Entre maigres progrès et persistance des stéréotypes sociaux
Le travail domestique, non rémunéré, repose sur les femmes dans l’immense majorité des cas. « Les premiers articles consacrés à cette thématique sont écrits par des féministes marxistes, Danièle Kergoat, Christine Delphy… dans les années soixante-dix » nous apprend Sophie Pochic.
Ces chercheuses affirment alors le caractère patriarcal de la société, couple y compris, et mettent en avant des solutions collectives. Rien ou peu à voir avec les discours développés depuis le début des années 2000 dans les entreprises et les médias. « Les expressions cloison de verre, plafond de verre, falaise de verre ont remplacé le vocabulaire et les idées marxistes. Issu des sciences de la gestion et de cabinets de conseil anglo-saxons qui vendent du service aux entreprises, le vocabulaire accentuant les responsabilités individuelles a remplacé le cadrage marxiste féministe » poursuit la sociologue.
A partir de 2001, la négociation d’accords sur l’égalité professionnelle dans les entreprises devient la norme. Grâce à leur succès scolaire et leurs diplômes, les femmes ont conquis l’entreprise : si elles occupaient moins de 20% des postes d’encadrement dans les années 1980, elles approchent désormais les 40% trente ans plus tard, même si elles restent confinées dans certaines activités (ressources humaines, marketing…).
Pas de rupture générationnelle dans le partage des tâches domestiques
Dans un couple de cadres, la femme et l’homme ont une double carrière à gérer. Chacun en fera moins au foyer et le double revenu du couple permettra d’externaliser les tâches ménagères (et en même temps, de diminuer le montant de l’impôt sur le revenu). Elle poursuit : « dans ce type de couple, la désynchronisation des temps sera moindre que pour un couple d’employés ou d’ouvriers, des catégories sociales très marquées par l’homogamie , où l’équilibre des temps et des horaires est une contrainte permanente lorsque les horaires sont atypiques ».
« Convaincue qu’au sein des nouvelles générations les hommes s’impliquent davantage dans les tâches familiales, l’opinion perçoit mal la charge mentale permanente assumée par les femmes et particulièrement les mères de famille.
Or, la rupture générationnelle n’est pas aussi nette qu’on voudrait le croire. Oui, les hommes savent changer une couche et donner un bain, mais dans les enquêtes,
les résultats indiquent que leur participation aux tâches domestiques reste marginale ». Les chiffres fournis par Raphaëlle Manière lors de son intervention illustrent les propos de la sociologue.
En revanche, que les hommes aspirent à s’investir davantage dans la sphère familiale est une donnée tangible.
« Elle est cependant contrecarrée par l’augmentation du temps de travail. Tant dans les entreprises publiques que privées, les horaires extensifs, la dérégulation de la charge de travail… entrent en contradiction avec la sphère personnelle. La norme de la disponibilité extensible, le présentéisme constituent le cœur des inégalités ». Les 35h des années 90, ou les 32h revendiquées par la CGT paraissent bien lointaines…
Des accords Ega Pro élitistes pour les femmes cadres… mais pour les autres ?
Toutes les femmes cadres ne résistent pas à ces normes. « Le surinvestissement dans le travail notamment en début de carrière est une stratégie de réussite qui peut en mener certaines à des postes à responsabilités. Elles travaillent intensément, autant que leurs collègues masculins ; elles exigent une semblable implication de leur entourage professionnel et se virilisent dans la façon qu’elles ont d’appréhender le pouvoir ». Ces femmes à qui la presse féminine déroule un tapis rouge, ne transforment pas l’organisation collective du temps de travail mais reproduisent les inégalités.
« D’autres femmes cadres optent pour une réduction de leur temps de présence au bureau ». Elles sont à l’origine d’une porosité plus forte entre les sphères professionnelle et personnelle car elles retravaillent le soir, après avoir géré la vie familiale et l’éducation des enfants. « Ce sont elles qui plaident en faveur de charte des temps pour la reconnaissance de tous ces temps de travail ».
« Dans les accords d’égalité professionnelle, au chapitre traitant de l’articulation des temps, c’est la vision familialiste qui prédomine ». Sophie Pochic réalise actuellement une étude sur environ deux cents accords Ega Pro et constate qu’il est rarement fait mention du travail domestique ou du travail des aidants car « il serait trop coûteux d’aménager le temps de travail de ces personnes. Que l’on exerce son métier dans une grande entreprise ou une PME de la métallurgie ou de la vente, ce sont quasiment les mêmes solutions qui sont préconisées, inspirées des situations en vigueur dans les grandes entreprises à direction masculine. Si des temps de réunion raccourcis et le télétravail sont régulièrement mis en avant, en quoi ces mesures élitistes, favorables aux femmes cadres, concernent-elles une vendeuse ou une hôtesse d’accueil ? ». Ces dernières préféreraient sans doute se voir proposer un travail à temps plein en lieu et place d’un temps partiel imposé.