contre la loi travail XXL

Mobilisés mais désabusés ou mobilisés et déterminés ? Qui sont ces manifestants qui investissent la rue ? Que cherchent-ils et les syndicalistes avec eux ? Quel mouvement poursuivre contre la loi travail ?

A entendre des manifestants présents les 12 et 21 septembre ainsi que le 19 octobre, il existe à la fois une certaine incrédulité quant à l’efficacité de ces rassemblements épisodiques et une détermination à ne pas laisser passer cette réforme sans rien faire. Cependant, et pour beaucoup, elle reste difficile à décrypter dans ses conséquences concrètes.

Aux yeux des syndicalistes encartés battant le pavé, cette dernière réforme, régressive, risque bien de bouleverser en profondeur toutes les entreprises, quelle que soit leur taille et les droits conquis historiquement. Les déséquilibres dans les rapports d’exploitation vont s’aggraver avec la fin du CDI, la facilitation des licenciements, individuels comme collectifs, la réduction des institutions représentatives du personnel réduites à un seul Conseil Social et Economique qui ne pourra prétendre à l’efficacité des IRP actuelles, en particulier du CHSCT.

Alors, si tant est que nous réussissions à porter au bon niveau l’information et le débat dans les entreprises, les modes d’action proposés jusqu’à présent : trois grèves et manifestations nationales [à l’heure où nous écrivons ces lignes] peuvent-elles infléchir les orientations de ce gouvernement ? Ne devrions-nous pas tenter de proposer d’autres modalités d’actions, plus ancrées localement dans une entreprise ou sur un territoire ? Des modalités plus en phase avec les aspirations des catégories Ingénieurs Cadres et Technicien.nes ? A ce titre, le travail entrepris par l’Ugict et son utilisation depuis juin 2017 dans les syndicats et auprès des salariés méritent un flashback.

Un été d’analyse et de contre–propositions

« Nous dévoilons dans l’édition du Parisien/Aujourd’hui en France de ce lundi 5 juin l’avant-projet de loi devant permettre au gouvernement de prendre par ordonnances des mesures pour l’emploi. Ce document confidentiel, préparé à l’abri des regards, comporte huit réformes d’envergure qui s’insèrent dans un mouvement de flexi-sécurité . Ce sont des lanceurs d’alerte qui jettent un premier pavé dans la marre en transmettant, à ce quotidien, un texte de travail de dix pages présentant une série de réformes pour l’emploi devant être adoptées par ordonnances. Le même jour en début d’après-midi, l’Ugict dévoile une analyse complète du contenu de ce texte. A 17 heures, un débat en direct sur Facebook réunit 35 000 personnes. Ainsi démarre la mobilisation contre la loi travail.

A l’analyse succèdent vite les contre-propositions. Le 29 juin, l’Ugict adresse aux député.es fraichement élu.es 35 propositions pour une nouvelle définition de l’entreprise et du management. Durant l’été, elle organise des réunions d’informations syndicales et diffuse ses analyses sur l’impact des ordonnances sur les droits des ingénieurs, cadres et techniciens. A la stratégie du secret et de l’opacité mise en place par l’Elysée, l’Ugict répond par la diffusion de l’information, le décryptage du contenu des ordonnances au fil des fuites et des annonces avec une mise à jour permanente. Le 6 septembre, elle diffuse un document intitulé Avant/Après Vos droits aujourd’hui et demain avec les ordonnances #LoiTravailXXL# sur son site. Il s’agit de porter à la connaissance des ingénieurs, cadres et technicien.nes des informations leur permettant de mesurer l’impact des ordonnances sur leur situation. Et le 12, à grand renfort d’affiches et de tracts, les manifestants battent le pavé. Rebelote le 21 septembre avec un succès plus mitigé et le 19 octobre. Les prochaines étapes de la lutte restent encore à inventer car « cette réforme n’est ni jouée ni inéluctable mais, une journée de grève par-ci, par-là, c’est une réponse insuffisante » dixit Anne, permanente Ufict-CGT à EDF.

Un automne à la recherche de l’union et de l’action

Les ICT sont nombreux à avoir voté Emmanuel Macron dès le premier tour de la présidentielle. Comment dans ces conditions les mobiliser ? « Ils veulent des éléments de compréhension, pas du prêt à penser. Nous avons fait un travail de vulgarisation pour des salariés qui ne sont pas des experts en droit, afin qu’ils s’emparent du sujet » explique Sophie Binet, secrétaire générale adjointe de l’Ugict. Le fait est que ceux qui sont venus manifester connaissent le contenu des ordonnances, mesurent l’impact qu’elles pourraient avoir sur leurs conditions de travail, s’inquiètent de l’avenir et particulièrement de la précarité qui gagne du terrain. « Cette loi va contre le travail en tant qu’activité structurante pour la société » affirme Gentiane, cadre chez Solvay. « Mon CDI, je l’aime bien et j’aimerais que mes enfants en bénéficient aussi quand ils travailleront dans une entreprise » rapporte Eric, cadre au CEA et manifestant du 12 septembre. « Il faut être au clair avec le personnel et parler des conséquences de ces ordonnances sur EDF. Je pense que de nombreux collègues comprennent que le statut des IEG n’est pas aussi protecteur qu’il a pu l’être » poursuit Anne.

Dans les entreprises, pour arriver à mobiliser, « il est nécessaire de continuer les tournées de discussion auprès des cadres afin de les alerter sur ce qui les guette dans un proche avenir. Par exemple, pour nous à la SNCF, avec la libéralisation des lignes de chemins de fer, les agents qui refuseront d’intégrer l’entreprise privée remportant le marché de la commercialisation d’une ligne régionale seront licenciés » explique Anne-Laure, cadre SNCF.

Les salariés n’attendent-ils pas plus ? Deux cadres de Storengy expriment cette idée en une phrase lapidaire : « Les désaccords et l’éclatement des partis politiques et des syndicats n’aident pas à la mobilisation ». De toute évidence, l’unité syndicale est souhaitée, voire attendue sur un tel dossier, alors même que les désaccords entre centrales syndicales et à l’intérieur d’un même syndicat éclatent au grand jour. Au sein de la CFE-CGC, de la CFDT et de FO, plusieurs lignes de conduite se superposent et ajoutent à la confusion. La CGT et son secrétaire général jouent la carte de l’unité et convie les confédérations syndicales à des rencontres. L’Ugict entre en contact avec ses homologues. Il faut briser l’isolement, rechercher l’unité que demandent les salariés rencontrés, envisager des propositions d’actions collant au profil des uns et des autres.

Novembre et décembre pourront-ils être des mois d’actions collectives dans les entreprises avec, par exemple l’organisation, à l’aide d’une carte-pétition, d’une votation citoyenne et, partout où cela sera possible, avec d’autres syndicats ? Objectif : faire en sorte que les salariés s’expriment. Hors de l’entreprise, pourquoi les syndicalistes n’iraient-ils pas voir leurs députés afin de porter en mains propres, non seulement les doléances des opposants à la réforme, mais aussi les 35 propositions de la CGT, sans doute inconnues des nouveaux élu.es de l’Assemblée nationale ? En bref, développer une action concertée de lobbying afin, d’une part de mettre en valeur une politique alternative et, d’autre part, de s’attaquer à la morosité qui enveloppe la société française. Essayer, c’est déjà adopter ! 

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