Un élément clef du fonctionnement du parc français qui mérite d’actualiser notre vision syndicale
La sûreté nucléaire est un élément clef du fonctionnement de tout le parc de production électronucléaire. Elle impacte au premier chef les conditions de vie et de travail des personnels intervenant sur ces centrales. Il est donc indispensable que le syndicalisme ait un regard aiguisé sur ce qui s’y passe, comme sur les conséquences de tout incident ou accident qui pourrait s’y produire.
Où en est la sûreté nucléaire aujourd’hui ?
Toutes les centrales EDF sont des Réacteurs à Eau Pressurisée (REP) et la loi française (qui a un champ d’application plus large que ces seules centrales) définit la sûreté nucléaire comme « l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets »1.
Prévenir les évènements indésirables, et au cas où, en limiter les conséquences néfastes
Cela signifie : prévenir la survenue d’évènements indésirables, incidents ou accidents, et au cas où ils surviendraient, en limiter les conséquences néfastes. Cela concerne directement ou indirectement de nombreuses activités dans notre pays, et mobilise des centaines de milliers de salariés dans des domaines aussi variés que la défense, le médical, la recherche, la métallurgie, le traitement des matières nucléaires, la déconstruction de tous types d’installations obsolètes (dentistes…), le stockage des déchets correspondants, et bien sûr les 57 réacteurs de la filière REP (75 % de l’électricité française), sans oublier le personnel qui y travaille ou qui y a travaillé.
Rappelons que dans le monde : USA, ex URSS, Japon et France (et demain la Chine) ont des parcs nucléaires d’ampleur comparable, et 3 de ces 4 pays ont connu un accident nucléaire d’ampleur : 1979 Three Miles Island (TMI : USA), 1986 Tchernobyl (ex URSS), 2011 Fukushima (Japon). La France n’a (heureusement) rien connu de similaire, ni même d’approchant et ce n’est pas un hasard, car c’est le résultat des conditions dans lesquelles ont été construites, démarrées, puis exploitées ces centrales, avec la place cruciale du personnel EDF… surtout au lancement du parc.
L’exploitant nucléaire est le premier responsable de la sûreté
C’est fondamental, tout comme le rôle essentiel du personnel aux différentes étapes de la conception, de la fabrication des pièces, de la construction, du montage, des essais et des différentes phases d’exploitation, comme des arrêts. D’ailleurs, en cas de problème les directions n’hésitent pas à sanctionner le personnel, et parfois la justice s’en mêle, preuve que, qu’il soit interne ou externe aux centrales, statutaire ou non statutaire, le personnel est incontournable depuis toujours !
Qu’il soit interne ou externe, statutaire ou non statutaire, le personnel est incontournable
Dans les années 70, la Direction de l’Equipement d’EDF a été un outil essentiel de la mission de service public d’EDF, en tant que maître d’ouvrage et maître d’œuvre de la construction des centrales. Les aménagements progressifs du modèle américain d’origine ont été apportés, après des débats controversés, dans une sorte de « démocratie technique », avec de nombreuses améliorations du design initial (ex : post TMI…). Bien des erreurs ont ainsi été empêchées, avec un appui sérieux (et un œil vigilant) de la fédération CGT de l’Energie, comme en 1979, lors de l’affaire dite « des fissures » …
Le programme nucléaire (Plan Messmer2)
Les directions n’avaient pas d’autre solution que de s’appuyer sur le savoir-faire des entreprises, et donc de son personnel, pour construire et démarrer ! Et le personnel a mené, avec la CGT (et dans une certaine indifférence de la part de la CGC comme de la CFDT, plutôt anti-nucléaire), les luttes qu’il fallait pour obtenir les moyens et les effectifs, mais aussi le droit de se faire entendre. Mais sitôt passée cette bourrasque, les directions successives ont vite cherché à assoir plus fermement leur autorité, à la fois par esprit de caste (c’est aux chefs de diriger, et aux exécutants d’obéir), et pour ne pas laisser la main au personnel sur les moyens de production, essentiels lors des conflits sociaux. Cela a d’ailleurs été à la source de lois et réglementations répressives3. Mais cette autorité réaffirmée a dépossédé le personnel de son sentiment de lien fort avec les installations. Elle a aussi conduit à ce qu’il s’interroge moins, alors que c’est la base de la sûreté, à ce qu’il renonce à la “démocratie technique” au sein de l’ingénierie… à n’avoir en ligne de mire que le respect des durées d’arrêt !
La hiérarchie a dépossédé le personnel de son sentiment de propriétaire des installations
En parallèle, les pratiques formelles de l’Assurance Qualité se sont généralisées et elles ont privé EDF du contrôle réel des prestations effectuées par des entreprises et constructeurs extérieurs. Le niveau global d’exploitation ne s’est donc pas amélioré comme il aurait dû, et cela s’est traduit par des crises de disponibilité de grande ampleur : dossiers barrés du Creusot en 2008, corrosion sous contrainte fin 2021… qui, sans créer de crise sérieuse en termes de sûreté, ont dégradé les conditions de travail de l’ensemble des personnels.
Le personnel a de moins en moins été en mesure de faire valoir son point de vue
C’est dommageable pour le personnel (qu’il soit exécutant, ou très diplômé, et parfois à des niveaux hiérarchiques relativement élevés), comme pour les installations et leur fonctionnement… et pour la rentabilité de l’entreprise. Il y a là un champ syndical à appréhender, à reconquérir, et le personnel aurait tout à y gagner, avec de nouvelles pratiques dont certaines ne sont pas si nouvelles que ça…
Le nucléaire français ne peut se réduire à un fonctionnement autoritaire piloté par les directions
L’Autorité Sûreté Nucléaire et de Radioprotection (ASNR), plus ou moins pointilleuse, en est réduite à contrôler des procédures, du papier, des comptes rendus d’essais… alors qu’elle devrait s’intéresser à la perception que le personnel a de son travail. Cela nécessiterait plus de moyens et de dialogue, et éviterait sans doute l’adjonction de certaines modifications, très coûteuses en € et en investissement humain. L’ASNR devrait aussi pouvoir s’exprimer devant la société civile d’une façon plus ouverte, plus persuasive pour démontrer le bon fonctionnement des centrales ! Il y a donc, là aussi, un large champ d’intervention syndicale à explorer (ou plutôt à réexplorer), dans l’ingénierie et dans l’exploitation, avec un « vrai contrôle » positif de l’ASNR.
Un « vrai contrôle » positif de l’ASNR, et non des procédures et du papier
Avec un tel niveau d’examen la conséquence serait, en plus, un meilleur fonctionnement du parc nucléaire d’EDF, et donc de meilleurs résultats, y compris financiers. Le nouveau PDG devrait y réfléchir…
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- Le programme électronucléaire français. Entre mythes et réalités. IHSME, Jean Barra. 2021.
- Sûreté nucléaire et syndicalisme, quelle histoire ! IHSME, Jean 2025.