La Qualité de Vie et des Conditions de Travail est inscrite dans le code du travail depuis 2021 Succédant à la QVT (Qualité de Vie au Travail), la Qualité de Vie et des Conditions de Travail (QVCT) a été instaurée par un Accord National Interprofessionnel (ANI) signé en 2020 qui a été transposé dans le Code du travail par la loi du 2 août 2021
Avec la QVCT, les conditions de travail deviennent un levier d’action renforcé
Ce changement n’est pas qu’une question de vocabulaire car il replace les conditions de travail au cœur du sujet et offre aux représentant·es du personnel un levier d’action renforcé. L’enjeu est désormais de s’en emparer collectivement, avant que les employeurs n’imposent leur propre vision : c’est précisément l’objet de la prochaine campagne de l’Ufict-CGT.
La QVCT impose de traiter le travail lui-même
Alors que la QVT se limitait le plus souvent à des actions périphériques, avec la QVCT : charge de travail, moyens humains et matériels, organisation, management, objectifs sont mis en avant. L’ANI de 2020 définit la QVCT comme « les conditions dans lesquelles les salariés exercent leur travail et leur capacité à s’exprimer et à agir sur le contenu de celui-ci ». Il ne s’agit donc plus de compenser les effets néfastes du travail, mais d’agir sur leurs causes.
Ne plus compenser les effets néfastes du travail, mais agir sur ses causes
Les Comités Sociaux et Économiques (CSE) via leurs Commissions Santé, Sécurité et Conditions de Travail (CSSCT) ont donc désormais une légitimité renforcée pour intervenir sur ces questions. La QVCT devient un sujet de négociation collective à part entière, inscrit dans le Code du travail. Les organisations syndicales disposent ainsi d’un cadre juridique pour porter des revendications concrètes sur l’organisation et la charge de travail, les moyens humains et matériels, l’évolution professionnelle.
Un cadre juridique pour porter des revendications syndicales concrètes
Mais ce cadre juridique ne suffit pas. Car si les représentant·es du personnel n’investissent pas rapidement ce terrain, les directions le feront à leur place, avec leur propre agenda. Les premières négociations collectives sur la QVCT ont montré les interrogations voire le désarroi des DRH qui « ne savent pas quoi mettre » dans les accords : c’est une opportunité qu’il faut saisir dès maintenant.
De l’échec de la QVT aux enjeux actuels de la QVCT
La QVT, définie elle aussi par un ANI signé en juin 2013, était censée répondre à la généralisation des Risques Psycho-Sociaux (RPS). Mais au regard de la transformation de toutes les entreprises, les objectifs de performance et de productivité sont de plus en plus au cœur des stratégies des directions. Les conditions de travail se sont durcies avec des employeurs qui refusent de prendre en compte les vrais problèmes. Ils ont donc développé des outils de « bien-être au travail » qui déplacent ces problèmes vers la sphère privée, en tentant de rendre la ou le salarié·e responsable de sa santé au travail, alors qu’il s’agit d’une obligation légale inscrite dans le Code du travail.
Les chiffres du sondage Ufict-Viavoice de 2024 (réalisé auprès de 2 660 cadres) parlent d’eux-mêmes : 67 % estiment leur charge de travail élevée, 58 % déclarant qu’elle a augmenté en un an. 45 % se considèrent soumis à des risques psychosociaux organisationnels. 50 % estiment que leur rémunération n’est pas en adéquation avec leur temps de travail effectif et leur implication. Et cela atteint même 67 % chez celles et ceux qui travaillent fréquemment pendant leurs jours de repos. Plus d’un tiers des cadres (37 %) et près d’un·e encadrant·e sur deux travaillent plus de 45 heures par semaine. 45 % déclarent travailler fréquemment pendant leurs jours de repos, une proportion qui augmente avec l’âge et atteint 53 % chez les 60 ans et plus.
Les initiatives “bien-être au travail” sont de la poudre aux yeux
Ces réponses éclairent sur une réalité simple mais brutale : l’intensification du travail est là, mesurable et vécue au quotidien. Face à cela, les “initiatives bien-être” apparaissent pour ce qu’elles sont : de la poudre aux yeux. Le sondage, d’ailleurs, le confirme, car 33 % des cadres estiment que les initiatives de “bien-être au travail” mises en place par leur entreprise, n’ont aucun impact, et seulement 11 % leur attribuent un impact important. Cela illustre l’énorme décalage entre la communication des directions et le ressenti des salarié·es.
Quantifier la QVCT pour déterminer les actions d’amélioration
Les premières négociations collectives sur la QVCT ont révélé des DRH bien démunies… Au Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), elles ont pratiquement viré à la caricature. Après une réflexion approfondie, le syndicat CGT du BRGM a donc tenté d’impulser une démarche QVCT en développant un outil simple et objectif, visant à quantifier le plus précisément possible la QVCT et cibler au mieux les actions d’amélioration.
La QVCT est un concept subjectif, traduisant le ressenti des salarié·es. Elle peut donc être vue comme la somme de différents marqueurs qui varient évidemment d’une entreprise à l’autre : la charge de travail, la reconnaissance du travail réalisé, l’articulation entre vie privée et vie professionnelle, la santé au travail, l’état des collectifs de travail, …
La QVCT est un concept subjectif, une somme de différents marqueurs
La façon la plus simple pour l’estimer objectivement est de demander directement leur avis aux salarié·es, par exemple une fois par an. Mais il faut s’assurer que les questions sont bien posées, bien formulées et qu’elles sont identiques d’une année sur l’autre. Bien sûr, ce questionnaire doit être validé par les élu·es du personnel, via les commissions SSCT des CSE. Et afin de quantifier aussi précisément que possible le ressenti des salarié·es, la meilleure solution consiste à noter (sur 10 ?) l’état des lieux de chaque marqueur.
Ce questionnaire dédié à la QVCT pourra être intégré (ou non) aux baromètres sociaux.
L’amélioration de ces différents marqueurs QVCT repose sur des moyens, incluant les locaux, les espaces de travail, les horaires de travail, le temps de travail, les salaires, les évolutions de carrière, le management, le télétravail, les outils à disposition des salariés, le service médical… Chacun des marqueurs reste tributaire d’un ou plusieurs moyens : ainsi la charge de travail dépend du temps de travail, du management… Inversement, un moyen peut influer sur plusieurs marqueurs : le télétravail influe sur les collectifs de travail, l’articulation vie privée/vie professionnelle…
Si la plupart de ces moyens relèvent d’accords collectifs, d’autres nécessitent des actions de la part des RH, comme les questions liées au management. D’autres enfin exigent des actions au plus haut niveau (directions générales), comme le cas des locaux.
La mesure de la QVCT illustrée par un exemple concret
Dans le tableau ci-dessous, l’état du marqueur « collectifs de travail » (ligne) dépend des moyens (colonnes) : télétravail, horaires de travail, management.
Mais le moyen « télétravail » influe sur l’articulation entre vie privée et vie professionnelle et sur les collectifs de travail.
Le moyen « management » influe sur les marqueurs : charge de travail, reconnaissance du travail accompli, santé au travail, collectifs de travail.
Ce tableau, propre à chaque entreprise, doit être établi par, ou au moins en accord, avec les représentant·es du personnel.

Le score de chaque marqueur (ligne) est déterminé par les réponses des salarié·es consulté·es (une moyenne des « notes » du questionnaire qu’ils ont rempli).
Ensuite, l’impact de chaque moyen (colonne) correspond au nombre de marqueurs jugés pertinents par les salariés. Et le score de chaque moyen (colonne) est la moyenne des scores de ces marqueurs.
Les salarié·es attribuent une note suivant l’état des lieux de chaque marqueur pour quantifier les impacts
Dans cet exemple, l’impact du management sur la QVCT est deux fois plus important que celui du télétravail (4 contre 2). Et son score est inférieur : 2,5 contre 4 ! Le plus urgent est donc de mettre la pression sur la DRH pour améliorer le management. La renégociation de l’accord télétravail n’est pas pour autant oubliée… mais suivra dans un second temps.
Les décisions d’action doivent relever des représentant·es du personnel
Et en premier lieu des commissions SSCT des CSE. Jusqu’à présent les directions ont trop souvent, voire systématiquement, « noyé le poisson » en créant des groupes de travail “ad hoc”, constitués de hauts managers ou de salarié·es trié·es sur le volet… et ne se réunissant presque jamais. Cette absence d’engagement réel a fini par déboucher sur la mise en place de « mesurettes », au mieux très insuffisantes, au pire totalement déconnectées voire nocives. Car l’essentiel était de surtout ne pas remettre en cause l’organisation du travail.
Les CSSCT doivent devenir décideurs à toutes les étapes du processus
Les CSE via leurs CSSCT doivent devenir décideurs à toutes les étapes du processus, depuis la rédaction des questionnaires, jusqu’aux décisions d’actions à prendre. Ainsi les Instances représentatives du Personnel pourront alerter les DS (délégués syndicaux) et les DRH s’il faut améliorer un accord, en initier la négociation d’un autre, alerter les directions générales si ça relève de leur champ d’action, au besoin diligenter des enquêtes… et toutes ces préconisations devraient être discutées en réunions plénières des CSE.
Quatre pistes concrètes pour améliorer la QVCT et les conditions de travail des ICTAME
Pour améliorer concrètement la QVCT des Ingénieurs Cadres Techniciens et Agents de Maîtrise d’Encadrement (ICTAME), l’Ufict-CGT a identifié, à une échelle plus large que celles des entreprises, quatre axes prioritaires en s’appuyant sur les résultats du sondage Viavoice 2024.
Équilibre vie professionnelle / vie personnelle
C’est une priorité pour 78 % des cadres. Les transformations des modes de travail, l’essor du télétravail, la flexibilité accrue… ont brouillé la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle. Les ICTAME sont soumis à des attentes élevées et à des horaires étendus, sans réelle prise en compte de leur besoin de déconnexion et de repos. L’hyperconnexion conduit à rester joignable en permanence, ce qui entraîne une perte de repères temporels et augmente les risques de burn-out. La flexibilité induit souvent une surcharge de travail ou un empiétement sur la vie personnelle. L’absence de limites engendre du stress, des troubles du sommeil et des problèmes de santé mentale.
➡ Le droit à la déconnexion doit donc être strictement respecté et formalisé par des accords collectifs.
➡ Le télétravail doit être encadré (nombre de jours maximal, plages horaires fixes).
➡ Les politiques d’aménagement du temps de travail (forfait jours, RTT) doivent être plus ambitieuses.
Charge de travail et reconnaissance professionnelle
67 % des cadres estiment que leur charge de travail est élevée, et 58 % déclarent qu’elle a augmenté depuis 2023. Cette intensification résulte des suppressions de postes, des réorganisations en cascade et d’objectifs toujours plus intenables. Et cette charge qui s’accroît est rarement accompagnée d’une reconnaissance salariale ou professionnelle, alors que cela joue pourtant un rôle clé dans la motivation et l’engagement au travail. Les salaires stagnent et les évolutions de carrière sont trop lentes. 50 % des ICTAME estiment que leur rémunération ne reflète pas leur temps de travail effectif et leur implication.
➡ Les critères de performance doivent donc être clairs et équitables : augmentations salariales, promotions, primes.
➡ La charge de travail doit faire l’objet d’audits avec la suppression des objectifs irréalistes.
➡ Enfin les compétences doivent être reconnues à leur juste valeur.
Conditions de travail numériques et prévention des risques
La transformation numérique a profondément modifié les conditions de travail. Si les outils digitaux apportent des gains de productivité, ils sont aussi source de risques importants : fatigue mentale, surcharge cognitive, et troubles musculosquelettiques (TMS). La multiplication des réunions virtuelles induit une fatigue digitale. L’utilisation et la gestion simultanée de plusieurs outils et plateformes numériques alourdit la charge mentale et entraîne une dispersion de l’attention et une perte d’efficacité. L’équipement de télétravail n’est pas toujours ergonomique (siège, écran, clavier).
➡ Des formations à la gestion des outils numériques et à la réduction de la surcharge cognitive doivent être dispensées, ainsi que des sensibilisations au droit à la déconnexion.
➡ L’employeur doit aussi fournir un équipement ergonomique adapté au télétravail.
Évolution professionnelle et gestion des compétences
49 % des cadres imaginent leur évolution professionnelle comme stagnante dans les années à venir, contre 41 % qui la voient positive. L’absence de mobilité interne et de véritables parcours de carrière en est la cause. Les techniciens et agents de maîtrise, pour leur part, souffrent du manque de reconnaissance de leurs compétences et ont peu de perspectives de promotion interne. Les formations qualifiantes restent insuffisantes. Et si les mutations technologiques nécessitent des compétences nouvelles, les formations proposées sont souvent déconnectées des besoins réels.
➡ De vrais parcours de carrière personnalisés doivent être mis en place, avec un accompagnement des salarié·es.
➡ Les formations qualifiantes et promotionnelles doivent être renforcées.
En conclusion : la QVCT ne doit pas être un habillage de communication des directions
Nous devons utiliser la QVCT comme un levier de transformation du travail. Mais pour cela il faut s’en emparer collectivement et en faire un véritable outil de revendication et de négociation. L’Ufict revendique que les ICTAME travaillent dans de bonnes conditions de travail, avec des moyens adaptés, une reconnaissance réelle et un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Le sondage Ufict-Viavoice montre aussi qu’elles et ils sont prêt·es à se mobiliser pour défendre leurs droits et leurs conditions de travail. Il importe pour cela qu’elles, et ils, prennent en main l’amélioration de leur QVCT, avant que les employeurs n’imposent leur calendrier, leurs « éléments de langage », leurs manœuvres dilatoires…
La QVCT est un levier de transformation du travail et un outil de revendication et de négociation
La campagne QVCT que l’Ufict-CGT lancera prochainement répondra à cette volonté d’agir ensemble, à partir du terrain.