Mutations du travail : un exemple concrêt à la Direction des achats d’EDF

Les nouvelles formes d’organisation du travail et de management pénètrent nos collectifs de travail. Et les conséquences sur le contenu du travail, son sens et la déclassification des métiers sont nombreuses … pour au final une dégradation de la qualité rendue.

 Le retour d’expérience des approvisionneurs

A la Direction des Achats, nous pouvons nous inspirer de ce qui s’est passé il y a peu dans les approvisionnements pour comprendre ce qui se déroule dans nos collectifs de travail. Pour information les approvisionneurs traitent les achats d’un montant inférieur à 20 k€ et les achats de tout montant sur marché cadre. La population des approvisionneurs se trouvait historiquement sur les sites opérationnels dans les Unités et dans les magasins et plates-formes Serval.

Initialement, ils avaient de réelles possibilités d’apporter leur réflexion pour nourrir leur choix dans la réalisation de leur travail : quels fournisseurs consulter, élaboration d’un prix d’objectif, relations avec les prescripteurs et avec les fournisseurs, analyse des offres… l’intégration des nouvelles technologies et la généralisation des marchés cadres a réduit les marges de manœuvres des approvisionneurs au néant. Le travail de l’approvisionneur consiste désormais à cocher très mécaniquement des cases. Ainsi, le travail se trouve clairement appauvri, vidé de son sens. Pour le salarié, c’est une situation anxiogène puisqu’il ne tire plus aucune fierté de son travail.

D’une population de quelques milliers au niveau national, les approvisionneurs sont passés à quelques centaines. Désormais, ils sont centralisés sur quelques plates-formes basées dans les grosses agglomérations, sans perspectives de trouver un nouvel emploi dans lequel il pourrait s’investir à nouveau, ce qui peut interroger sur la réalité des nouveaux métiers que générerait l’intégration du numérique.

Actuellement, la Direction des Achats d’EDF mène la même démarche :

Intégration des nouvelles technologies, mise en place des nouvelles méthodes de management et de nouveaux espaces de travail

Le télétravail s’est largement développé (au moins 80 % des salariés). Les outils numériques sont largement installés sur les postes de travail. On peut désormais travailler et se contacter à tout moment et de n’importe quel endroit.

Pas de réorganisation affichée (la direction dit qu’elle n’a pas de visibilité au-delà de l’année en cours), report des responsabilités : la responsabilité du budget d’exploitation, du planning, de la santé sécurité et du recrutement (donc des effectifs, principale charge d’exploitation) est reportée sur les collectifs de travail, avec l’instauration d’une prime collective en cas de respect des objectifs de santé sécurité et de baisse du budget d’exploitation.

A la direction des achats d’EDF, comme dans toutes les directions d’EDF, les changements de locaux s’effectuent à la faveur des « open spaces ». Les bureaux sont de moins en moins individualisés. Pour mettre le phénomène en perspective, il faut avoir à l’esprit qu’à la direction de l’immobilier, on compte 60 bureaux pour 100 salariés, c’est ça le  « flex office ».

 « Simplification » du travail

Un système de validation des dossiers va être mis en place en audio conférences rapides.

On va insister sur la mise en œuvre du processus achats en flux court : le seuil de 1 M€ « ne fait pas religion », c’est l’analyse de risque qui doit déterminer le processus. On peut imaginer que l’analyse de risque va essentiellement porter sur l’aspect coût délai au détriment de la qualité. Des gabarits ont été mis en place, raccourcissant drastiquement les processus et leurs délais associés.

De plus en plus la recherche de simplification se fait à outrance. Si dans un premier temps cela peut être bien perçu par le salarié qui est contributeur d’idées innovantes, à terme, la simple recherche de réponse aux critères de coûts délais vide le travail de son sens et dégrade la qualité produite.

Suppression et déclassement des postes de manager de proximité

Initialement, lorsque la Direction annonçait une réorganisation celle-ci devait être présentée devant le Comité d’Etablissement et devant le CHSCT. Ces réorganisations semblent assez mal acceptées, subies par les salariés qui y voient une dilution de leur « identité agence ». De plus, ils sont attachés à leur Chef d’Agence. Désormais, la direction envisage ces évolutions d’organisation sous un autre angle : on dit juste qu’on supprime un Chef d’Agence, le Chef d’Agence d’une autre entité se retrouve à la tête des deux Agences. Un Chef de Pôle fera office de Chef d’Agence (déclassement du poste de chef d’agence) chaque fois que ce sera nécessaire, il en aura l’autorité managériale. Cette situation n’est pas affichée comme pérenne. Ensuite, on applique les nouvelles méthodes de management pour que les salariés construisent eux-mêmes leur nouvelle organisation du travail et valide de fait la disparition d’un poste de Chef d’Agence.

Dans certaines situations, on avance la difficulté de recruter un chef de pôle pour recruter un chef de pôle classé 2 GF en dessous.

Réduction des effectifs et nouveaux modes d’évaluation du travail

Le management participatif peut, tel qu’il est présenté, avoir des vertus. Mais dans un contexte de réduction des effectifs (-8 % par an), n’a-t-il pas vocation à faire porter la responsabilité des suppressions de postes aux salariés eux-mêmes ?

Le forfait jours a imposé la culture de l’obligation de résultats pour le salarié, assortie de rémunération variable liée en théorie à ce résultat, mais souvent très opaque. Les agents de maitrise se retrouvent embarqués dans cette même logique.

Les objectifs portent de moins en moins sur la qualité et davantage sur le respect du couple coûts délais. Ainsi, le rôle du manager de proximité se limite à une comparaison froide objectifs / résultats. Là aussi, c’est une perte du sens du travail du manager de proximité et la fin de son rôle d’expertise.

Enfin, Lorsqu’on demande à notre direction de quelle manière elle compte répartir les gains de productivité réalisés, la réponse est claire :

« Cela ne génère pas de revendications salariales, parce qu’on donne de la reconnaissance verbale. »

 

De plus en plus de salariés, notamment de l’encadrement, vivent aujourd’hui une perte de sens et sont à la recherche d’un travail ayant un contenu de qualité. La recherche de simplification des processus peut être vécue dans un premier temps comme louable.  Mais si elle est menée à outrance, les salariés vivent un report des responsabilités, une « uberisation » de leur activité et une perte de qualité.

Dans ce contexte, nous proposons au contraire de redéfinir les classifications en lien avec les responsabilités réellement exercées et de redonner de la légitimité aux managers de proximité en développant leur rôle d ‘appui et de ressources auprès des équipes.

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