Réforme des retraites, d’une insécurité à l’autre

[Options 655 – Mars 2020 – p3-4]

La réforme des retraites a momentanément disparu des rues et des écrans mais pas des objectifs du gouvernement.

Drôle  d’époque qui voit le projet de réforme des retraites disparaître de l’actualité, quasiment d’un jour à l’autre, chassé des médias par le coronavirus dont la   dangerosité      provoque une insécurité encore plus immédiate que celle née de la retraite à points. Une insécurité chasse l’autre ; une insécurité se cumule à une autre ; une crise enpercute une autre : insécurité climatique, de santé publique, crise des réfugié.e.s, des frontières, crise sanitaire généralisée, populations les plus fragiles menacées. Tous les secteurs de nos vies sont concernés.

L’attaque portée au système de retraite par répartition avec prestations définies, dont Emmanuel Macron et Edouard

Philippe se sont rendus coupables (après d’autres), crée une insécurité fondamentale au sein de la société et ex-plique son rejet constant par l’immense majorité. Le 3 mars dernier, 60 % des personnes interrogées souhaitaient tou-jours le retrait de cette réforme après l’activation de l’ar-ticle 49-3 [1]. Autiste, le gouvernement a mis fin à tout débat ; répressif, il a tenté de museler le mouvement social en réprimant manifestants et leaders syndicaux ; amateur, il a inventé un nouvel indice de revalorisation des points comparé au revenu de chacun.e, mais pour l’INSEE : « Il n’existe pas à l’heure actuelle d’indicateur de revenu moyen par tête », qui par ailleurs a précisé qu’elle n’avait, courantfévrier, reçu aucune demande « pour travailler à la produc-tion d’une telle statistique » [2]. Rien n’y a fait, pas même l’avis du Conseil d’Etat évoquant des « projections financières lacunaires, des différences de traitement injustifiées, un recours aux ordonnances empêchant une vision d’ensemble, des promesses contraires à la Constitution ».

Aujourd’hui le coronavirus oblige à prendre des mesures drastiques pour assurer la protection des populations. Toutes les bourses dévissent et l’organisation même de la société est mise en péril. E. Macron, dans son allocution du jeudi 12 mars à 20 heures, se rappelle opportunément qu’il existe un Etat-providence qui a su prendre en charge éducation, soins, vieillissement et retraite… « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ». Et le lundi 16 mars il ajoute : « J’ai décidé que toutes les réformes en cours seraient suspendues à commencer par la réforme des retraites ». En bref, s’agira-t-il pour lui de reconstruire dans la deuxième partie de son quinquennat ce qu’il a si consciencieusement détruit durant la première partie et notamment un système de retraite solidaire pour tous.tes ?

Des employeurs aux ordres et qui naviguent à vue

Même si la réforme des retraites est désormais suspendue, nous devons continuer la bataille des idées et des faits avec constance car, une fois cette crise passée, il y a de forts risques qu’elle se poursuive. La réforme devra encore sauter l’obstacle du Sénat puis du Conseil Constitutionnel, mais pourrait dévaster le modèle social français, dont le statut des Industries Electriques et Gazières. Les employeurs des IEG, toujours bons élèves, ont commencé par fournir un espace de parole inédit à la ministre de tutelle, Elisabeth Borne, dès le mois de janvier, sur les intranets des entreprises. Il s’agissait alors de rassurer les salarié.e.s en évoquant dans un « kit manageur.euse.s » l’intégration de primes dans le calcul des cotisations, des modalités particulières de conservation de droits antérieurs à 2025… de sorte à limiter, selon eux, les pertes dans le montant de la pension et l’implication dans le mouvement de contestation.

Rappelons toutefois que les primes ne concernent qu’une partie des salarié.e.s, que toutes sont aléatoires et peuvent être supprimées conduisant automatiquement à une baisse de pouvoir d’achat. Quoi qu’il en soit, pour la plus grosse majorité des salarié.e.s, l’intégration des primes ne compensera pas la perte induite par le simple fait de calculer la pension sur l’intégralité de la carrière.

Les dispositions du projet de loi renvoient à des ordonnances et des décrets dont leurs contenus restent à définir. Ainsi, par exemple, l’âge de départ en retraite pour les générations nées avant 1975 serait défini par ordonnance, de même pour les modalités de transition entre l’actuel et le futur système. En revanche, un principe est gravé dans le marbre : celui du taux global de cotisation fixé à 28,12 %. Dans les IEG il est bien supérieur et selon la ministre et les employeurs aucune sur-cotisation ne sera possible. Les comptes de la CNIEG s’équilibreront-ils par une baisse drastique des pensions des IEG ?

La réforme de tous les dangers

Quels que soient les arguments déployés par les employeurs et leurs communicants pour tenter d’endormir le corps social des entreprises de la branche, la réforme des retraites à la mode Macron conduira à une baisse importante des pensions, d’où le recours à la capitalisation (mise au tapis depuis le début de la crise sanitaire mondiale avec l’effondrement des bourses) au travers de régimes complémentaires pour compenser la perte chez celles et ceux qui disposeront de moyens suffisants, tandis que les autres… A ces faits, il convient de rajouter les effets dévastateurs du projet de déstructuration du secteur de l’énergie, notamment avec Hercule à EDF qui vise à scinder les activités et à en offrir la partie la plus juteuse au privé.

Les employeurs manifestent également la volonté de diminuer l’emprise de la branche sur les entreprises. Ainsi, en renvoyant toutes les négociations à l’échelle de chaque entreprise, la grille salariale unique, pour prendre cet exemple, risque de disparaître dans les limbes. C’est le statut même des IEG et de leurs salarié.e.s qui serait d’étape en étape voué à l’effacement.

Dans le même temps, les entreprises engrangent des bénéfices toujours plus importants : par exemple, le groupe EDF qui annonce 5,2 Md € de bénéfice net pour 2019, contre 1,2 Md € en 2018. Un chiffre qui masque mal les difficultés amoncelées autour de l’EPR de Flamanville, de la fermeture de Fessenheim, de la mise en danger des tarifs régulés, mais surtout un résultat obtenu grâce à l’effort de salarié.e.s dont les salaires ne seront même pas revalorisés de l’inflation.

Malgré les vicissitudes et les temps incertains, la mobilisation reste donc de mise via notamment une réflexion sur le financement des retraites avec l’augmentation des recettes grâce à une meilleure politique concernant l’emploi et les salaires : réduction du temps de travail, création d’emplois, égalité salariale femme-homme représentent des gisements inexplorés car disqualifiés par les employeurs. Et pourquoi donc ?

 

[1] : Enquête HuffPost-You Gov, publiée le 4 mars 2020, réalisée les 2 et 3 mars.

[2] : Réforme des retraites : l’incompréhensible revalorisation du point. Adeline Lorence. capital.fr. Article publié le 11/02/2020.

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