faute de projet offensif, les luttes récentes ont été défensives. Selon Bernard Thibault, la CGT n’a pas évolué aussi vite que les statuts des salariés et sa structuration apparaît sclérosée : sa vocation est de rassembler tous les travailleurs ! Il déplore la division syndicale qui nuit à l’ef­ficacité. Pourtant il n’y a pas, selon lui, de dépolitisation : il s’agit plutôt d’une moindre « appartenance partisane ». L’enjeu est donc moins de réinjecter une identité politique que de reconstruire un cadre collectif d’action et de sens.

 

 

 

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