À ne pas confondre avec « bonheur au travail »!
Les modes actuels de management utilisent un langage lissé, des émotions standardisées, de sorte que le bien-être au travail inonde les dis cours managériaux avec un but inavoué: la « servitude volontaire ».
Sincérité ou intention managériale?
De s une quinzaine d’années, la qualité de vie au travail (QVT) est montée en puissance dans les discours et les politiques RH. Face au stress, burn-out, quête de sens, équilibres de vie… les entreprises, soucieuses d’engage ment et d’image, ont intégré l’idée que le bien-être des salariés était aussi un levier de performance favorable à la rentabilité et au profit maximum.
Le bien-être des salariés est un levier de performance
De nombreuses initiatives ont vu le jour : télétravail, coaching, formations à la communication non violente, gestion des émotions, espaces détente, baby-foot, séances de yoga, de sophrologie, corbeilles de fruits… Mais à mesure que le bien-être devient une norme, il tend aussi à se vi der de sa substance humaine. Et c’est là qu’apparaît une étrange dérive qui limite les possibilités de contestation des salariés: celle d’un bien-être prescrit, standardisé, vidé de sa complexité émotionnelle. Et plutôt que remettre en question l’organisation du travail elle-même, les problèmes sont transférés vers la sphère privée.
Positive attitude linguistique
Comme expliqué lors des précédents Options, la novlangue est un langage appauvri, où les mots sont choisis pour annihiler la pensée critique. Le négatif dis paraît, les nuances aussi, et cette mécanique trouve écho dans certaines pratiques RH actuelles.
Ainsi, fini la « souffrance » au travail, et place au « désalignement temporaire ». Le burn-out devient une « perte d’énergie passagère » et le langage se veut rassurant en simplifiant à l’excès, mais devient culpabilisant. Car un salarié fatigué est-il simplement mal organisé? Un collaborateur en désaccord est-il juste « non aligné » ?
Le langage se veut rassurant en simplifiant à l’excès, mais devient culpabilisant
Derrière ces euphémismes se profile une logique : masquer les failles du système sous des mots positifs, individualiser les problèmes, éviter les remises en question des organisations, du manque d’effectif, de la charge de travail, des conditions de travail…
Le bonheur avant tout
Certaines directions d’entreprises vont encore plus loin, en instaurant des rituels de bien-être normés : « happiness managers », baromètres émotionnels, ateliers de positivité. D’apparence bien intentionnés, ces dispositifs deviennent parfois des outils de conformité. Il ne suffit plus d’être compétent, il faut aussi afficher son bonheur. Le sourire devient un acte de loyauté, mais ne pas aller bien devient suspect. Le salarié triste est alors un problème à résoudre, pas une personne à écouter. Le langage novlangue supprime les mots qui dérangent pour limiter l’expression des émotions.
Le langage novlangue supprime les mots qui dérangent pour limiter l’expression des émotions
Exigeons un retour à la nuance
Prenons exemple sur les rares entreprises qui tentent d’articuler bien-être et démocratie au travail. Elles mettent en avant : droit d’expression critique, reconnaissance des fragilités, aménagements concrets, formation des managers à l’écoute réelle.
Car le bien-être n’est ni un indicateur à surveiller, ni un objectif à imposer. C’est un processus vivant, collectif et imparfait, qui commence dans le réel, avec toute sa com plexité. Et la meilleure prévention contre la novlangue du bonheur, c’est de redonner leur place aux mots vrais, à l’écoute… à l’humain.