Pétrole, marchés financiers et transition énergétique

Taux d’intérêts négatifs sur les marchés bancaires, prix négatifs de l’électricité… et maintenant cours négatifs du pétrole !

Le pétrole est coté sur deux marchés financiers. Le plus connu est le Brent,     sur lequel sont négociés des contrats représentatifs du pétrole extrait en mer    du nord. En général, le prix du baril de pétrole fait référence au Brent. Le WTI (West Texas Intermediate) est coté à New-York, principalement pour du pétrole Etats-Uniens (Texas Louisiane, Dakota du Nord…). Il circule moins que le Brent et essentiellement par voie terrestre (oléoducs). Son prix dépend du pétrole issu du gaz de schiste dont la production s’est envolée en Amérique du Nord depuis les années 2010. Le cours du baril WTI est généralement légèrement inférieur à celui du Brent, tout en restant assez proche. Les 20 et 21 avril derniers les cours du pétrole se sont affolés puis ont chuté pour devenir négatifs sur le WTI… alors que le Brent est resté positif.

Choc de demande lié à la crise Covid-19 et au confinement

En France, la consommation de gazole a été inférieure de 75 % à 80 % à son niveau habituel (avions cloués au sol,industries au ralenti…). Jusqu’au mois d’avril, l’Arabie Saoudite et la Russie se sont livrées à une guerre des prix pourrécupérer des parts de marché perdues face aux USA. Dans un contexte d’effondrement de la demande, cela a créé le choc d’offre et une surproduction massive, car en plus, les compagnies privées américaines ont maintenudes niveaux de production élevés entrainant ainsi des problèmes de stockage du pétrole brut. Un brut qui restait stocké en mer dans les supertankers, qui ne pouvaient être déchargés faute de place à terre. Au final, Arabie Saoudite et Russie ont trouvé un accord pour diminuer leur production de 10 Millions de barils par jour à compter du 1er mai, ce qui a fait remonter les cours : fin avril le Brent se négociait à moins de 20

$ le baril (niveau non atteint depuis 1996) contre à 68 $ en janvier dernier (il est aujourd’hui remonté à 43 dollars).

Le marché pétrolier, un marché financier à terme

Les investisseurs (banques d’investissements, assureurs, fonds souverains, hedge funds), n’achètent pasphysiquement du pétrole. Ils négocient des contrats qui leur donnent le droit d’acquérir une certaine quantité de pétrole à un prix déterminé : ils revendent leurs contrats avant terme et empochent des plus-values… Le 20 avrilétait le dernier jour sur le WTI pour négocier les contrats pour une livraison en mai. Ce jour-là, beaucoup de vendeurs et très peu d’acheteurs : les compagnies pétrolières ont brutalement pris conscience que les offres étaienttrop importantes et les stockages déjà saturés. Elles ont tenté de liquider leurs positions ou de les reporter sur des contrats à échéance de juin. Mais à cela s’est ajouté le « jeu » habituel des spéculateurs : certains laissent baisser les cours pour acheter au plus bas. Quelques robots de trading (programmes automatiques d’achat ou de vente)ont disjoncté et se sont retirés du marché (ne sachant pas traiter des cours négatifs !).

Enfin, un certain nombre de Hedge Funds, qui pratiquent les ventes à découvert (c’est-à-dire vendre un actif qu’on ne possède pas mais qu’on sera en mesure de détenir le jour de sa livraison) ont spéculé à la baisse comme ils le font sur tous les actifs financiers.

C’est toute cette machinerie financière infernale qui a provoqué l’effondrement des prix.

Au-delà du pétrole, toutes les matières premières sont aussi sur des marchés financiers, comme le blé ou le riz, et cela explique les pénuries alimentaires dramatiques de 2008 au moment de la crise financière. Allons-nous connaitre les mêmes conséquences, mais en pire, avec la crise qui s’annonce ?

Impacts sanitaires puis… impacts sociaux

Le pétrole constitue une ressource majeure pour plusieurs pays : son exportation apporte des devisesessentielles, notamment dans les pays du sud, pour financer leur modèle social. En Algérie, gaz et pétrole représentent 85 % des exportations (Irak 90 % rien que pour le pétrole). Moins de ventes et ce sont des problèmespour payer les salaires des fonctionnaires, pour la santé, l’éducation, des centaines d’acteurs impactés, desfaillites… et des dizaines de milliers d’emplois menacés.

En France, Total qui n’a pas renoncé à verser des dividendes à ses actionnaires cette année, annonce un plan d’austérité avec une baisse de 30 % des investissements : des désinvestissements sont même envisagés. Mais cela n’impactera pas son secteur des Energies Renouvelables (EnR) et pour cause

 : Prioritaires sur le réseau, les EnR subventionnées ne sont pas affectées par    la baisse de la demande d’électricité, ni par la baisse des prix compte tenu des mécanismes d’appels d’offres EnR à prix garantis.

L’énergie « verte », autre victime collatérale ?

A moins de 20 $ le baril, les efforts de transition énergétique vers une production sans CO2 deviennent moribonds.Aucune éolienne, aucun panneau photovoltaïque (PV), aucune flotte auto électrique ne rivalise avec une usine aufioul alimentée en pétrole bradé.

La France importe la quasi-totalité des hydrocarbures qu’elle consomme dans  les transports et l’habitat avec une balance commerciale déficitaire de 59 Md €, principalement avec sa facture énergétique. Si la dépression descours du pétrole pourrait éviter de creuser ce déficit, sa dépendance aux énergies fossiles est une question centrale. C’est cela qui aurait dû préoccuper le gouvernement pour sa stratégie climat et l’accord de Paris. Or, c’estau second plan dans les objectifs de la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie. Le mix énergétique estessentiellement vu sous le prisme de l’électricité (1/4 de la consommation énergétique) avec le développementdes EnR électriques en substitution d’un nucléaire déjà décarbonné et la fermeture de 14 réacteurs. Pour l’Ufict-CGT, ces orientations énergétiques sont une absurdité car n’ayant aucun impact sur le climat. Elles sont de plus en deçà des objectifs de l’accord de Paris… et ça coûte « un pognon de dingue » : déjà 120 Md € desubventions prélevées sur les citoyens au travers de taxes sur les carburants.

Le budget rectificatif, voté lors de la crise Covid-19, fait apparaître une moins- value d’un milliard sur les recettes des taxes sur les carburants. Ce manque de recettes pour le financement des EnR aura donc des impacts sur les orientations de la transition énergétique, même si le gouvernement dit ne pas vouloir rectifier ses objectifs. Ce sera donc au détriment d’autres dépenses (sociales ?) et donc la double peine !

L’Ufict-CGT porte d’autres alternatives

– Révision de la fiscalité : La transition énergétique actuelle doit être revue. Par exemple, par l’affectation majoritaire des taxes sur l’énergie aux investissements et aides nécessaires à la transition écologique : infrastructures alternatives à la route et utiles au report modal, résorption de la précarité énergétique avec effort massif sur les travaux et la qualité de l’isolation des logements…

Nous revendiquons aussi la baisse de la TVA à 5,5 % pour l’électricité et le gaz et dans un second temps, lasuppression de la TVA. Les factures doivent englober les nécessités de service public, sans qu’elles soient considérées comme une taxe mais comme une solidarité́ envers les zones les plus éloignées et les citoyens les plus démunis. Il faut donc aussi supprimer la taxe CSPE.

– Contrôle du secteur et retour à des entreprises publiques : Pour coordonner et planifier les besoins d’unetransition énergétique réussie pour tous, il faut redonner à la Nation le contrôle du secteur énergétique. Le service public de l’énergie doit être composé d’établissements publics industriels et commerciaux (ÉPIC). La base pourrait être un ÉPIC Électricité et un ÉPIC Gaz, assis tous les deux sur des garanties collectives de haut niveau comme le Statut de l’énergéticien.

– Relocalisation et réindustrialisation de la France : La désindustrialisation, révélée lors de la crise du Covid-19, a montré nos faiblesses, la perte de fabrications françaises et de savoirs faire industriels et cela pourrait s’aggraver dans beaucoup d’autres domaines. La transition énergétique doit se doter d’un volet industriel avec une politique industrielle ambitieuse, programmée sur le moyen et long terme, lui donnant enfin de la visibilité pour le futur.

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