[Options 653 – janvier 2020 – p3-4]
Mépris, mensonges d’État, violences… tout un arsenal mis en branle pour entraver l’élargissement des mobilisations sur les retraites.
Après les différentes « lois travail », « parcours sup » et la sélection à l’entrée de l’université, après la pseudo-négociation sur le « statut cadres » et la refonte de « l’assurance chômage », le projet de réforme des retraites n’est qu’une nouvelle attaque mettant à mal le modèle social construit après-guerre. Le projet Hercule de découpage d’EDF s’inscrit également dans cette logique, car c’est bien la fin programmée des droits sociaux qui se profile à l’horizon, avec un désengagement continu de la puissance publique au profit des intérêts privés et d’une domination totale de l’économie sur le politique, à l’opposé des besoins du plus grand nombre.
Ce nouveau monde qui nous est proposé s’inscrit dans la suite d’un processus de délitement du lien social, où le capitalisme triomphant met en exergue le triomphe de l’individualisme. Emmanuel Macron surenchérit en s’enfermant dans un autoritarisme exacerbant l’inquiétude. Il galvaude les valeurs de justice et de progrès social en imposant des réformes qui ne répondent en rien aux besoins de la société et aux droits humains élémentaires, alimentant la dégradation sociale, augmentant la paupérisation, condamnant la jeunesse.
Mobilisations pour une meilleure répartition des richesses
La grève et les mobilisations engagées depuis le 5 décembre ne sont pas celles de corporations pour la défense de leurs régimes spéciaux, mais bien celles d’un système global pour refuser le nivellement par le bas des droits sociaux et la marchandisation de la société. Le gouvernement a été contraint à des reculs avec notamment le maintien de dispositions spécifiques dans plusieurs secteurs et professions. La prétendue universalité de cette réforme des retraites n’existe donc plus. Malgré tout, nous serons tous perdants. Les générations les plus proches de la retraite subiraient des mesures d’âge imposées par une “loi-cadre”. Les générations nées avant 1975 seraient épargnées par la réforme “à points”… mais subiraient de façon accélérée l’âge d’équilibre fixé à 64 ans en 2027. Les générations les plus jeunes seraient, elles, frappées de plein fouet par les reculs induits par le nouveau système : le maintien de leur niveau de vie ne serait plus garanti, bien au contraire. La prise en compte de toute la carrière (au lieu des 25 meilleures années dans le privé et des 6 derniers mois dans le public) pénaliserait toutes celles et ceux qui ont une carrière ascendante. 10 % des cadres (salaire égal ou supérieur à 120 000 euros) ne cotiseraient plus sur l’ensemble de leur salaire (qui va payer pour ces mêmes cadres déjà en retraite ?).
Pour maintenir leur niveau de vie à l’âge – tardif – de la retraite, ceux qui en auront les moyens se tourneront vers les fonds d’épargne retraite (voir encadré).
Quelles contre-attaques chez les ICT ?
Une forme d’attentisme semble dominer, alors que ce projet de loi conduirait à une précarité universelle. Bien évidemment, les mutations du travail ont conduit à la perte de repères collectifs et l’individualisation à outrance des objectifs dans l’entreprise a cassé les collectifs de travail et le sens du travail. Pourtant, à l’instar du Collectif des « Infiltrés », certains hauts dirigeants et cadres supérieurs s’engagent contre ce projet de réforme des retraites, considérant que c’est la réforme de trop.
Certes, les ICT ne sont pas encore assez nombreux dans l’action, mais la vague revendicative interprofessionnelle déferlant depuis ces dernières semaines redonne du sens à la solidarité.
En s’engageant dans les batailles en cours, en développant nos capacités de contestation, en construisant de nouveaux lieux d’expression, chacun d’entre nous participe à la définition de la société de demain. Car ce sont bien des choix structurants qui sont en question et pour lesquels nous avons notre mot à dire. Nous devons donc continuer à nous déployer pour convaincre autour de nous de l’utilité de l’engagement pour gagner cette bataille.
BlackRock : la face cachée du gouvernement
C’est le plus gros fonds de pension à l’échelle mondiale : 7 000 milliards de dollars (6 400 milliards d’€) soit l’équivalent de plus de deux fois le PIB de la France et 5 % de la totalité des places boursières mondiales. Son PDG Larry Fink fait la pluie et le beau temps auprès des grandes banques (privées, Banque Fédérale américaine (FED), Banque Centrale Européenne (BCE)) et les grandes puissances industrielles.
Médiapart a révélé la présence quasi permanente de Larry Fink dans les grands messes du gouvernement pour influencer les réformes qui permettront d’ouvrir de nouveaux espaces à BlackRock. Par exemple, la loi PACTE avec les privatisations et les cadeaux fiscaux octroyés aux plans d’épargne retraite, et, bien sûr, la réforme des retraites, tout cela vise à raboter les droits actuels pour orienter une partie des ressources consacrées à la retraite vers la capitalisation et les fonds de pension.
Pour la zone France, Belgique et Luxembourg c’est Jean François Cirelli, ex-PDG de Gaz de France, qui se charge du déploiement. Comme le révèle la presse, il va utiliser « son expérience et la densité de son réseau sur la sphère industrielle et administrative » pour inscrire BlackRock dans le paysage français.
A l’échelle européenne, BlackRock soutient la création du plan d’épargne-retraite individuel paneuropéen et défiscalisé que l’Union Européenne met en place pour dissoudre les dispositifs actuels. Pactole supposé : 55 milliards d’euros.
La duplicité des pouvoirs en place, la porosité des rapports entre le pouvoir politique et les puissances économiques et financières expliquent la brutalité des réformes conduites sur le travail, la protection sociale, la politique d’immigration : c’est un changement total de paradigme.