Entre verdissement et inquiétudes, cette 3ème PPE est un grand bouleversement
Instaurée par la loi de transition énergétique de 2015, la PPE est l’outil stratégique de la politique énergétique française. Cette 3ème édition “2025-2035” marque une rupture majeure dans l’architecture énergétique nationale qui impacte toute la filière gaz.
Une réduction drastique de la consommation de gaz fossile
Les entreprises du secteur avaient déjà été lourdement impactées par la RE2020 qui a interdit les chaudières gaz dans les constructions neuves. GRDF a ainsi perdu près de 197000 clients entre fin 2022 et fin 2023. La PPE 3 prévoit elle, une baisse de 37% pour le gaz d’ici 2035, passant de 341 à 214 TWh…
37 % de baisse pour le gaz en 2035 qui menacent 2 200 postes d’ici 2028
En réaction, GRDF a lancé un “plan de performance économique” menaçant 2 200 postes d’ici 2028, soit 15 % de ses effectifs, ce qui impacte directement les ingénieurs, cadres et techniciens (ICT).
De nouvelles compétences et de nouveaux métiers pour ce virage vert
Paradoxalement, la PPE 3 mise sur une augmentation des investissements sur les gaz renouvelables. L’objectif est d’atteindre 50 TWh de biogaz en 2030, dont 44 TWh injectés sur le réseau, soit près de 15 % de la consommation nationale. L’hydrogène (H2) est également au cœur de cette stratégie, avec une capacité d’électrolyse visée de 4,5 GW en 2030 et 8 GW en 2035.
15 % de gaz renouvelables en 2030 soit 50 TWh
ENGIE prévoit entre 21 et 24 Md € d’investissements pour 2025-2027, dont 75 % seront consacrés aux renouvelables, aux batteries et aux réseaux électriques. Cette transformation technologique exige une adaptation rapide des compétences des ICT. Car les réseaux doivent intégrer de nouveaux fluides, les infrastructures évoluer vers des « backbones hydrogène », et les systèmes de contrôle-com mande doivent intégrer des gaz aux propriétés différentes du méthane actuel.
Des projets comme Jupiter 1 000 (injection d’H2 dans les canalisations) et MosaHYc (conversion de 70 km de gazo ducs dans le Grand Est en 100 % H2 d’ici 2026) illustrent cette mutation.
Des stratégies variées des entreprises du secteur gazier face à cette transition
Dans son communiqué de presse de février 2025, ENGIE affirme vouloir devenir la “meilleure utility de la transition énergétique”, en misant sur l’électrification. Elle vise 4 GW de capacité de production d’hydrogène vert en 2035 et 50 TWh/an de biométhane raccordés à ses réseaux d’ici 2030. Son objectif principal est d’atteindre 95 GW de capacités renouvelables et de stockage électrique en 2030, contre 51 GW fin 2024.
Les gestionnaires d’infrastructures comme N ATR AN (ex- GRTgaz) et GRDF réorganisent leurs structures : création de filiales dédiées à T H2, renforcement de la R&D et mo bilisation des équipes sur de nouveaux projets. Storengy teste le stockage d’H2 en cavité saline (Hypster à Etrez), tandis qu’Elengy explore l’accueil de bio-GNL et des vecteurs de l’hydrogène comme l’ammoniac (NH3) dans ses terminaux méthaniers.
De nouvelles activités qui nécessitent de nouvelles compétences
Toutes ces transformations nécessitent une requalification technique importante pour les ICT. Certains opérateurs se tournent vers des activités connexes comme les réseaux de chaleur ou de froid, valorisant ainsi l’expertise des ICT en gestion de réseau et ingénierie thermique.
ENGIE restructure également ses activités autour de trois segments : Renewables & Flex Power, Infrastructures, et Supply & Energy Management. Elle prévoit 300 TWh de ventes d’électricité dans les segments B2C (particuliers) et B2B (professionnels) à l’horizon 2030, ce qui implique des compétences accrues en pilotage des systèmes électriques, gestion de l’intermittence et conception d’offres énergétiques intégrées.
Les risques d’une transition non maîtrisée
La CGT met en garde contre une transition énergétique qui ne serait guidée que par des logiques de marché. Le refus d’Eurogas (syndicat patronal européen) de signer un accord de transition tout juste après neuf mois de négociations illustre cette dérive. Sans cadre protecteur, les ICT risquent de subir une double peine : la dégradation de leurs conditions de travail avec des incertitudes sur leur avenir professionnel.
Pour l’heure, les équipes d’ingénierie et de maintenance doivent gérer le réseau existant avec moins de ressources, tout en préparant sa mutation vers les gaz renouvelables. Cette situation engendre stress et perte de sens pour de nombreux ICT, pris entre le démantèlement des infrastructures actuelles et la construction d’un hypothétique futur système gazier.
Les revendications de la CGT pour une transition juste
Face à ces enjeux, la FNME-CGT et son Ufict proposent une vision alternative pour la filière gaz, articulée autour de trois axes : reconnaissance des compétences, garantie des parcours professionnels, et démocratisation de la gou vernance énergétique. Elle revendique un droit à la reconversion professionnelle pour chaque ICT, avec maintien du salaire, qualifications et droits sociaux lors des transitions. Un droit qui doit être inscrit dans les conventions collectives et accords d’entreprise, afin de garantir aux salariés la possibilité de se projeter dans le futur sans crainte de déclassement.
Un droit à la reconversion professionnelle, avec maintien du salaire et des qualifications
Un plan ambitieux de développement des compétences est également nécessaire. L’Ufict demande un droit à la for mation longue et qualifiante, permettant d’acquérir des expertises stratégiques dans les nouvelles filières : électrochi mie et matériaux pour l’hydrogène, bio-ingénierie pour la méthanisation, data science pour les réseaux intelligents, et conception de systèmes énergétiques hybrides.
Un EPIC du gaz, pour sortir de la logique court-termiste
La CGT demande la création d’un Établissement Public à caractère Industriel et Commercial (EPIC) du gaz, pour sortir de la logique court-termiste du marché et planifier sereinement la transition. Cette structure permet trait de mettre l’expertise des ICT au service de l’intérêt général, tout en assurant la pérennité d’un service public gazier modernisé.
La transition doit être menée avec intelligence collective et justice sociale
La PPE 3 place les ICT de la filière gaz à un moment charnière de leur trajectoire professionnelle. Car la transition énergétique ne se limite pas à une simple adaptation technique, elle interroge le sens même des métiers et leur contribution au système énergétique de demain.
Les gaz verts – biométhane et H2 – offrent une opportunité de redéfinir les rôles des ICT, à condition que la transition soit menée avec intelligence collective et justice sociale. Le savoir-faire des professionnels du gaz est un atout pour concevoir les futurs réseaux hybrides, les solutions de stockage inter saisonnier, et l’équilibre entre gaz et électricité. Des alternatives au modèle actuel existent, qui ne sacrifient ni l’emploi ni les compétences sur l’autel de la rentabilité. Les ICT peuvent devenir les architectes d’un nouveau système énergétique. Cela passe par une implication syndicale renouvelée, où notre expertise technique nourrit le projet revendicatif et où notre capacité d’analyse contribue à l’élaboration d’alternatives crédibles.
La transition gazière ne doit pas être une régression sociale déguisée en impératif écologique. C’est une opportunité historique pour bâtir un système plus juste, durable et démocratique et c’est à nous d’écrire la suite de cette histoire industrielle et sociale.