Même si environ 80% des cadres sont aujourd’hui au forfait-jour à EDF SA, la CGT se remet en ordre de bataille. Après une première phase où le forfait-jour était présenté comme idyllique, sa véritable nature transparait clairement aujourd’hui…
Dès on arrivée à la tête du groupe EDF, le Président Jean-Bernard Lévy rouvre le dossier concernant le temps de travail à EDF SA. Des négociations s’engagent rapidement avec les organisations syndicales qui exigent, CGT en tête, un diagnostic de la situation, notamment en ce qui concerne la charge et le temps de travail réels. Le résultat est sans appel, les agents travaillent plus de 35 heures et dans certaines Directions, ils dépassent allègrement les maximum légaux quotidiens.
Forfait-jour = Liberté ?
Tout au long de l’été, la Direction mène une forte campagne vers les cadres leur expliquant qu’avec le forfait-jour, fini les contraintes : ils seraient libres d’organiser leur temps de travail ! Mais au terme d’une consultation de tout le personnel, orchestrée par la CGT pendant l’été 2015, plus de 60 % des salariés d’EDF SA votent contre le forfait-jour. La Direction qui avait inscrit ce dossier pour avis au CCE programmé fin septembre, le retire au vu de ce résultat.
Un accord catégoriel pour inverser le rapport de force
Malgré cette déconvenue, la Direction remet le dossier sur la table des négociations au mois de décembre 2015, mais sous forme, désormais, d’un accord catégoriel ne concernant que les cadres. De fait, le rapport de force change, compte tenu de la faible représentativité de la CGT dans le collège cadre.
Dès le début 2016, les négociations sont relancées. Les organisations syndicales, sous la houlette de la CGT, réussissent à imposer qu’une négociation sur l’organisation du travail soit menée conjointement avec celle sur le temps de travail qui devient désormais une négociation sur le forfait-jour.
Au terme de discussions extrêmement rapides CFE-CGC et CFDT signent le nouvel accord sur le temps de travail des cadres et valident ainsi la mise en place du forfait-jour pour les cadres d’EDF SA.
Les cadres voient donc cette convention de forfait-jour, somme toute assez vide, comme l’occasion de prendre 2 NR (environ +5% d’augmentation). Ils ont confiance, car la Direction a bien précisé que l’attribution de ces deux NR n’obèrerait en rien les promesses d’avancements au choix et de reclassements, qui font partie d’un « pot » bien distinct. Pendant la période estivale, où l’activité est moins soutenue, les salariés passés au forfait-jour (une très grande majorité) peuvent à loisir organiser leur temps de travail, et dans certaines entités, ils arrivent et repartent à leur guise sans rendre compte.
Fin de la récréation
Après cette période transitoire de six mois, où les cadres pouvaient signer la convention de forfait-jour et obtenir les 2 NR, le ton se durcit soudain. Certains managers interpellent leurs cadres : « Vous devez faire au moins 35 heures ! », et des dérives apparaissent. Par exemple, des cadres qui devaient être reclassés avant leur départ en inactivité, en signe de reconnaissance de leur professionnalisme, ne le sont pas parce qu’ils ont eu les 2 NR du forfait-jour… et cette liste de dérives est bien plus longue qu’on n’aurait osé l’imaginer.
Pendant l’automne 2016, à la Direction des Achats Groupe notamment (Direction semble-t-il pilote sur le sujet), est évoqué la mise en place de projets collectif de fonctionnement des équipes (PCFE). Ainsi, agence par agence, les conditions d’organisation sont discutées pour intégrer à la fois l’accord sur le forfait-jour pour les cadres, l’accord sur le télétravail et l’accord sur l’organisation du travail (relativement vide lui aussi).
La rédaction de ces PCFE se voulait être co-construite avec les salariés de chaque agence. En fait de co-construction, c’est plutôt une présentation par l’équipe managériale de ces PCFE qui sont finalement des grilles très encadrantes, rappelant entre autres choses les contraintes de services. Si le débat a pu avoir lieu dans certaines agences entre salariés et managers, ce n’est pas toujours le cas. Rien d’étonnant à ceci, compte tenu des difficultés que rencontrent les cadres pour s’exprimer librement, sans craindre de sanction…
2017 : année du bilan ?
Même s’il est encore trop tôt pour tirer toutes les conclusions du forfait-jour pour les cadres de la Direction des Achats Groupe (les PCFE viennent tout juste d’être validés en IRP), un premier bilan peut être tiré sur quelques sujets significatifs :
La rémunération : Avec avoir signé une convention de forfait-jour irréversible, les cadres ont bien obtenu deux NR et une prime fixe, mais comme on le craignait a priori, cela s’accompagne d’une austérité salariale sans précédent : un tiers de NR en moins entre 2015 et 2016 et même baisse entre 2016 et 2017 et une « augmentation » de 0 % du Salaire National de Base pour 2017 : du jamais vu depuis 1946 !
Le temps de travail : Très majoritairement, les cadres ont signé pour une base de 209 jours travaillés, soit 11 jours travaillés de plus par rapport à l’accord de 1999. Pour ce qui est du nombre d’heures travaillées par jour, il faut noter que dans les PCFE, il est demandé aux cadres en télétravail d’être disponibles, joignables, de 8 h 00 à 19 h 00. Sans vice, on peut facilement imaginer que cette disponibilité vaut aussi pour les jours travaillés : c’est la porte ouverte à de potentiels excès.
La charge de travail : A la Direction des Achats, certaines agences voient leur nombre de dossiers s’accroître, d’autres stagner quand d’autres baissent. Dans ce dernier cas, l’origine de la baisse est liée à des renoncements d’achats de la part des entités clientes, pour cause de budgets resserrés. Mais ces renoncements interviennent parfois alors que le travail de l’acheteur est presque réalisé occasionnant alors une nouvelle charge de travail (avenants…).
Avec la baisse des effectifs en cours et à venir, un point régulier doit donc être fait sur la charge de travail.
L’obligation de résultat : La Direction évoque souvent la « posture du cadre », censée dépasser la question fondamentale et factuelle du savoir-faire, pour évoquer une notion beaucoup plus subjective et discutable : le savoir-être.
La rémunération variable, conditionnée à l’atteinte d’objectifs contractualisés lors des entretiens d’appréciation du professionnalisme, risque de conduire également à des débordements. En effet, la subjectivité de l’appréciation du professionnalisme, si elle est axée sur la posture, est un véritable berceau à discrimination. D’ailleurs, certains cadres supérieurs s’en font l’écho aujourd’hui, en disant qu’au-delà du savoir-faire et du savoir-être, ils regardent aussi le savoir plaire !