Droit d’expression : des droits à utiliser

« La démocratie ne doit pas s’arrêter aux portes de l’entreprise » répondit Lionel Jospin – au cours du débat parlementaire sur les lois Auroux – à Philippe Seguin qui estimait ces propositions de lois « effrayantes » pour les entreprises, l’économie, l’emploi.

Nous sommes là au cœur du sujet : s’exprimer dans l’entreprise, sur les organisations de travail, est un besoin, voire une prérogative essentielle pour ceux qui exercent une responsabilité, et qui sont les mieux placés pour analyser les besoins.

L’entreprise attend de ces salariés autonomie, initiative, responsabilité … Mais l’expression critique autour du fonctionnement de l’entreprise est-elle encore de rigueur ? L’encadrement peut-il formuler des propositions quand il est contraint de faire passer des consignes auxquelles il ne croit plus, ou de porter des objectifs qu’il considère comme irréalistes ? Est-il encore possible de faire valoir un point de vue différent, lorsque les exemples de mises au placard ou d’arrêts de déroulement de carrière se multiplient …

Cette réalité de la parole « bâillonnée » explique probablement la désaffection grandissante des salariés vis-à-vis de la prise de responsabilités. Dans une enquête interprofessionnelle récente, 75 % des cadres disaient ne pas être associés aux décisions stratégiques, et 55 % affirmaient que les choix ou pratiques de leur entreprise entraient en contradiction avec leur éthique personnelle.

Des droits à rappeler

Le droit d’expression des salariés a été introduit dans le code du travail par les lois Auroux en 1982. Le texte indique que les salariés disposent d’un droit d’expression direct et collectif portant sur le travail au sein de l’entreprise. Direct, car la loi précise que ce droit n’a pas vocation à remplacer l’action des représentants du personnel, mais à la compléter. Voici les principaux articles :

  • L.2281-1 : Les salariés bénéficient d’un droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail.
  • L.2281-2 : L’expression directe et collective des salariés a pour objet de définir les actions à mettre en œuvre pour améliorer leurs conditions de travail, l’organisation de l’activité et la qualité de la production dans l’unité de travail à laquelle ils appartiennent et dans l’entreprise.
  • L.2281-3 : Les opinions que les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie professionnelle, émettent dans l’exercice du droit d’expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement.
  • L.2281-4 : Le droit des salariés à l’expression directe et collective s’exerce sur les lieux et pendant le temps de travail. Le temps consacré à l’expression est rémunéré comme temps de travail.

L’expression directe et collective définie dans la loi implique qu’elle s’exerce dans le cadre de réunions, et qu’elle porte sur le travail, son contenu et son organisation.

Un bilan mitigé

Les lois Auroux ont certes créé des conseils d’atelier mais les salariés, sous la pression d’un management de plus en plus guidé par des objectifs lourds (notamment financiers), se sont très peu emparés de ces droits (il y a peu de jurisprudence en la matière).

Dans le même temps les employeurs ne peuvent ignorer la question de l’engagement des salariés, mais ils n’y répondent que par des outils qui visent à encadrer les pratiques managériales (coaching, chartes éthiques, enquêtes de climat interne) et ne répondent en rien à la crise du sens du travail.

L’Ufict-CGT propose

Le syndicat reste un espace de liberté individuelle et d’intervention collective sur ces questions. Reconnaissons à l’encadrement les moyens d’exercer ses responsabilités et d’apporter ses compétences. Pour cela nous proposons :

  • de nous appuyer sur l’article L.2281-5 du code du travail pour traiter du droit d’expression lors de négociations, (la possibilité est ouverte dans le cadre des négociations « qualité de vie au travail »)
  • d’interpeller les entreprises sur leur management et de faire le lien entre modes de management et droit d’expression,
  • de développer la discussion collective autour des objectifs dans l’équipe de travail, en intégrant les incidences prévisibles et les moyens nécessaires,
  • de créer des espaces syndicaux de discussion pour contribuer aux finalités industrielles, à partir de la réflexion commune et de l’expérience professionnelle.