L’égalité femmes hommes au cœur de nos orientations

[Options n°646 pages 13-15] L’Ufict a décidé de consacrer une demi-journée et une résolution de congrès à la question de l’égalité entre les femmes et les hommes. L’objectif ? Se saisir des outils à notre disposition pour défendre les droits des femmes et leur évolution professionnelle, mais aussi faire évoluer nos pratiques pour favoriser l’engagement et la prise de responsabilités syndicales.

C’est à partir de témoignages de militants sur ce sujet, et d’un panorama de la place des femmes et des hommes dans les entreprises de notre champ fédéral que débute cette demi-journée. Avec un élément nouveau et important dans le paysage : la loi du 5 septembre 2018 dite « loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel », et sa mesure phare : pour la première fois, une obligation de résultat mesurée à travers l’index de l’égalité femmes hommes.

L’égalité femmes hommes n’est pas atteinte dans nos entreprises

Cinq indicateurs constituent cet index qui vise la transparence, avec une obligation pour l’entreprise de publier ses résultats au 1er mars 2019, 3 ans pour effectuer le rattrapage salarial (sans lequel les entreprises s’exposent à des sanctions financières allant jusqu’à 1 % de la masse salariale).

Le panorama des résultats publiés par les entreprises de notre secteur montre que tout n’est pas parfait, loin de là, en particulier sur la question du retour de congés maternité.

Pourtant, le rattrapage salarial des femmes de retour de congés maternité est obligatoire depuis 2006. Et pour cause : une mère de 3 enfants gagne 10 % de moins qu’une femme sans enfant sur le même poste. La maternité est le facteur le plus impactant et le plus injuste car inhérent à la condition féminine et humaine.

La maternité est le facteur le plus impactant

Les retours d’expériences des commissions éga pro le montrent : les directions ont des réticences et se cachent derrière des statistiques « peu significatives ». Mais cumulés sur 10 ans, les écarts de rémunération s’avèrent très importants. Les hommes sont aussi concernés, par le temps partiel notamment. Les débats font apparaitre des impacts sur la retraite des femmes si le projet du gouvernement était mis en place… Ils mettent aussi en avant le besoin de formation et de relancer la capacité d‘intervention et de dialogue social sur le sujet.

Les indicateurs de l’index égalité femmes hommes

  • Suppression des écarts de salaires entre les femmes et les hommes, à poste et âges comparables (40 points maximum)
  • Ecart de répartition des augmentations individuelles (20 points maximum)
  • Ecart de répartition des promotions (15 points maximum)
  • Pourcentage de salariées augmentées à leur retour de congés de maternité (15 points maximum)
  • Au moins 4 femmes dans les 10 plus hautes rémunérations (10 points maximum)

Un travail en ateliers pour aller plus loin

La projection d’une petite vidéo, avec des enfants, soulève la question des pressions sociales et des stéréotypes. Et cette question reviendra dans les travaux en atelier qui sont proposés aux congressistes.

Le premier atelier porte sur la prise de responsabilités des femmes dans nos instances. Après avoir rappelé qu’il faut faire tomber la notion de sexe fort et faible ainsi que les stéréotypes, c’est la notion de temps de travail (réunions courtes) qui est évoquée, les difficultés pour les déplacements, les distances et temps de transport entre les régions et Montreuil, la nécessité de plus s’investir dans les outils collaboratifs pour travailler à distance (vidéoconférence, conftel…). Les femmes sont trop souvent affectées à des tâches administratives, même à la CGT : c’est une transposition des compétences de l’entreprise vers le syndicat, ce qui amène à des dérives. La prise de parole est difficile car le mode de communication est masculin (et parfois grossier)… Les violences faites aux femmes sont encore une réalité, même au sein de la CGT.

En conclusion, le groupe propose de partager les misions, de veiller à donner la parole à ceux et celles qui ne se sont pas exprimés, de faire preuve de bienveillance, de former les élu.e.s sur les agressions sexistes, de créer un collectif femme.

Dans le deuxième atelier, c’est la notion de détachement à temps plein qui est questionnée. La nécessité de libérer la parole et de nommer des binômes en responsabilité sont soulevés. Sur les situations dégradées de violences, agressivité, prises d’ascendant, le groupe propose d’aller plus loin avec la formation, en faisant appel à des associations dont c’est le métier, en sollicitant la confédération pour des actions de médiation.

Le troisième atelier insiste sur la nécessité pour les femmes de se coordonner entre elles, dans la CGT, revient sur les propos virils et les attitudes guerrières, le sexisme ordinaire et les stéréotypes. L’histoire de nos entreprises est essentiellement masculine et cet héritage n’est pas toujours positif.

Pressions sociales et stéréotypes

L’angle choisi pour présenter cette séquence peut paraître surprenant, mais ce sujet est le fruit d’un travail de plusieurs années au sein de l’Ufict. Le modèle social des masculinités, virilité incluse, ancre les rapports de pouvoirs liés au genre et assure la perpétuation du patriarcat et la domination des hommes sur les femmes. Quelques exemples de stéréotypes (masculins et féminins) sont énoncés afin de donner des clés de compréhension. Il est nécessaire de les déconstruire, notamment dans le cadre syndical, pour prendre conscience des enjeux et lutter contre ce système de domination. Il faut aussi aborder la souffrance des hommes parfois prisonniers et victimes de la masculinité et/ou de la virilité imposées par la société. Comment s’autoriser à être différents ou différentes du modèle qui nous a été inculqué depuis des millénaires, et que chacun, chacune d’entre nous, subit dès sa naissance ? Et comment ne plus favoriser ou valoriser les modes de communication dits « virils », qui empêchent l’engagement dans le monde syndical ? En tant que syndicalistes CGT, un de nos objectifs est de gagner des avancées sociales : il est donc urgent de déconstruire nos modes de fonctionnement afin de permettre une plus large représentativité.

Masculinités et enjeux syndicaux

Fanny Gallot, maîtresse de conférence, spécialiste du travail et du genre, aborde alors les enjeux syndicaux liés à la question des masculinités au travail.
De récentes recherches sur la question du genre au travail ont conduit à s’interroger sur la fabrication des masculinités, comment on peut les envisager au travail et leurs effets sur le syndicalisme. Dans les préalables qu’elle expose, il faut souligner qu’il y a « des » masculinités et non « une » masculinité qu’on a longtemps associée en France au modèle de l’homme viril, hétérosexuel, fort et dominant.

Ces masculinités sont fabriquées sous plusieurs effets :

  • La socialisation différenciée. Dès la petite enfance, les filles et les garçons sont socialisés à entrer dans des rôles précis. Si on parle beaucoup de ce que cela produit pour les filles, on oublie ce que cela produit pour les garçons. On leur apprend à ne pas pleurer, ne pas se plaindre, ne pas exprimer leurs émotions, ne pas être dans le soin avec les autres… En ayant appris à censurer l’expression de leurs émotions, des chercheurs ont montré qu’ils ne peuvent s’identifier à une identité masculine qu’en acceptant de réprimer une part de leur individualité.
  • La division sexuée du travail, le patriarcat et le capitalisme. La socialisation différenciée reproduit un système matériel bien ancré, qui fait de l’homme le pourvoyeur des revenus dans le couple hétérosexuel. La sphère publique, le travail professionnel, appartient aux hommes, tandis que le privé, le travail domestique est l’apanage des femmes. En d’autres termes, cette division sexuée est au fondement même du capitalisme et participe de sa reproduction.
  • Masculinités : des privilèges et des contraintes. En général, être un homme aujourd’hui comporte un certain nombre de privilèges liés à cette position dominante structurellement : au travail, dans la rue… Cependant, accepter son statut de dominant, implique un certain nombre de pratiques : ne pas montrer de faiblesses, de souffrances, d’émotions, se surinvestir dans sa vie professionnelle… De la même façon que des femmes récusent certaines normes de genre et rôles sociaux auxquels elles sont assignées, des hommes ne souhaitent pas se conformer à ce qui est attendu d’eux et le vivent plus ou moins bien. Enfin, les comportements qu’implique le fait de se conformer aux injonctions de la masculinité, les conduisent à avoir davantage de conduites à risques.

La sociologie a déjà montré combien le travail, terrain d’accès privilégié à une forme de reconnaissance sociale, constitue un fondement essentiel des légitimités masculines. Dans le même temps, les nouveaux modes de production et d’organisation du travail font que les hommes ne peuvent que subir violemment des relations hiérarchiques autoritaires, qui démentent au quotidien leur statut de dominant. Ils sont donc davantage exposés aux déconvenues.

Des implications syndicales

A la fin du XIXème siècle, avec le développement de la culture ouvrière et la naissance du syndicalisme, le virilisme ouvrier devient vertu politique (lié à la dureté du travail). Il se rapporte également au combat, à la capacité à se battre, se défendre, par opposition à la pleutrerie, la lâcheté des directions. Le corps ouvrier est à la fois le stigmate de la pénibilité et en même temps, l’emblème d’une fierté virile. Cela alimente la fabrication du militant syndical et les difficultés pour les organisations syndicales à accepter d’autres formes de masculinité.

Dans les réunions, sont valorisés des comportements masculins, que l’on imagine seuls en capacité de tenir tête à l’employeur (des faits d’armes sont régulièrement évoqués par les syndicalistes). Il faut se poser la question de l’effet produit de ce type de comportement en interne vis à vis des femmes, mais également vis à vis de ceux qui ne se sentiraient pas à l’aise avec cela. D’autres recherches rendent compte de « propos déplacés, à connotation sexuelle ou misogyne », dans les organisations syndicales, voire de blagues sexistes et leurs effets produits sur l’implication des femmes dans les cadres syndicaux.

La question de l’éga pro est donc encore loin d’être résolue…