Derrière les beaux discours, une réalité alarmante…
Du 17 au 21 juin 2024 s’est tenue la semaine de la « Qualité de Vie et des Conditions de Travail » (QVCT) instituée dans les années 2000 par l’Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail (ANACT). Soucieuses d’afficher leur pseudo volonté d’améliorer le quotidien de leurs salariés, les entreprises organisent pour l’occasion : conférences, ateliers, débats autour du bien-être au travail. Mais ce rendez-vous annuel sonne de plus en plus creux au regard de la réalité : une dégradation continue des conditions de travail dans les entreprises françaises.
Derrière une rhétorique lénifiante sur le “bien-être et l’épanouissement”, se cachent en réalité des pratiques toujours plus anxiogènes pour les salariés. Décryptage d’un leurre institutionnalisé
Travailleurs pressurisés, ou quand le travail rend malade
La fin du XXe siècle a vu l’émergence en France de nouvelles organisations du travail, telles le Lean Management, sur fond de conditions de travail dégradées et d’un niveau de chômage élevé et persistant. Si dans un premier temps, ces méthodes ont procuré une forme de reconnaissance aux salariés, elles ont ensuite rapidement conduit à une augmentation et une intensification de la charge de travail, à une mise en concurrence entre salariés et à une réduction des effectifs.
Les répercussions sur la santé des travailleurs ont été significatives. Par exemple, les troubles musculo-squelettiques (TMS) ont augmenté de 60 % depuis 2003 et selon l’Institut de veille sanitaire, 480 000 personnes souffrent de détresse psychologique au travail, et 30 000 (7 % des salariés) sont affectées par le burn-out. Une étude du cabinet Technologia révèle que 3,2 millions de salariés (12 % des actifs) sont soumis à un risque de burnout. Des chiffres amplifiés en 2022 dans une étude publiée par Opinion Way où 41 % des salariés français souffrent de détresse psychologique, 34 % étant en burn-out, 13 % en burn-out sévère, soit plus de 2,5 millions de personnes.
41 % des salariés français souffrent de détresse psychologique
Face à ces défis, certaines entreprises ont donc adopté la Qualité de Vie au Travail (QVT) ou la Qualité de Vie et des Conditions de Travail (QVCT) pour tenter d’améliorer le bien-être des salariés et redorer leur image. Des concepts flous mais principalement utilisés pour ré engager les salariés, sources de performance et d’innovation.
Le culte de « l’image employeur » Salles de massage, baby-foot, coaching… les entreprises n’ont jamais autant misé sur le bien-être de leurs salariés ! Pourtant, une étude réalisée en 2023 par l’Université d’Oxford démontre l’inefficacité de ces « actions bien-être », qui aggravent même parfois la situation des salariés plutôt que de l’améliorer. 52 milliards d’euros ont été dépensés par les entreprises britanniques en 2021 dans ces actions, un montant qui atteindra 80 Md en 2026. Pourtant, les résultats, eux, ne semblent pas suivre la courbe ascendante de ces investissements gargantuesques. Une pure logique de communication visant à améliorer l’attractivité des entreprises, sans volonté réelle de transformer les organisations !
QVT et QVCT : une pure logique de communication sans volonté de transformer les organisations !
Pour l’Ufict-CGT, ces aménagements sont superficiels et ont surtout l’effet pervers d’invisibiliser les vrais problèmes. Car, en coulisse, les signaux alarmants se multiplient. Selon la dernière enquête 2023 ViaVoice Ufict-CGT, 47 % des cadres affirment être soumis à des risques psychosociaux et la surcharge de travail, les méthodes de management ou encore l’organisation du travail, en sont les principaux facteurs.
47 % des cadres affirment être soumis à des risques psychosociaux (enquête 2023 ViaVoice Ufict-CGT)
Les propositions Ufict-CGT pour un vrai changement Il faut s’attaquer aux racines de la souffrance au travail et donc agir en profondeur sur l’organisation du travail et les modes de gestion. Un combat de longue haleine tant les employeurs rechignent à s’emparer réellement de ces enjeux.
Agir en profondeur sur l’organisation du travail et les modes de gestion
Face à ce déni, la CGT exige de remettre les conditions de travail au cœur du débat social et milite pour un renforcement musclé des CSSCT (« feu » les CHSCT), afin de leur donner les moyens d’intervenir. Cela commence par une formation systématique des élus CGT sur les risques psychosociaux, trop souvent occultés. « Nos militants doivent être en capacité d’identifier les facteurs pathogènes : opacité des process, objectifs flous, modes de management autoritaires… », plaide Sophie Binet.
L’enjeu : disposer d’une cartographie fine de la souffrance au travail pour mieux la combattre. La CGT porte un certain nombre de revendications concrètes pour améliorer les conditions de travail :
• Réduire le temps de travail : passer à la semaine de 32 heures pour un meilleur équilibre vie professionnelle/personnelle.
• Augmenter les salaires : pour reconnaître le travail effectué et redonner du pouvoir d’achat aux salariés.
• Sécuriser les parcours professionnels : mettre en place des dispositifs de sécurisation des emplois pour réduire la précarité.
• Reconnaître et valoriser les compétences et les qualifications des salariés, notamment par des plans deformation adaptés.
• Instaurer un véritable droit à la déconnexion pour préserver la santé mentale des salariés.
• Améliorer les conditions de travail : réduire les cadences et les objectifs, diminuer la pénibilité et améliorer les environnements de travail pour éviter les risques psycho-sociaux.
• Impliquer davantage les salariés dans les décisions qui les concernent, pour une meilleure prise en compte de leurs besoins et aspirations.
• Mettre en place des comités de suivi pour contrôler et évaluer régulièrement les conditions de travail et ajuster les politiques en conséquence.
Vers une véritable politique autour des conditions de travail ?
Mais au-delà des ajustements institutionnels, c’est une refonte en profondeur des modèles d’entreprises qui est nécessaire. Car la quête de la performance à tout prix et la concurrence entre salariés sont des freins majeurs au bien-être. Il faut valoriser l’autonomie, la coopération et le sens du travail. Le bien-être au travail ne se décrète pas, il se construira dans un dialogue continu entre les représentants des salariés et les directions sur tous les aspects des conditions de travail. L’équation est complexe mais c’est bien tout un modèle industriel et économique qui
doit évoluer.
Derrière les beaux discours sur le bien-être des salariés, la voie est donc encore longue pour briser le mirage du “bonheur” au travail et lui donner un contenu concret.
Ces propositions CGT offrent une feuille de route claire pour transformer en profondeur les conditions de travail. Ce sont des mesures concrètes et réalisables, loin des gadgets et des solutions cosmétiques mises en avant par les employeurs.