Négociation sur l’encadrement : interview de Marie-José Kotlicki, secrétaire générale de l’Ugict-CGT

[Options 652 – Décembre 2019 – p12-13]

Cette négociation sur le périmètre et les moyens donnés à l’encadrement pour réaliser ses missions aura un impact sur l’ensemble du salariat. Que ce soit sur les grilles de salaires, la conception de la hiérarchie et les rapports sociaux entre cadres et non-cadres au sein de l’entreprise.

Quelle définition l’Ugict-CGT donne-t-elle de l’encadrement ?

L’Ugict-CGT définit l’encadrement managérial et/ou technique par l’ensemble des salarié.e.s qualifié.e.s à responsabilité sociale, technologique, environnementale, économique. Ce sont les ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise qui, compte tenu du niveau de leur qualification, du degré d’autonomie dans le travail et de l’étendue de leurs responsabilités exercent des missions pouvant impacter significativement le collectif de travail, l’environnement de l’entreprise, ou sa dynamique économique.

Renforcer et élargir le statut cadre « professionnellement engagé et socialement responsable »

L’encadrement occupe donc une place et un rôle particulier dans l’entreprise. Il est le premier acteur de l’utilisation de nouvelles technologies, de choix technologiques, d’application de directives de l’employeur pour lesquelles il est privé de droit au désaccord public. Il est aussi soumis à des responsabilités dont il est de plus en plus justiciable à la place de l’employeur. C’est pourquoi l’Ugict-CGT revendique un renforcement et un élargissement du statut cadre constituant un ensemble d’exigences vis-à-vis de l’encadrement, mais aussi de droits et moyens afin qu’il puisse être « professionnellement engagé et socialement responsable ». Cette définition nationale et interprofessionnelle de l’encadrement basée sur sa place dans le travail, sa qualification, son expertise et sa technicité ne peut se réduire aux seules fonctions hiérarchiques de commandement, contrairement à la conception du cadre que porte le Medef.

Pourquoi le Medef semble ne pas souhaiter cette négociation ?

L’Agirc, au-delà de la retraite complémentaire des cadres du privé, donnait une définition interprofessionnelle de l’encadrement opposable aux branches professionnelles. Elle permettait ainsi de ne pas rémunérer des cadres comme des ouvriers/employé.e.s et pouvait requalifier un.e salarié.e en tant que cadre. La disparition de l’Agirc, supprime ces dispositions légales qui définissaient ces catégories objectives et donc, en creux, la catégorie ouvriers/employé.e.s. Les partenaires sociaux sont dans l’obligation d’ouvrir une négociation sur la définition de l’encadrement, son périmètre, son actualisation et son niveau de prévoyance. Le Medef fait preuve de peu d’appétence sur cette négociation car il refuse toute définition nationale de l’encadrement et souhaite laisser celle-ci au seul bon vouloir des employeurs, entreprise par entreprise. Ce serait alors le choix du prince… Ce pouvoir de définition unilatérale de l’employeur serait un moyen de mettre au pas l’encadrement en exerçant une forte pression sur les heureux et provisoires nominés !

Mais le Medef doit faire face à l’unanimité des organisations syndicales de salarié.e.s qui ont adopté la définition de l’Ugict-CGT en s’appuyant aussi sur celle de l’ONU, d’où la valse de ses chefs de file dans la négociation et l’annulation de multiples séances.

Quel parallèle entre cette négociation et celle des grilles de classification ?

Cette négociation interprofessionnelle se déroule de façon concomitante aux refontes des classifications dans les professions. La logique du patronat y est identique : refuser de reconnaître des critères objectivés pour définir l’encadrement et précariser la notion de cadre qui deviendrait dépendante du poste momentanément occupé, ou de la fonction exercée à l’instant T. Elle vise un triple objectif. Celui de nier définitivement la reconnaissance des diplômes dès l’embauche, ou la validation de l’expérience dans la carrière, pour augmenter la pression sur le prix du travail et singulièrement celui du travail qualifié. Le second objectif est de permettre un écrasement des grilles de rémunération pour tous, en faisant exploser les seuils d’entrée des classifications de l’encadrement. Enfin il s’agit de rendre les cadres dociles aux injonctions des directions, faute de quoi ils risquent de changer de poste et perdre leur statut !

Sortir les cadres du dilemme : « se soumettre ou se démettre »

L’enjeu principal de la définition transversale de l’encadrement réside dans la bataille de la reconnaissance des qualifications via la formation initiale (les diplômes) et l’expérience professionnelle.

Un autre impact de la négociation sur l’encadrement provient de l’intégration, ou pas, dans le périmètre de l’encadrement, de salarié.e.s détenant une haute expertise ou technicité, indépendamment de fonctions managériales. Le Medef mène une bataille contre la reconnaissance du professionnalisme de métier et de la technicité, prônant le tout management, le reporting : moins les cadres utilisent leur expertise, moins ils connaissent le métier et plus ils appliqueront et feront appliquer des directives déconnectées de l’activité. Ils perdront alors de leur légitimité au sein des collectifs de travail et seront isolé.e.s face à la direction. C’est le paradoxe du Medef : exiger l’autonomie et l’efficacité tout en entravant et niant l’expertise de l’encadrement. Les employeurs poussent à scinder les classifications de l’encadrement en deux filières distinctes : l’une technique peu rémunérée, l’autre managériale qui seule ouvrirait les perspectives de carrière.

C’est pourquoi l’Ugict-CGT, pilote pour la CGT de cette négociation sur l’encadrement, porte une définition transversale de l’encadrement sur des critères objectifs (niveau de qualifications, d’autonomie, de responsabilité) mais aussi des droits pour exercer réellement une autonomie dans leur travail liant la maîtrise de son travail, le respect de sa santé et l’équilibre des temps de vie, des droits à l’exercice de ses responsabilités. Cela permettra de sortir les cadres du dilemme : « se soumettre ou se démettre », face à des directives contraires à leur éthique professionnelle et/ou citoyenne : 64 % des cadres du public et du privé le souhaitent (sondage Ugict-CGT / ViaVoice septembre 2019).

Cette négociation sur le périmètre et les moyens donnés à l’encadrement pour réaliser ses missions aura un impact sur l’ensemble du salariat. Que ce soit sur les grilles de salaires, la conception de la hiérarchie et les rapports sociaux entre cadres et non-cadres au sein de l’entreprise.

 

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