Pour sa 3ème édition, l’enquête Viavoice pour l’Ufict-CGT sur les attentes des cadres de notre champ professionnel, met en lumière les écarts persistants importants entre attentes et vécus : charge de travail en hausse, quête de sens, équilibre vie professionnelle/vie personnelle, mais aussi rémunération et bien-être au travail.
2 660 cadres ont répondu, entre le 24 octobre et le 2 décembre 2024, venant de toutes les régions et de la plupart des entreprises de notre champ professionnel (pour beaucoup des IEG), et 31 % des répondants sont des encadrants d’équipes de travail.
Pour aller au-delà des questions d’ordre général, des questions d’actualité y ont été ajoutées cette année : retraites, racisme et sexisme au travail, évolution des pratiques managériales… Pour les années à venir, nous serons ainsi en mesure d’analyser les évolutions dans le temps lors des prochaines enquêtes. Mais celle-ci est déjà riche d’enseignements sur des sujets cruciaux : autant d’éléments précieux pour améliorer notre perception et renforcer notre action syndicale.
Les équilibres de vie : la première priorité des cadres
… Suivie de près par le sens du travail et la rémunération
Cette année encore, les cadres interrogés priorisent leur qualité de vie au travail, qui semble déterminer leur bien-être professionnel. L’équilibre vie professionnelle/vie personnelle demeure prioritaire (cité par 78 % d’entre eux), suivi de près par le contenu et le sens au travail (cité par 76 % d’entre eux), puis vient en 3ème position le salaire pour 65 % des cadres. Ce résultat met en évidence une aspiration forte pour un environnement de travail conciliant vie privée et exigences professionnelles, mais les résultats montrent un décalage avec la réalité…
La charge de travail des cadres reste conséquente
67 % estiment que leur charge de travail est élevée et 58 % la déclarent en augmentation depuis l’année dernière.
Plus d’un tiers des cadres travaille plus de 45 heures par semaine et près d’un cadre sur deux travaille fréquemment pendant ses jours de repos. Cela illustre une porosité croissante entre les sphères personnelles et professionnelles.
45 % des cadres considèrent être soumis à des risques psychosociaux (RPS)
Ce déséquilibre a un impact direct sur la santé mentale des répondants, loin d’être au beau fixe, puisque 45 % considèrent être soumis à des risques psychosociaux (RPS). Les facteurs de risque les plus cités sont la surcharge de travail et les méthodes de management et d’organisation du travail. A ce propos, l’Ufict lance cette année une campagne sur les RPS et propose dans les prochaines semaines deux formations à l’attention de ses militants et des managers, afin de sortir des démarches d’individualisation, d’identifier les situations à risques et de comprendre ce qui empêche le travail de qualité.
Forfait jour : une autonomie sous pression
Près de 80 % des répondants sont au forfait jours (FJ), qui repose sur un décompte des jours et non des heures. Si le FJ séduit à première vue par sa flexibilité et une autonomie relative, cette apparente liberté à un prix. Dans les faits, le forfait jour est souvent synonyme d’un engage- ment sans limite comme le démontre le nombre d’heures hebdomadaires conséquentes réalisées. Mais malgré ces contraintes, seuls 20 % des répondants souhaitent un décompte strict de leur temps de travail, démontrant leur attachement à cette autonomie, même sous pression… Rappelons que mesurer le temps est une obligation dans les accords forfait jours… pas vraiment respectée !
Pour l’Ufict-CGT, cette autonomie ne doit pas se faire au détriment de la santé et de la qualité de vie. Il est donc nécessaire d’encadrer le forfait jour de manière réfléchie, en instaurant un dispositif qui permette de suivre les dépassements excessifs sans trop rigidifier l’organisation du travail. Cela doit s’accompagner de la mise en place d’outils pour évaluer la charge de travail, réorganiser les équipes en conséquence, car ce système FJ conduit à de très larges dépassements d’horaires et met en danger la santé mentale des cadres.
Erosion du sens au travail
L’enquête met aussi en lumière une érosion significative de l’intérêt et du sens au travail pour les cadres, un phénomène qui touche près de 4 cadres sur 10. Si ces facteurs restent au cœur des priorités, ils semblent de plus en plus difficiles à préserver dans un contexte marqué par une surcharge de travail et des méthodes managériales contestées. Notre expérience de terrain nous permet de confirmer que ce sujet est particulièrement sensible chez les jeunes embauchés qui vivent parfois des désillusions importantes sur le contenu de leur emploi : l’écart est par- fois grand entre les promesses faites à l’embauche et la réalité de leur emploi.
A noter également que le droit de propositions alternatives (garanti par la loi) est accueilli favorablement par près de la moitié des répondants.
Une rémunération peu en rapport avec la charge de travail
Face à l’accroissement de la vie chère, surtout depuis les années de fortes inflations, 65 % des cadres interrogés déclarent que le salaire est l’une de leurs priorités, un taux qui ne redescend plus depuis la précédente enquête qui avait pourtant marqué une augmentation de 8 points sur cet item.
Face à sa charge de travail, un cadre sur deux estime que sa rémunération n’est pas en adéquation avec son temps de travail effectif et son implication. D’autant plus que cette année, les augmentations de salaire et primes ont été moins importantes (avec aussi une inflation moindre). A noter que, malgré des politiques de rémunération ultra individualistes, 9 cadres sur 10 sont favorables à des augmentations collectives de salaire et une grande majorité se dit même prête à se mobiliser (pétition, grève) pour être augmentée. Plus de la moitié des répondants considèrent que les augmentations récentes (de salaire ou de prime) n’ont pas permis de maintenir le pouvoir d’achat.
90 % des cadres sont favorables à des augmentations collectives de salaire
Malgré ces tensions entre charge de travail et rémunération, les perceptions des cadres restent mitigées sur la diminution de la durée légale du temps de travail. Les jeunes s’y déclarent beaucoup plus favorables que leurs aînés (64 % des 30-39 ans contre 42 % des 60 ans et plus), rappelant à quel point cette question de la diminution du temps de travail est politique, et sans doute culturelle et générationnelle, tant elle touche à l’avenir du monde du travail.
Les jeunes sont plus favorables que leurs aînés à la diminution du temps du travail
Dans une période où des négociations de branche dans les IEG vont s’ouvrir sur la « refonte de la grille de salaires », négociations dans lesquelles les employeurs voudraient mettre à mal nos repères collectifs, ces résultats nous confortent dans la nécessité de défendre notre grille salariale, de la revaloriser et de réinstaurer l’échelle mobile des salaires (pour un rattrapage systématique de l’inflation dans les salaires). La CGT n’a cessé et continuera de porter ses propositions : niveaux d’embauche revalorisés, grille CGT (avec aucun salaire dans la grille en dessous du SMIC CGT à 2 000 €), évolutions durant la carrière…
Une vision critique des pratiques managériales
Face à cet état des lieux mitigé sur leur situation professionnelle actuelle, les cadres interrogés sont critiques vis- à-vis des pratiques managériales et de l’organisation de leurs entreprises.
1/3 des cadres estiment que les pratiques managériales se sont détériorées en 2024
Un tiers d’entre eux estiment que les pratiques managériales se sont détériorées au cours de l’année écoulée et 43 % ont le sentiment qu’ils n’ont pas les moyens matériels et humains pour atteindre les objectifs fixés. Ils sont plus de la moitié à estimer que les initiatives de « bien-être au travail » mises en place dans leur entreprise, n’ont aucun impact ou un impact très faible sur leur bien-être, ce qui prouve bien que les réponses apportées par les entreprises ne sont pas adaptées aux besoins et attentes des salariés.
Initiatives de « bien-être au travail » : peu ou pas d’impact sur le bien-être pour plus d’1 cadre sur 2 !
Le système d’évaluation du travail est au cœur des dispositifs de mangement et il a fortement évolué ces dernières années. 61 % des cadres estiment que ce système d’évaluation individuelle n’est pas fondé sur de bons critères et 59 % le jugent peu transparent. Cela n’a rien de surprenant, car ce système a dérivé et a introduit des biais importants, avec des objectifs chiffrés, « standardisés » de plus en plus et déconnectés du travail réel, du sens et du contenu des missions. D’autre part, avec l’évaluation à 360 degrés (concept d’évaluation par : son supérieur, ses pairs et les salariés de son équipe) qui se généralise dans nos entreprises, le système d’évaluation du travail dérive ouvertement vers une évaluation comportementale du salarié, en lieu et place des aptitudes professionnelles. Ce sujet a déjà largement été évoqué dans Options pour dénoncer le mélange, entretenu par les employeurs, entre les identités professionnelles et personnelles.
Système d’évaluation du travail : peu transparent (59 %) avec des critères qui ne sont pas bons (61 %)
L’évaluation 360 degrés est donc maintenant connue d’une majorité de cadres (quasiment par tous à Enedis qui a généralisé la démarche) et ils ne sont que 36 % à estimer que l’impact de cette démarche est positif.
Loyauté exigée, écoute oubliée
75 % des cadres ne se sentent pas associés aux choix stratégiques de la direction de leur entreprise.
75 % des cadres ne se sentent pas associés aux choix stratégiques
Et malgré tous les dispositifs de communication déployés par les équipes de communication, ce chiffre reste stable ces dernières années. Parallèlement, une majorité des répondants estiment qu’il est attendu d’eux qu’ils respectent et soutiennent ces décisions, même lorsque celles-ci sont en contradiction avec leurs valeurs ou leur vision du travail : une double contrainte de ne pas être écouté tout en devant rester loyal.
Qu’attend-on de vous en tant que cadre : loyauté (82 %), ne pas être critique (50 %)
Ainsi, 82 % des cadres ont le sentiment que la première chose attendue de leur part est la loyauté à l’employeur, et 50 % le fait qu’ils n’expriment pas de critiques. Et plus de 70 % estiment que le montant de leur rémunération va- riable dépend des bonnes relations avec leur hiérarchique et de leur capacité à se conformer aux codes de l’entre- prise. D’où tout le sens des campagnes Ufict menées sur le droit d’expression de l’encadrement et celles futures sur un droit de refus et d’alternative.
Racisme et sexisme : un fléau encore trop présent
L’enquête révèle une réalité préoccupante concernant le racisme et le sexisme en milieu professionnel, deux sujets d’actualité qui sont introduits dans l’enquête 2024. 15 % des cadres interrogés ont été victimes de comportements racistes (qui prennent souvent la forme de « plaisanteries » ou de blagues…) La part de victimes est significativement
plus importante chez les femmes, soulignant une double vulnérabilité à l’intersection du genre et de l’origine.
7 % des répondants disent avoir été victimes de propos ou comportements sexistes, 15 % en ont été témoins, et près d’un quart des femmes ont été victimes de ces comporte- ments. Les victimes ou témoins attestent que dans deux tiers des cas, l’auteur n’a pas été sanctionné. Malgré cette situation déplorable, l’accent doit être mis sur la préven- tion et l’information.
Si près de deux tiers des cadres déclarent avoir été in- formés par leur employeur des droits et recours exis- tants en cas de comportements racistes, cela signifie que plus d’un tiers n’ont toujours pas eu accès à ces informations cruciales.
Dans 2/3 des cas, l’auteur de comportements sexistes n’a pas été sanctionné
La CGT combat depuis son origine (1895) ces discrimina- tions et continuera de mener des campagnes aussi bien d’information que de sensibilisation. Dans les entreprises, elle continuera de combattre ces comportements tout en interpellant les employeurs sur leurs responsabilités (y compris sur les évolutions de carrière). En effet ils ont comme responsabilité, non seulement de protéger leurs salariés, mais aussi d’instaurer un climat de travail res- pectueux et inclusif. Il est indispensable d’accompagner cette lutte par des mesures concrètes : mise en place de for- mations sur les discriminations, suivi des cas signalés et sanction systématique des comportements inappropriés.
Managers : entre pression constante et responsabilités accrues
Les managers occupent une position particulière dans les entreprises, souvent à la croisée des injonctions stra- tégiques et des attentes des équipes qu’ils encadrent. L’en- quête Viavoice met en lumière les spécificités de leur vécu professionnel. Si leur rôle leur confère un certain pouvoir d’action, il s’accompagne également de responsabilités ac- crues et d’une pression qui dépasse souvent celle ressentie par les non-managers.
Parmi les résultats marquants, 73 % des encadrants consi- dèrent leur charge de travail comme élevée, un chiffre su- périeur à la moyenne des cadres. Ils sont également plus nombreux à dépasser les 45 heures de travail par semaine. En parallèle, les managers se sentent particulièrement exposés aux risques psychosociaux, un tiers d’entre eux soulignant l’insuffisance des moyens matériels et humains pour atteindre les objectifs fixés par leur direction.
Malgré cette surcharge encore plus forte, les managers affichent des perceptions souvent plus positives vis-à- vis des pratiques managériales, signe d’un sentiment de responsabilité dans leur rôle de management. Cependant, ils se trouvent également en première ligne face aux dysfonctionnements organisationnels, en devant ré- pondre aux exigences de leur hiérarchie tout en soutenant leur équipe. Ce double rôle, parfois ingrat, accentue leur sentiment d’isolement, d’autant qu’ils sont rarement associés aux choix stratégiques de l’entreprise, comme l’indiquent les 43 % qui estiment ne pas avoir voix au chapitre dans les décisions.
La confiance envers les syndicats reste forte
Dans les enquêtes précédentes, l’image des syndicats était ressortie renforcée de la bataille menée sur les retraites Ce niveau de confiance reste élevé dans notre secteur, et ce sentiment est plus fort que la moyenne interprofessionnelle (mesurée dans le sondage Viavoice/Ugict-CGT).
32 % des cadres jugent la CGT efficace pour défendre leurs intérêts (50 % à CNR,
51 % à l’ANDRA) La CGT, qui est présente dans quasiment toutes les entre- prises de l’énergie, est considérée par 32 % des répondants comme efficace pour défendre les intérêts des cadres. Ce chiffre grimpe à 50 % à la CNR et à 51 % à l’ANDRA.
Des enseignements précieux pour apporter des réponses collectives
Cette enquête Viavoice pour l’Ufict-CGT Mines Énergie dresse un constat sans appel : les cadres réclament un meilleur équilibre de vie, plus de reconnaissance et un travail qui ait du sens. Face à une surcharge de travail écrasante, des rémunérations jugées insuffisantes et un manque de prise en compte de leur avis dans les décisions stratégiques, leurs attentes sont claires et renforcent nos principales revendications : réduire la surcharge de tra- vail en mettant en place des dispositifs pour mesurer la charge et gréer les équipes en conséquence, revaloriser les grilles salariales pour des rémunérations à la hauteur de l’implication des cadres, encadrer le forfait jour pour en faire un véritable outil d’autonomie sans dérives, et en- fin garantir le droit d’expression des encadrants face aux choix stratégiques.
Toutes ces données, aussi bien pour les cadres que pour les agents de Maîtrise (voir l’Options de décembre 2024), sont précieuses pour l’Ufict-CGT qui va les utiliser, avec les salariés, pour construire des réponses collectives à tra- vers un plan de travail ambitieux. Tous ensemble, nous porterons alors ces revendications pour transformer les conditions de travail, redonner du sens à notre engagement, relever les défis qui se posent à notre secteur et ainsi répondre, encore mieux, aux attentes de tous les salariés.