Quand la novlangue managériale crée le malaise !

Les anglicismes sont devenus un usage managérial classique dans les entreprises.

Comme nous l’avons rappelé dans le pré­cédent Options, les anglicismes sont très utilisés dans le monde professionnel et ils contaminent aussi les autres sphères de la société, des médias à la politique en passant par le milieu familial. Sans qu’ils ne soient imposés par un pouvoir totalitaire (comme dans le roman “1984” de George Orwell), ils témoignent plutôt de la dissémination insi­dieuse de l’idéologie néolibérale.

Difficile d’échapper au langage « corporate »

Pour les stagiaires, intérimaires, alternants ou nouveaux embauchés, voici venu le temps de l’intégration dans l’entreprise, aussi appelé « l’onboarding », qui sonne plutôt « fun », comme monter à bord d’un bateau pour rejoindre l’équipage dont le commandant est le directeur… Ensuite, leur « manager » leur proposera de terminer la journée avec un « afterwork » convivial, ou de s’inscrire à la pro­ chaine journée de « team building » (pour renforcer l’esprit d’équipe), entre « collaborateurs » de l’entreprise, lors d’un séminaire en dehors du lieu de travail.

Les réseaux sociaux n’échappent pas à ce langage d’entre­ prise et à la langue « corporate » avec les notions de « lea­ dership », de bonheur au travail avec des « collaborateurs » merveilleux… tout cela visant, bien sûr, l’excellence.

Comment garder son sens critique face à ces mots qui amusent ou hérissent!

Ils sont comme un poison, distillé chaque jour, à petite dose… mais doucement mais sûrement, l’effet toxique se fait sentir. Cela n’est pas sans conséquences, et elles sont parfois dramatiques, par exemple pour les salariés en « burn-out » ou ceux qui, au mieux, font du « quiet quitting » : une démission silencieuse, qui consiste à ne faire que le strict minimum au travail.

Pour avoir la capacité de penser les mots et les discours qui nous entourent, il faut porter attention aux émotions qu’ils font émerger en nous. C’est particulièrement le cas des discours managériaux, avec leurs formules dont l’ob­jectif est d’agir sur les individus, réduits à des « ressources humaines » au service des organisations du travail.

Un grand écart entre les valeurs affichées et les pratiques managériales réellement mises en œuvre

Car certains mots et expressions déclenchent des réactions épidermiques et émotionnelles, notamment quand c’est un grand écart entre les valeurs affichées et les pratiques managériales réellement mises en œuvre. Lorsque les in­ jonctions de gestion sont en totales contradictions avec la déontologie ou l’éthique professionnelles, et qu’elles pro­voquent dégoût et/ou colère. Avec l’impression, en plus, d’être dépossédé des mots auxquels un nouveau sens est imposé, et dont la signification varie selon le bon vouloir de la hiérarchie…

Tout cela nourrit un sentiment de confusion, d’injustice, car en touchant le rapport aux mots et à la consistance d’un langage commun, le discours managérial affecte la puissance d’agir, tant individuelle que collective. Mais parfois, sous le coup de l’émotion, une réaction réveille les consciences, pour y résister !

Il n’y a pas de communauté d’intérêts unissant salariés et employeurs

N’oublions jamais, comme le souligne l’économiste et so­ciologue Frédéric Lordon, que ce récit collectif n’est qu’un mirage : il n’y a pas de communauté d’intérêts unissant sa­lariés et employeurs. Les termes de « mission », « culture d’entreprise », ou « communauté » relèvent de ce qu’il qualifie de « fable managériale » !

Réagir

Votre mail ne sera pas publié.