[Options 649 – septembre 2019 – p 7-9] Depuis le passage en SA en 2004, l’état a perçu plus de 22 Md € de dividendes d’EDF. Le locataire de l’Elysée aurait pu s’interroger sur une plus juste répartition de ces richesses créées et récompenser le travail des salariés, mais NON, il préfère passer à la vitesse supérieure pour augmenter toujours plus la rémunération des actionnaires et libéraliser encore plus le secteur de l’énergie…
Le 28 mai, puis le 20 juin, le PDG Jean-Bernard Levy a présenté son projet Hercule qui voudrait couper l’entreprise EDF en deux entités indépendantes. Depuis, silence radio sur le projet… comme si la direction attendait de voir les réactions du personnel lors de la journée intersyndicale du 19 septembre…
Retour sur ce projet Hercule, qui, y compris dans le haut management, passe très mal…
Le découpage d’EDF en deux entités distinctes ?
L’ouverture du marché à la concurrence a profondément bouleversé le service public de l’énergie, l’organisation et la structure des entreprises. L’état, en renouvelant le mandat du PDG d’EDF, voudrait franchir une nouvelle étape dans la libéralisation et dans la financiarisation du secteur.
Alors que bon nombre de restructurations ont pour but de faire grossir les entreprises (Total a absorbé Direct Energie, General Electric a avalé Alsthom…), l’état a donné mission au PDG d’EDF de couper EDF en deux entités, avec la tête de chacune un directeur général.
Bleu ou Vert : tous perdants
En isolant dans une entité « EDF Bleu », la production pilotable d’électricité (nucléaire, hydraulique…) et dans une autre entité « EDF Vert » tout le reste, avec pour chacune de ces entités une part plus ou moins importante de l’état à son capital, l’état vise une opération hautement financière calquée à s’y méprendre sur nos voisins allemands (voir Options mai 2019 N°647), pour la plus grande joie des marchés financiers où une partie peut valoir plus que le tout !
Aucune logique industrielle dans ce découpage qui éradiquerait toute synergie entre ces deux entreprises, mais bien une logique financière : diviser pour mieux engranger des milliards d’euros en privatisant toujours plus une activité essentielle au pays… et remplir les poches de l’état à très court terme, en oubliant totalement l’intérêt du pays sur le moyen et long terme. Un nouveau scandale qui ferait passer celui de la privatisation des autoroutes pour de la pacotille. Car si ce projet venait à aboutir, c’en serait fini de la mutualisation des risques de l’entreprise intégrée EDF : une privatisation des profits et une socialisation des risques.
Il est alors facile d’imaginer que, dans un futur proche, la part initiale de l’État dans chacune de ces deux entités diminuerait pour se réduire à peau de chagrin (voir l’article suivant sur GDF).
22 Md€ de dividendes versés à l’état !
La dette un problème ?
La dette actuelle est le résultat d’années bien trop généreuses en dividendes pour les actionnaires, mais pas plus en 2019 que dans les années 1980, la dette n’est pas un problème ! C’est même la réponse, au travers des investissements, à la transition énergétique indispensable pour lutter contre le réchauffement climatique et la précarité énergétique.
Et tous ces investissements positifs pour le climat le sont aussi pour le PIB du pays, quand ils sont réalisés en France ou qu’ils concernent l’industrie française. Mais sont-ils bien tous justifiés quand ils se font ailleurs ?
Il est aussi plus que temps de sortir du diktat du ratio Dette/EBITDA < 2.5 car nombre d’investissements d’EDF sont à très long terme : plus de 60 ans de fonctionnement pour les futurs EPR, plus d’une centaine d’années pour un barrage hydraulique. Il est aberrant d’imposer à EDF des ratios financiers de court terme, qui s’appliquent pour des machines industrielles dont la durée de vie ne dépasse pas 20 ans. La dette d’EDF est dans une logique de long terme et non de court terme et doit donc être considérée différemment !
Avec Hercule ce serait la fin de l’entreprise intégrée et de la mutualisation des risques
L’ARENH tue EDF !
L’Accès Régulé à l’Energie Nucléaire Historique est aussi une autre explication de la dette actuelle. Elle oblige EDF à céder 100 TWh à 42 €/MWh, soit un quart de la production issue de son parc nucléaire. Cela spolie EDF et les efforts de ses salarié.e.s et enrichit ses concurrents sans qu’ils investissent le moindre € dans la production d’électricité. Du coup EDF manque de ressources pour financer ses gros investissements de production.
Le statut des IEG dans le viseur
Maintenir le statut pour une partie toujours plus rabougrie de l’entreprise ne peut pas constituer une perspective pour les salariés EDF. Ici aussi l’exemple de France Telecom est illustratif de ce que pourrait être le futur d’EDF. Déjà aujourd’hui, la multiplication des filiales est un problème, avec de plus en plus d’activités qui s’entremêlent, avec des salariés au statut au contact d’autres qui n’y sont pas, et parfois sur des activités totalement identiques. La direction invite même des salariés statutaires à postuler sur des postes hors statut, dans les filiales, avec des conditions de retour plus qu’hypothétiques dans leurs directions historiques. A la fin de leur contrat dans la filiale, l’argument de la direction est déjà tout trouvé : « Compte tenu de nos objectifs de baisses drastiques d’effectifs nous ne pouvons pas vous reprendre dans votre ancienne unité…».
D’ailleurs l’avenir des fonctions centrales, support et appui, recherche, DOAAT… reste encore incertain avec Hercule : tout dépendra du schéma retenu !
La dette d’EDF n’est pas un problème : c’est la réponse à la transition énergétique
Les salariés et une partie importante du management souhaitent un autre avenir pour EDF que celui tracé par Hercule. Ils l’ont exprimé lors de la journée intersyndicale du 19 septembre, car le statut des IEG est le ciment de leurs garanties collectives et les protège du dumping social ! Il est temps de redéfinir les conditions d’un contrat social de haut niveau pour tous, afin de construire le Service Public de l’Energie du XXIème siècle. D’autres choix sont possibles pour les citoyens et les salariés. Débattons-en et imposons-les « tous ensemble ».