Après les échanges stimulants du colloque M. Pro du 11 mai dernier, Options prolonge la discussion dans le cadre de cette campagne. La parole à des managers de proximité sur leur travail au quotidien.
Déjà, soyons clair ! Il y a ceux qui ont le titre de manager de proximité ou de première ligne mais pas le salaire. Il y a ceux qui ont le job, mais qui n’ont ni le titre, ni le salaire. Il y a ceux qui ont un autre titre avec des primes mais pas le salaire etc. etc.
Et puis, il y a les catégories et les statuts : cadres, agents de maîtrise et « encadrants » (ceux qui tutoient le statut cadre mais n’en ont pas le titre). Déclarés aptes à encadrer une équipe sur un plateau clientèle à EDF, Direction Commerce : « J’ai les ennuis mais pas le salaire et la reconnaissance professionnelle » regrette Dany*, manageuse de proximité depuis 2012 : « Je renseigne les conseillers, les rassure, les conseille. Je fais des recherches pour eux, je les accompagne et pas seulement ceux de mon équipe mais d’autres également. Je réalise les entretiens annuels, propose des formations et assure tout le suivi administratif ».
Les M Pro se reconnaissent dans l’enquête Ufict
Dany, comme André et Pascal, se reconnaissent pleinement dans les résultats de cette enquête. Agents de maîtrise exerçant la fonction de manager de proximité, les différences marquées dans les réponses, selon que l’on est cadre ou agent de maîtrise, ne représentent pas une surprise pour eux. « Un cadre a toujours un ou deux coups d’avance sur nous en termes d’information » concède Pascal qui leur reconnait également plus d’assurance dans l’exercice quotidien de leur travail. « Il existe un écart culturel entre la maîtrise qui vient de l’exécution et les cadres qui ont tous aujourd’hui une formation initiale Bac+5. Un agent de maîtrise aura besoin de se confronter à un supérieur, alors qu’un cadre est bien plus autonome dans ses actes » enchaîne André. Si la formation initiale entraine une telle différence, l’expérience et une formation professionnelle de qualité ne peuvent-elles venir à bout de ces inégalités de statut ? « Dans un poste où tout roule, la formation n’est pas une priorité » poursuit André, et il sait de quoi il parle : manager depuis 1998, ce n’est qu’en 2012 qu’il a pu suivre une formation universitaire de douze jours et acquérir des « certitudes sur ses compétences ».
Gérer un projet et/ou gérer des hommes et des femmes
Quant aux cadres qui exercent la fonction de manager de première ligne (MPL) à EDF, certains se retrouvent parfois avec des bribes de responsabilités et, au bout du compte, avec de sérieux problèmes de gestion d’équipes. Ainsi, à la DPINN (Direction de la Production et de l’Ingénierie du Nouveau Nucléaire), Jean-François observe deux fonctions de MPL : chef de projet et chef de structure. Le chef de projet « n’a pas de rôle hiérarchique mais il gère un budget, un échéancier et une répartition concrète de l’activité pour des projets parfois importants, avec plusieurs dizaines de personnes concernées ». Le chef de structure « décide des avancements, réalise les entretiens avec les salariés, fixe les objectifs et gère le planning des congés ».
A l’un le management, mais sans pouvoir de décision sur les avancements ; à l’autre, toute la gestion des ressources humaines, mais sans pouvoir effectif sur le quotidien de travail. Jean-François évoque « une foire d’empoigne » et des conflits récurrents entre chefs de projet poursuivant des objectifs différents pour décider d’un budget et des moyens humains appropriés.
Ces modes de fonctionnement issus des organisations matricielles percutent, parfois violemment, le mode pyramidal, encore largement dominant dans les entreprises de l’énergie. Et la mise en place du forfait jours n’arrange rien et contribue, dans certaines entités, à semer un peu plus le trouble avec un fonctionnement par objectif. A charge dès lors pour le salarié et son manager d’établir un plan d’action pour atteindre le ou les objectifs en question. Le MPL cède son rôle de donneur d’ordre pour endosser celui d’allié du salarié et évoluer en duo avec ce dernier. C’est simple… sur le papier !
Des applications en perpétuelle adaptation
Pas facile non plus, les outils et applications « maison »
Pascal doit en maîtriser 17 et en utilise 7 à 8 dans son quotidien Enedis. « Il faut être au top sur tous les outils sauf que nous les découvrons au fur et à mesure, sans vraie formation ». Or, c’est l’image du manager auprès de ses agents qui est en jeu. « Si tu ne sais pas les dépanner, tu perds ta crédibilité ».
Pascal arrive au petit matin pour lancer les applications et vérifier le bon fonctionnement des outils : « Tu commences ta journée par transpirer ». André parle d’applications en perpétuelle adaptation. « Pour PICTREL, l’outil de rendez-vous avec les abonnés, nous recevons une mise à jour quotidienne. Pour TAMARIS, l’outil d’exploitation du réseau, c’est plutôt deux. Chaque matin, sur quatre équipes, il y en a toujours une qui reste en panne.
La gestion de ces problèmes techniques fait partie de l’activité du M Pro qui doit faire toutes les mises à jour ». Même si André reconnait que les outils électroniques de cartographie « sont de bons outils, plus simples d’utilisation qu’une carte grande comme une table de salle à manger ».
Jean-François et ses collègues M Pro, chefs de projet et chefs de structure à la DPINN ont pour nombre d’entre eux réglé cette lancinante question des outils. Ceux fournis par l’entreprise ne correspondant pas aux besoins dans le travail quotidien, malgré une amélioration de leur qualité ces derniers mois, ils les remplacent par leurs propres téléphones, micro-ordinateurs et autres logiciels personnels. « Les consultants n’ont pas accès aux outils maison. Parfois, pour les besoins du collectif, nous utilisons un serveur extérieur pour héberger nos documents : ainsi, consultants et agents EDF y ont accès. C’est plus simple ».
Un temps de travail qui explose
Qui dit outils numériques dit connexion et parfois bien au-delà des horaires habituels. Les pratiques des M Pro sont inégales en la matière. Frédéric, animateur à GRDF depuis dix ans et « trente ans de boîte » n’éprouve pas le besoin de se connecter en dehors de ses heures de travail. André lui, est sur le qui-vive de 7h30 à 18h30 et consulte ses mails une fois par semaine lorsqu’il est en vacances. « Le téléphone portable est un très bon outil pour ce type de consultation. Je regarde ce qui est urgent mais je n’ouvre pas systématiquement chaque mail ». Dany est joignable pour ses agents et ses collègues de 8h à 18h30. « Après 18h30, je réponds si j’en ai envie. Je peux accepter de mordre sur ma vie familiale et c’est mon choix de laisser le téléphone professionnel allumé. Ce n’est pas mon chef qui me dit de rester joignable ».
Le week-end, elle éteint sa petite machine.
Pascal décroche du boulot. « Je n’emmène rien à faire à la maison au contraire de mon N+1 qui reste connecté même le week-end. Le matin, j’arrive un peu plus tôt que les agents, pour lancer et vérifier les applications. Le soir, je pars un peu plus tard pour achever ce qui est urgent et mettre de l’ordre ». Le mot de la fin revient à André : « Le téléphone portable est un outil à qui l’on donne l’importance que l’on veut ! ».
Dany, Frédéric, Pascal, André et Jean-François, sont également syndiqués à la CGT. Cet engagement peut provoquer quelques tensions dans l’exercice de leur métier de manager de proximité. « Ce qu’il faut, c’est être clair avec soi-même et porter honnêtement les messages de sa direction. Si j’ai des désaccords, je les discute avec mon responsable hiérarchique » explique Dany. Quand à Pascal, il lui arrive « d’être en porte à faux vis-à-vis de la CGT locale, par exemple lorsqu’il faut mettre en place des décisions que le syndicat critique. Bon, j’essaie de faire ce que je réclamais quand j’étais technicien ». On imagine des moments de grande solitude…
*Tous les prénoms ont été modifiés.