Les managers sont empêchés d’aller vers le travail quotidien

Trois questions à Christophe Massot. Après avoir passé son doctorat en sciences de gestion à l’Université Aix Marseille, il a enseigné à l’Institut Polytechnique de Grenoble et a réalisé une étude sur les actions de prévention des risques psycho-sociaux (RPS) pour le CNRS. Lauréat du Dim Gestes, il est chercheur associé à l’équipe du Cnam d’Yves Clot. Depuis 2015, il fait de l’expertise pour les CHSCT (risque grave RPS).

Christophe Massot considère que l’encadrement de proximité est pris en contradiction entre un rôle de contrôle et un rôle d’organisation ; il serait donc ouvert à entendre un discours qui porterait un autre rapport au travail et l’organisation. 

Le management aujourd’hui est la plupart du temps réduit/soumis au contrôle de la prescription. Vous considérez les managers empêchés ; empêchés de quoi ?

Précisons que la question est adressée au management de proximité, près des opérationnels. Et là, près du travail, il y a de l’imprévu. Il y a ce réel qui résiste à sa maîtrise. Toute personne qui a travaillé a éprouvé cela. Travailler ce n’est pas faire ce qui est prévu mais faire face, efficacement, à ce qui n’a pas été prévu. Aucune règle ou méthode ne peut tout fixer, tout dire du travail. Il faut trouver des solutions. C’est ça la vie au travail !

Et c’est justement là que le travail d’organisation du manager de proximité est nécessaire : qu’est-il possible, ou non, de faire face à ce qui n’est pas prévu et maîtrisé ? C’est au manager de proximité de répondre aux incessantes questions posées par les opérationnels lorsqu’ils ont besoin de savoir quelle solution peut être acceptable et performante du point de vue de l’organisation. C’est un enjeu de mise en discussion du travail opérationnel avec l’organisation.

Ce travail d’organisation demande une fine connaissance tout à la fois des problématiques métiers et du fonctionnement de l’organisation. Mais c’est de ce travail d’organisation dont sont privés les managers. Ils sont aujourd’hui trop souvent réduits à se plier au « chevet des machines de gestion » pour reprendre l’image de Detchessahar : il ne s’agit plus pour les managers de se plonger dans le travail de ses collaborateurs pour le soutenir et l’aiguiller vers les solutions collectives les plus performantes mais seulement de contrôler sa conformité à ce qui a été prévu.

Les managers sont empêchés d’aller vers le travail quotidien, vers ce qui se passetous les jours dans une usine ou un service. Mais ils savent que c’est une hérésie du point de vue de leur travail.

Vous évoquez une organisation de travail où la controverse, c’est-à-dire l’expression des désaccords entre managers et opérationnels, serait la condition pour réaliser un travail de qualité. Concrètement, comment cela se traduirait-il ?Pourquoi utiliser le terme de controverse comme principe de l’efficacité ?

Pour aller contre l’idée du contrôle comme principe de l’efficacité.

Il faut s’attaquer à ce mythe contemporain : le monde, et en particulier le travail, pourraient être réduits à un système absolument prévisible de répétitions ! Mais si le travail c’est aussi ce qui ne se répète pas parce qu’imprévisible et singulier, que faire ? Dire qu’il s’agit juste d’un défaut de contrôle à corriger ? Ce serait nier que l’on ne contrôle pas tout. Il faut assumer le fait que, dans le travail, tout ne peut être sous contrôle et donc que le travail met en question l’organisation. L’efficacité ce n’est pas nier mais s’affronter à cette difficulté.

Mais discuter entre opérationnels et managers du travail réel et de son organisation, vous me direz que ce n’est pas exactement la même chose qu’exprimer des désaccords ! Il faut entendre là le désaccord comme un moyen d’explorer ce qu’il est possible de faire quand on ne maîtrise pas ou plus. Laisser une place aux désaccords entre opérationnels, managers, services, etc. c’est explorer les solutions et les possibles que chacun porte. Même si après il faudra faire un choix ! Que vaut une réunion collective, dont l’objet est un problème irrésolu et difficile, où tout le monde se tait ou dit la même chose ? Le désaccord, portant sur les problèmes du travail et ses possibles résolutions, n’est pas le contraire de l’efficacité mais un moyen d’explorer ce qui pourrait être fait. Il est donc un outil pour développer l’efficacité et la qualité.

Et l’on sent bien, que le contrôle ne permet pas de répondre aux problèmes posés par le travail quotidien. Un travail de qualité demande adaptation et créativité. Et quand ces dernières doivent être collectives, engagent l’organisation, elles ne peuvent se passer du désaccord ! Les managers de proximité sont des acteurs essentiels de cette exploration collective par l’entretien de la discussion et du désaccord.

La place particulière occupée par les managers dans les entreprises ne les incite pas à s’exprimer librement sur les choix stratégiques, et la pratique de l’autocensure est courante. Pensez-vous que le syndicalisme peut être une réponse crédible pour les managers ? Dans la co-construction d’une organisation de travail performante et créative ?

Des managers montent dans le train du contrôle. C’est certain. Mais beaucoup d’autres managers, restant au contact des opérationnels et du travail, constatent tous les jours ce qu’ils pourraient faire avec leurs équipes pour organiser un travail efficace de qualité ! Ils voient tout ce qu’ils pourraient faire mais qu’ils ne font pas ou plus. Et il ne faut pas sous-estimer le coût de ces renoncements : beaucoup en font une maladie !

Je pense que ces managers sont en attente d’un cadre collectif leur permettant de revendiquer une autre idée de l’organisation, des rapports hiérarchiques et de leur métier ! Le syndicalisme doit proposer ce cadre aux managers pour contester collectivement le monopole de la définition de l’efficacité et du métier aux directions. n

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