[Options n°646 – avril 2019 – pages 10-11] Sujet d’importance, puisque les obstacles qui nous empêchent trop souvent de mettre en œuvre nos campagnes, ou la diffusion de communications, sont le « manque de bras ».Pourquoi ne parvenons nous pas à impliquer davantage nos adhérents pour qu’ils soient « des syndiqués acteurs, auteurs et décideurs » ? Comment aussi donner « plus » à nos syndiqués ?
Certes, les raisons du manque d’implication de nos adhérents ne dépendent pas que de nous. La tendance à la délégation de pouvoir, l’individualisation des salariés, la mise en compétition grandissante des salariés entre eux, la perte d’intérêt sur les questions politiques… Nous attarder une nouvelle fois sur ces raisons ne nous avancerait pas à grand-chose. En revanche, ce débat propose de nous interroger sur notre capacité à nous adapter aux syndiqués, à leurs attentes et à revisiter nos pratiques syndicales.
Les interventions vont bon train : « Il faut se sortir de la tête qu’un, ou une, secrétaire générale peut tout gérer tout.e seul.e, et a des compétences dans tous les métiers ». En effet, nos syndiqué.e.s ne sont-ils.elles pas les mieux placés pour parler de leur quotidien, de leur travail, de leurs attentes ? N’est-ce pas leur point de vue et leurs arguments qui constituent les meilleures armes pour aller négocier ? Mais encore, comment peut-on les associer tout au long des processus de négociations ?
L’objectif d’impliquer et d’associer nos adhérent.e.s à l’élaboration de nos propositions d’organisation de travail, ne répond-il pas aussi à la question du renforcement syndical ? L’identification à un collectif donne davantage de sens au fait d’être syndiqué.e.
S’agissant de notre fonctionnement, donne-t-on suffisamment de place aux adhérent.e.s ? Leur offrons-nous un espace suffisant qui leur permette de s’exprimer sur notre organisation, pour susciter l’envie d’en devenir acteur.actrice ?
Organisation, structuration, déploiement
L’actualité prouve à quel point les citoyens et les salariés, particulièrement ceux de nos catégories, aspirent de plus en plus à prendre part aux débats et aux décisions. Cela doit nous encourager à aller, plus que jamais, au contact de ceux-ci, par tous les moyens.
Mais la cartographie présentée par Philippe Lattaud révèle les limites de notre capacité à nous déployer : la présence des ICT face à celle de l’implantation de nos syndicats met en lumière un décalage. Nous sommes sous représentés sur les implantations géographiques où les ICTAM occupent la quasi-totalité des emplois.
Quel déploiement alors ? Celui-ci doit avoir comme objectif de récréer de l’activité syndicale au cœur des collectifs de travail. Cela nécessite que de nombreux salariés nous rejoignent, prennent leur place dans la vie syndicale pour faire rayonner la CGT. Pas uniquement des salariés en difficulté dans leur travail, mais aussi ceux qui s’y épanouissent, avec parfois l’ambition de le transformer.
L’Ufict CGT doit être en mesure de s’adresser à tous les ICTAM. L’objectif n’est pas de faire prospérer notre organisation syndicale pour elle-même, mais pour modifier le rapport de force au sein des entreprises et de la société.
Après cette démonstration du double décalage, géographique et catégoriel, Jean-Marc Cotx (Ingénierie EDF) nous rapporte son expérience dans son unité. Partant d’un militantisme de proximité, il a fait adhérer de jeunes ingénieurs qui, désormais, assument leur part d’investissement syndical dans les collectifs de travail. Du reste, certains ont pris part aux travaux du congrès.
Deux autres interventions marqueront aussi les esprits
Laurent Smagghe, d’EDF Renouvelables (éolien et photovoltaïque), nous retrace l’évolution de la CGT dans cette jeune société, qui intègre EDF en 2012, sous le nom d’EDF Energies Nouvelles. Les salariés sont (peu) « couverts » par la convention collective Syntec, avec en plus des conditions dérogatoires à cette convention, plus défavorables pour les salariés, négociées entre la Direction et les autres organisations syndicales.
En 2013, la CGT s’implante dans l’entreprise grâce au militantisme d’une agent de maîtrise et d’un cadre. Dès les premières élections elle atteint le score de 13%, et cela garantit sa représentativité. En 2016, la CGT progresse pour atteindre 24 %. En 2017, lors des élections au comité d’entreprise, le score monte à 29,8 %. Enfin, aux élections pour le CSE, la CGT grimpe jusqu’à 33% avec 5 sièges sur 9… Un vent d’espoir traverse l’atmosphère du congrès ! A EDF Renouvelables, la CGT n’a pas de détachés permanents et peu de moyens… Mais ça le fait… même si les cadres militants voient leur prime variable en forte baisse.
Dans la foulée de cette intervention très positive, Philippe Bourrachot prend la parole. Il travaille et milite à l’Institut de Radioprotection du Secteur Nucléaire (IRSN), créé en 2002, qui compte environ 1 500 salariés sur 8 sites en France. Avec 70 adhérents, la CGT a un taux de syndicalisation de 5 % au sein d’une population composée très largement de cadres.
Le principal « adversaire syndical » est la CFDT qui s’inscrit systématiquement dans une logique d’accompagnement des orientations de la direction. Aux dernières élections pour le conseil d’administration, la CGT a atteint le score de 44 % !
La caractéristique des militants de l’IRSN est leur motivation pour défendre leur métier et les conditions dans lesquelles ils l’exercent. Et c’est bien ça : ils défendent la valeur travail et c’est pour cela qu’ils sont à la CGT !
Quant au déploiement, Philippe insiste sur un point : « A l’issue de chaque IRP, la CGT envoie un compte rendu et les salariés apprécient beaucoup ». On le savait… mais le fait-on, partout ?
A l’issue de ce débat, Sébastien Ménesplier, Secrétaire Général de la Fédération Mines Energie prend la parole pour une intervention fédératrice, autour des combats d’aujourd’hui, dans toutes les catégories de salariés. Pour rappeler aussi la nécessité de s’organiser, « tous ensemble », pour construire un nouveau projet de société : une alternative à la financiarisation de l’économie.
Avec l’évolution du salariat, tout le monde s’accorde sur la nécessité de développer une activité spécifique envers les ICT. Pourtant, mener cette activité n’est pas spontané. Il faut l’organiser, la structurer.
Vincent Gautheron de l’Ugict CGT pose clairement le sujet. Est-ce la classe ouvrière qui ne comprend pas les ICT ? Ou ne vaut-il pas mieux regarder les choses en face : « Tous les salariés utilisent leur force de travail pour vivre. Les ICT ne sont pas les bourgeois de la classe ouvrière ! ».
Des pistes sont tracées, d’autres restent à imaginer avec les jeunes, les militant.e.s, les syndiqué.e.s.
Transformer notre syndicalisme
Ce n’est pas qu’un slogan et cela nécessite des mesures concrètes d’organisation, de structuration de l’activité spécifique sur le terrain. Comme le propose le texte d’orientation du prochain congrès confédéral, chaque syndiqué Ingénieur Cadre Technicien et Agent de Maitrise a le droit à une activité spécifique de proximité, quels que soient les modes d’organisation retenus. Comme l’a dit Sébastien Ménesplier, la question de l’activité de la CGT en direction des ICT ne doit pas rester un objet de conflictualité au sein de nos syndicats et de notre fédération. A chaque fois, nous favoriserons une démarche permettant l’expression des salariés sur leur travail.
De ce point de vue, la campagne « Droit d’expression », tout juste lancée, représente un véritable enjeu : un besoin essentiel exprimé par tous les ICT aujourd’hui, dans toutes les entreprises. L’objectif est de susciter une expression libre des salariés de nos catégories sur les projets d’organisation, sur les formes d’organisation et de revendiquer le droit de donner son avis sans crainte pour sa carrière.
Ainsi, nous serons mieux armés pour intervenir dans les négociations et concertations qui toucheront aux nouvelles organisations de travail, à la formation, aux grilles de qualification…
Cette démarche est au cœur des orientations de l’Ufict, notamment depuis le congrès du Cap d’Agde où est né cet « espace de confiance pour agir ». Il faut maintenant que cela devienne une réalité, même si nous mesurons l’écart qui subsiste entre cet objectif et la réalité quotidienne. C’est pourquoi la direction sortante de l’Ufict a souhaité que ce congrès y consacre une part importante de ses travaux.
De grands succès de la CGT auprès des cadres
Les syndicats de l’IRSN et d’EDF Renouvelables ont démontré comment la CGT gagne auprès des cadres, avec peu de moyens et de droits syndicaux… Jusqu’à atteindre la première place aux élections, dans des entreprises où les cadres composent l’essentiel des effectifs. Cela nous donne confiance pour rencontrer les cadres et leur proposer de nous rejoindre.
L’Ufict s’est engagée à se rapprocher des collectifs métiers et des délégués syndicaux centraux, pour ancrer notre activité syndicale au cœur du travail quotidien des salariés. Ainsi, nous serons en mesure de porter la parole des ICT dans les négociations.
Avec ce vent d’espoir qui a soufflé sur nos débats, l’Ufict aura fait une véritable cure de jouvence à la station thermale de Gréoux les Bains. C’est bien normal pour une organisation jeune de ses 4 fois 20 ans.
Travaillons à ce qui nous rassemble !