regard sur l’engagement des jeunes

[Options 640 – septembre 2018]

De Seattle à Paris, de la naissance de l’alter mondialisme à Nuit Debout, comment les participants des journées d’été considèrent-ils la jeunesse, son engagement et ses inquiétudes ?

Qui n’a jamais fait le constat du vieillissement du corps militant dans les manifestations, dans les IRP, dans nos réunions de syndicats, fédérales, interprofessionnelles ? C’est une réalité, non seulement dans la CGT mais également dans les autres organisations syndicales, et confirmée en partie par le travail de l’IRES (Institut de Recherche Economique et Sociale). A la demande de la CGT, cette étude interroge notamment le rapport des jeunes à l’engagement et les raisons de leur faible présence dans nos organisations syndicales (1). Cette réflexion à propos de la jeunesse et de son engagement a aussi été amorcée par l’Ufict à l’occasion du Conseil National de juin 2018 avec une des chercheuses de l’équipe IRES, Camille Dupuy.

Les conclusions de l’étude nuancent le constat trop catégorique d’une distance des jeunes à l’égard de l’engagement syndical. Certes, ils s’engagent moins dans le syndicalisme que leurs ainés ; cependant, les chercheurs constatent – et c’est plus inattendu – que ce sont parmi les jeunes déjà engagés dans une démarche syndicale que s’expriment des rapports plus distanciés aux organisations syndicales.

Si lors du débat engagé au Conseil National deux questions ont émergé : « comment favoriser l’engagement des jeunes » et « comment favoriser leur participation », il s’agissait dans le cadre des journées d’été d’approfondir le questionnement plutôt que de tenter de répondre à tout prix et trop rapidement. Les échanges en ateliers, très riches mais aussi frustrants compte tenu des contraintes de temps, n’avaient pas vocation à déboucher sur des décisions, mais plutôt sur des propositions d’initiatives et sensibiliser les participants à l’enjeu que représente la jeunesse pour nos organisations.

Points de vue et obstacles

La confrontation des différences de perceptions, suivant l’âge, l’entreprise mais également le vécu des participants avec leurs propres enfants ou les jeunes de leur entourage, a permis de tracer le contour d’un ensemble de constats. Selon Marcus Kahmann, l’un des chercheurs de l’équipe IRES venu introduire et conclure les travaux en ateliers, ces constats sont souvent proches de ceux contenus dans l’étude.

Certains participants ont regretté de « devoir » parler de ces questions avec si peu de jeunes dans leurs ateliers… Cela n’a pourtant pas nuit à une bonne participation et des échanges riches, dont l’essentiel est retranscrit dans les lignes qui suivent.

Quatre questions en débat dans quatre ateliers aux JE

  • Quel regard global portons-nous sur les jeunes (comportement, façon de vivre, rapport à la société) ?
  • Quel regard portons-nous sur l’engagement des jeunes dans la société ?
  • Quel regard portons-nous sur l’engagement des jeunes dans l’entreprise ?
  • Quel regard portons-nous sur l’engagement des jeunes syndiqués dans la vie syndicale ?

Comparées aux générations précédentes, les comportements, aujourd’hui, semblent davantage influencés par les nouvelles technologies de l’information. Les jeunes zappent et apparaissent plus individualistes, plus consommateurs. Ces attitudes creusent le fossé générationnel. Ils paraissent vivre plus que leurs aînés dans l’instant présent, parce que, souvent, ils n’ont pas de réelles possibilités de se projeter dans l’avenir, du fait de la précarité, généralement non choisie, de leur statut professionnel. Les mouvements récents (Zone A Défendre, Nuit Debout) semblent indiquer qu’ils cherchent à inventer de nouveaux cadres et de nouveaux moyens d’expression à leur(s) opposition(s). Leur volonté de transformer la société s’exprime surtout par une volonté de changer leur mode de vie. Cela passe davantage par des formes d’organisation qui leur sont propres, plutôt que par des structures plus anciennes, trop institutionnalisées à leur goût.

Si leurs engagements apparaissent souvent peu durables, alors même qu’ils sont exprimés avec une certaine intensité, ils semblent guidés soit par un intérêt immédiat soit par une efficacité concrète. Finalement, le regard que nous portons sur leur rapport au politique est très diversifié. Plusieurs de ces constats sont vécus comme des obstacles pour améliorer le rapport
des jeunes à l’action syndicale et à l’échange avec les syndicalistes. La diversité des milieux sociaux, dont sont issus les jeunes qui arrivent dans nos entreprises, traduit également une diversité dans leur rapport au travail. Par exemple, ils sont moins hostiles au travail du dimanche et/ou au paiement d’heures supplémentaires que leurs aînés. Ils adhèrent plus spontanément au télétravail et semblent moins attachés aux horaires collectifs ou aux liens sociaux dans l’entreprise. Somme toute, leur rapport au management n’est-il pas plus décomplexé et émancipé que le nôtre ?

Les jeunes éprouvent des difficultés à se retrouver dans nos grandes entreprises. La complexité de leur organisation, la prégnance de cultures souvent anciennes représentent des valeurs peu parlantes pour eux. C’est par exemple le cas pour la notion de service public.

A la recherche de l’équilibre des temps

Ils expriment assez largement leur aspiration à trouver un équilibre entre temps de travail et vie personnelle. S’ils paraissent ne pas chercher de liens sociaux dans l’entreprise, ils les développent très largement en dehors, y compris même avec certains de leurs collègues. L’entreprise n’est pas vécue comme un lieu d’épanouissement social ou de réalisation de soi. La précarité de l’emploi, de plus en plus longue en début de carrière, fait obstacle à leur engagement, ensuite, dans l’entreprise et entrave leur prise en compte de la dimension collective du travail. Ils paraissent s’adapter plus facilement au culte de l’urgence, prégnante dans nos entreprises et cèdent plus facilement à la mise en concurrence.

La CGT n’a pas une bonne image

Certains se déclarent prêts à s’investir dans un syndicat, mais de façon ponctuelle et n’en revendiquent pas en retour d’avantages particuliers. D’autres vont même jusqu’à considérer comme une forme de « compromission », les avantages et moyens accordés à leurs aînés. Les modes de décision et les pratiques de la CGT ne répondent souvent pas à leurs exigences. Le caractère éphémère de leur engagement dans la vie syndicale est vécu négativement par des militants plus aguerris. A l’image de leurs ainés et suivant leur statut socio-professionnel (cadre,
maîtrise…), les jeunes n’ont pas le même engagement syndical.

Jeunes cadres, ils craignent que leur engagement syndical cause préjudice à leur carrière. Les différences d’adhésion des jeunes aux différents modes d’action semblent plus marquées entre cadre et non cadre. Ils doutent plus que leurs aînés de l’efficacité de la grève et des grandes manifestations. Paradoxalement, ils revendiquent une plus grande visibilité de leurs actions. Certains vont jusqu’à trouver que les modes d’actions proposées par la CGT sont trop « corrects ».

Quelques pistes… peut-être

Au-delà de la prise de conscience, quelques pistes émergent des ateliers comme par exemple la nécessité de leur accorder davantage de place, ainsi mettre en valeur l’efficacité de l’action syndicale, de l’organisation des salariés et de la transmission des savoirs syndicaux. L’efficacité de la communication et son adaptation aux pratiques actuelles sont avancées comme un levier d’action possible.

Augmenter notre niveau de confiance à leur égard, accepter et prendre en compte leurs critiques apparaissent comme nécessaire. Donc, rénover nos pratiques et peut-être bousculer nos modes de fonctionnement pour tenir compte des revendications qui leurs sont propres. Pour de nombreux participants aux ateliers il faudrait réellement intégrer les jeunes en co-responsabilité et rendre visible ce que l’on arrive à faire pour eux et avec eux.

Quand la sociologie fait écho

Les propos et les constats échangés font en grande partie écho aux travaux menés par l’équipe de l’IRES. L’écologie, l’alimentation issue de la culture biologique, la défiance vis-à-vis de la production intensive, sont identifiés par l’IRES comme des leviers d’engagement chez les jeunes. Marcus Kahmann pose la question suivante : « le syndicalisme ne doit-il pas travailler le lien entre ces nouvelles préoccupations et la place du travail et de l’emploi ? ». La distance plus grande des jeunes avec le cadre collectif et l’entreprise amène à s’interroger sur les thèmes mis en avant par les syndicalistes CGT : service public, nationalisation, entreprises intégrées…

Rendre visible ce que l’on arrive à faire pour eux et avec eux

Par ailleurs, le contexte de l’allongement des études et des périodes de précarité dans l’emploi impose probablement de développer une présence auprès des jeunes sur les campus universitaires et dans les entreprises auprès des salariés en contrat précaire.

Et si nous nous mettions en capacité de leur proposer des formes d’engagement adaptées à leurs statuts ?

Note
1.Voir Eclairages, revue de l’IRES, N° 10 « Pourquoi les jeunes salariés sont-ils moins syndiqués ? » et N°11 « Quels engagements syndicaux pour les jeunes » de mai 2018, rapport d’étude « Jeunes et mouvement syndical Trajectoires d’engagements et stratégies organisationnelles » de janvier 2018.

 

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