Le parc nucléaire français 50 ans au service du pays…

A l’aube de la construction d’un nouveau parc nucléaire et de nouveaux défis tels que l’électrification de l’industrie, des bâtiments, du parc automobile… pour lutter contre le réchauffement climatique, Options vous propose de redécouvrir l’histoire du parc nucléaire français au cours du demi siècle passé. Les évènements qui ont précipité sa construction, les choix politiques qui ont jalonné son exploitation, son irremplaçable efficacité pour produire, en temps réel, une énergie pilotable, décarbonée, économique au service de l’ensemble des usagers quand elle est sous tutelle publique…
Ce parc nucléaire a été un des atouts majeurs de l’indépendance énergétique de la France, et il le restera encore au cours des prochaines décennies, sous réserve qu’il continue à servir l’intérêt général du pays et du plus grand nombre, et non pas les intérêts particuliers des financiers et de la spéculation boursière.

Rétrospective du nucléaire en France

De la filière Graphite-Gaz aux réacteurs à eau pressurisée.

La genèse du déploiement industriel du parc nucléaire français débute dans les années 1960 avec le lancement, par EDF, des neuf premiers réacteurs Graphite-Gaz (UNGG), une filière 100 % française garantissant notre indépendance d’approvisionnement en uranium naturel. Mais cette filière sera abandonnée au début des années 70 pour des raisons techniques et de sûreté, et cela va précipiter la construction
des deux premiers réacteurs à eau pressurisée (REP) sous licence américaine Westinghouse, sur le site de Fessenheim : le palier CPO.

La première crise pétrolière de 1973 booste les constructions en série

En octobre 1973, la guerre du Kippour entraîne le premier choc pétrolier, car l’OPEP (Organisation des pays Exportateurs de Pétrole) décide simultanément d’augmenter de 70 % le prix du baril et de réduire sa production de pétrole de 5 % chaque mois. La conséquence ne se fait pas
attendre et le prix du baril est multiplié par 4. Cette grave crise pousse, en mars 1974, le gouvernement de Georges Pompidou à lancer un vaste programme de construction de 18 réacteurs de 900 MW connu sous le nom de « Plan Messmer », du nom du premier Ministre de l’époque. Le déploiement de ce programme va s’effectuer simultanément sur les sites de Tricastin (4 réacteurs), du Blayais (4 réacteurs), de Gravelines (6 réacteurs) et de Dampierre (4 réacteurs) : le palier CP1.

1973 : Un prix du baril de pétrole multiplié par 4 !

Dix nouveaux réacteurs sont ensuite lancés en 1976, qui se déclineront sur les sites de Chinon (4 réacteurs), de Cruas (4 réacteurs), et de Saint-Laurent (2 réacteurs) : le palier CP2. La même année l’usine d’enrichissement d’uranium de Pierrelatte est construite afin de garantir la maîtrise du cycle du combustible. C’est aussi en 1976 que le premier Ministre, Jacques Chirac, passe commande d’un réacteur
surgénérateur de 1 200 MW « Superphénix » à Creys-Mal-ville. Ce réacteur à neutrons rapides (RNR) avait pour intérêt de fonctionner soit comme « surgénérateur », en produisant plus de combustible qu’il n’en utilisait, soit comme « sous-générateur », pour brûler une partie du combustible usé, généré par les autres centrales nucléaires. Mais le 31 juillet 1977, au cours d’un rassemblement contre le démarrage de « Superphénix », un manifestant écologiste est tué par une grenade offensive des forces de l’ordre. Ce tragique évènement deviendra le symbole de la lutte des mouvements écologistes, et en 1997, le sort de Superphénix sera scellé par le gouvernement de la gauche plurielle de Lionel Jospin avec sa mise à l’arrêt définitive… La montée continue du prix du pétrole dans les années 80 conduit à la construction de 20 réacteurs supplémentaires de 1 300 MW, sur les sites de Flamanville, Paluel, Saint- Alban, puis de Belleville, Cattenom, Golfech, Nogent et
Penly : les palier P4 et P’4. Ces constructions seront concomitantes avec la mise à l’arrêt progressive des centrales thermiques fioul et charbon, certaines en fin de vie, mais, pour d’autres, du fait du prix de leur combustible qui n’as- sure plus l’équilibre économique et principalement à cause de leurs rejets atmosphériques bien supérieurs aux nouvelles normes environnementales. Enfin, les années 90 seront la décennie de la construction des quatre réacteurs de 1 450 MW sur les sites de Chooz et de Civaux : le palier N4.

Une énergie pilotable, fiable, faiblement carbonée, et dans les moins chères d’Europe

Un parc nucléaire de service public miné par la dérèglementation, la concurrence et l’ouverture des marchés

L’exploitation de ce parc nucléaire de 56 tranches (58 jusqu’en 2020 avec les 2 tranches de Fessenheim) a été un atout de poids pour la France pendant les trente glorieuses et les décennies qui ont suivi. Il a permis le développement de notre industrie à travers une fourniture
abondante d’une électricité bas carbone et dans les moins chères d’Europe. Cette énergie pilotable, fiable, faiblement carbonée a bénéficié à tous les usagers, grâce à son prix fixé par les tarifs et à une entreprise EDF intégrée, assurant production, transport et distribution, dans le cadre de sa mission de service public.
Et ce parc nucléaire n’a pas eu des avantages que pour notre pays. Il a aussi assuré à toute l’Europe, via les interconnexions avec tous nos voisins frontaliers (Belgique, Allemagne, Suisse, Espagne, Portugal et l’Angleterre via sa liaison sous la manche), une sécurité et une stabilité du réseau électrique européen (fréquence et tension). Mais plus que tout, il leur a apporté la fourniture d’électricité garantissant l’équilibre entre l’offre et la demande.

Durant les années 2000, le marché de l’énergie est libéralisé avec une ouverture d’abord partielle, puis totale à la concurrence, qui va mettre fin au monopole d’EDF et de GDF. Ainsi l’état français va séparer les activités de production et de fourniture de l’énergie, de celle du transport (RTE), filialiser la distribution (ERDF qui prendra le nom d’Enedis en 2016), et privatiser les deux entreprises historiques EDF et GDF, qui deviendra ensuite Engie, avec aussi de multiples filiales, comme GRDF en charge des réseaux de distribution de l’électricité et du gaz.

La privatisation a eu des effets catastrophiques pour les usagers

Ces changements profonds et structurels ont des effets catastrophiques pour les usagers : les prix de l’électricité augmentent de 50 % entre 2007 et 2020. En 2010, l’instauration de la loi NOME (Nouvelle Organisation du Marché de l’Electricité), oblige EDF à céder près d’un quart de sa production nucléaire à la concurrence, à un prix défini dit « ARENH » : Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique. Ce dispositif, aberrant, va coûter 8 milliards d’euros à EDF au plus fort de la crise énergétique des années 2020, mettant ainsi l’entreprise en très grande difficulté financière (18 Md € de pertes en 2022).

L’ARENH a mis EDF en très grande difficulté financière

Face à ces réalités, et au vu des colossaux investissements liés à la transition énergétique, le gouvernement d’Emmanuel Macron sera contraint de remonter à 100 % au capital d’EDF, mais malheureusement sans toucher au statut de société anonyme. Les petits actionnaires en feront les frais avec un rachat par l’état de leurs actions à un prix bien inférieur à celui pratiqué lors de la privatisation.

De la fermeture annoncée de centrales à la relance d’un nouveau parc nucléaire

C’est le 11 avril 2007 que débute la construction du réacteur nucléaire EPR de 1 600 MW de Flamanville, conçu par Areva. EDF en est le maitre d’œuvre, pour un budget estimé à 3,3 milliards d’euros. Ce projet mal ficelé, avec une filière mal en point, conduira à de trop nombreux aléas de chantier qui reporteront à de multiples reprises sa mise en exploitation (béton, ferraillage, liner d’enceinte, ségrégation carbone de la cuve, soudures, générateurs de vapeur…). En mai 2024, le chargement du combustible en cuve est enfin effectué pour un couplage au réseau électrique prévu à l’été 2024. Mais ces reports successifs auront coûté très cher : la Cour des comptes évalue que l’EPR a coûté 19,1 milliards d’euros (avec les intérêts intercalaires et les frais liés à la mise en service du réacteur).

La Cour des Comptes évalue que l’EPR a coûté 19,1 milliards d’euros

Mais la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique, prévoit de réduire à 50 % la part de l’atome dans la production électrique d’ici à 2025, avec la fermeture de Fessenheim une fois l’EPR de Flamanville mis en service. Elle précise également la mise en place du projet Grand Carénage pour prolonger la durée de vie des centrales existantes de 40 à 60 ans, afin de palier à la non-construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Mais en janvier 2019, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) pour la période 2019-2028 reporte à 2035
l’objectif de réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité. Cette PPE prévoit également la mise à l’arrêt d’ici 2035 de 14 réacteurs nucléaires de 900 MW, dont les deux de Fessenheim. Ce plan semble signer la fin du parc nucléaire et finit de fragiliser toute la filière nucléaire française qui se détourne vers d’autres secteurs de l’industrie et qui n’investit plus dans des projets futurs. Il met surtout l’entreprise EDF dans une totale incertitude, qui, pour la première fois de son histoire, se retrouve dans l’incapacité de répondre aux enjeux qui sont d’ajuster l’offre et la demande par sa seule production. En effet, durant plusieurs hivers, EDF devra importer massivement de l’électricité à un prix fixé par le marché (bourse de l’énergie) pour répondre aux besoins du pays, et cela ne sera pas sans conséquences sur sa santé financière et ses investissements. Emmanuel Macron, confronté aux difficultés d’EDF et à la présentation du plan RTE « Futurs énergétiques 2050 » établissant 6 scénarios qui mettent en évidence qu’un parc nucléaire bien dimensionné est incontournable pour atteindre la neutralité Carbonne d’ici 2050, fait une série d’annonces concernant le nucléaire civil le 10 février 2022. Il décide de prolonger la durée de vie des centrales existantes au- delà de 50 ans et acte qu’aucun réacteur en service ne sera fermé. De plus, il annonce la création d’un nouveau parc nucléaire composé six réacteurs EPR 2ème génération, pour une mise en service à l’horizon 2035, auxquels s’ajoutent des études pour 8 réacteurs EPR2 additionnels.

Le parc nucléaire est incontournable pour atteindre la neutralité Carbonne d’ici 2050

Si ce projet semble (enfin) revenir à la raison et à la hauteur des enjeux qui sont devant nous pour les deux prochaines décennies, sa réussite et sa maîtrise, aussi bien financière que temporelle, seront conditionnées à la bonne analyse des dérives du chantier de l’EPR de Flamanville, mais aussi au retour nécessaire de l’entreprise EDF au statut d’EPIC. Car ce n’est qu’ainsi que toutes les équipes d’ingénierie, d’aménagement, d’exploitation, et de maintenance, pourront travailler en étroite collaboration afin de limiter le recours à une sous-traitance en cascade non maitrisée. Ce changement de statut pour l’entreprise EDF, faciliterait aussi un retour à des visions de moyen et long terme pour le bien commun qui sont déterminantes pour relever les défis du changement climatique et pour se recentrer sur ses missions de service public.

Les accidents nucléaires civils dans le monde

Saint-Laurent des eaux (France) : En octobre 1969 une mauvaise manipulation provoque la dégradation de cinq éléments combustibles, sans conséquences radiologiques environnementales. Cet évènement scellera le sort de la filière française UNGG. En mars 1980 un accident provoque la fusion de 20 kg d’uranium et de très faibles rejets atmosphériques inférieurs aux limites réglementaires. Three Mile Island (USA Pennsylvanie) : Le 28 mars 1979 cet accident se traduit par la fusion du cœur du réacteur. L’accident est classé au niveau 5 sur l’échelle internationale des évènements nucléaires (INES) qui en compte 7. Les rejets atmosphériques seront très faibles car ils seront confinés par l’enceinte béton du réacteur.

Tchernobyl (Ukraine) : Le 26 avril 1986, le réacteur n° 4 de type RBMK explose. Il s’agit du premier accident classé niveau 7 sur l’échelle INES. Les rejets atmosphériques très importants dus à la non-présence d’enceinte de confinement vont toucher plusieurs pays d’Europe
dont la France. Fukushima (Japon) : Le 11 mars 2011 à la suite d’un séisme en mer de magnitude 9, le Japon connaît un tsunami d’ampleur historique qui provoque un accident nucléaire à la centrale de Fukushima classé au niveau 7 sur l’échelle INES. Les rejets atmosphériques toucheront environ un périmètre de 50 kms autour de la centrale. L’Allemagne annonce alors l’arrêt immédiat de 7 centrales nucléaires qui obligera le pays à redémarrer de nombreuses centrales thermiques au charbon.

Les directions de l’ingénierie nucléaire à EDF

  • Direction de l’Ingénierie du Parc et de l’Environnement (DIPDE) 2 000 salariés Etudes et réalisations de Maintien en Conditions Opérationnelles de l’Ilot Nucléaire des centrales nucléaires en exploitation. La DIPDE gère les deux tiers des équipes communes sur les sites nucléaires. Missions de sûreté, sécurité, performance des tranches nucléaires en exploitation. Relations avec les Autorités de Sûreté au travers de la Design Authority. Expertise environnement pour les moyens de production en construction, en exploitation et en déconstruction
  • Centre National d’Equipements de Production d’Electricité (CNEPE) 1 615 salariés Etudes et réalisations de Maintien en Conditions Opérationnelles de l’Ilot conventionnel (non nucléaire) des centrales nucléaires en construction et en exploitation, en France et à l’étranger. Le CNEPE gère le tiers des équipes communes sur les sites nucléaires.
  • Direction Industrielle (DI) 1 237 salariés avant réorganisation (anciennement CEIDRE, partiellement fusionné avec la Direction Technique (TEGG)) Elle assure au travers d’inspections, la qualité dans les domaines des fabrications, du Génie Civil, de la Chimie, des Géosciences, et des Matériaux… de la construction à la déconstruction.
  • Direction Technique (DT) 680 salariés (anciennement SEPTEN) Fonction de Méthodes : elle établit et maintient les référentiels sûreté et technique, et apporte son expertise au parc nucléaire existant sur la conception, en France et à l’international.
  • Direction Support aux Projets et Transformation Numérique (DSPTN) 300 salariés (anciennement CNEN) Gère sous forme de projets, parfois intégrés, les constructions nucléaires neuves en France et à l’Export, missions de méthodes, REX, expertise, Systèmes d’Information. Gestion RH des 1 500 salariés EDF / Prestataires/ Filiales des entités DSPTN, EPR2, FLA3, UM RED Edvance, Direction du Développement, Moyens Centraux.
  • Unité Technique Opérationnelle (UTO) : 900 salariés Créée en 1983, c’est l’un des deux centres d’ingénierie de la direction du parc nucléaire. Elle apporte ses compétences dans les domaines de la maintenance, des pièces de rechanges, des arrêts de tranches, de la logistique, de l’expertise technique, et de l’évaluation des fournisseurs.
  • Unité d’ingénierie en exploitation (UNIE) : 540 salariés Elle est en appui des centrales nucléaires au quotidien et pilote le retour d’expérience, les projets et affaires transverses élargis aux missions de maitrise d’ouvrage pour le compte de la direction du parc nucléaire. Elle prépare également le parc nucléaire à faire face à toutes les crises, élabore les évolutions du référentiel d’exploitation et assure le suivi du combustible des réacteurs en production.

 

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