Souveraineté énergique et traitement des déchets

Toute production d’énergie génère des déchets. Dans le contexte actuel, quelle place pour le nucléaire ?

En France, le nucléaire, souvent décrié, reste au cœur du débat et fournit environ 70 % de l’électricité. Il reste un atout stratégique pour garantir une énergie décarbonée, pilotable et compétitive. Le choix de relancer la filière nucléaire, lors du discours à Belfort d’E. Macron en 2022, repose sur ce constat. Mais de multiples enjeux sont liés à la durée de vie du parc, au développement de nouveaux réacteurs et à la gestion des déchets.

La France a fait le choix historique de retraiter ses combustibles usés

Cela économise ainsi 20 % d’uranium naturel tout en évitant un stockage direct de matières valorisables. François Sudreau, chef du programme « Cycle Nucléaire » au CEA, indique qu’aujourd’hui 96 % de la matière est recyclée à l’usine de La Hague, et seuls 4% des déchets sont vitrifiés et stockés en profondeur car très radioactifs. Et si le mono-recyclage du plutonium, recyclé une seule fois, offre déjà des gains, le multi-recyclage permettrait d’atteindre 40 % d’économie, soit 40% en moins de besoin d’uranium naturel. Mais ce processus consistant à recycler plusieurs fois la matière (à ne pas confondre avec les déchets non-recyclables), n’est pas encore possible à l’usine de La Hague. Vincent Berger, Haut-Commissaire au CEA, précise que cette perspective exige du temps, des investissements massifs dans la recherche, et surtout une stabilité, une continuité politique… Car les « stop and go » récurrents sur le nucléaire ont affaibli la filière, creusé un déficit de compétences, notamment lors du grand « stop » que fut l’accident de Fukushima en 2011.

96 % de la matière est recyclée

Il faut des perspectives long terme

Et elles se construisent, heureusement, depuis 2020, « avec une dynamique qui sera bénéfique aux travailleurs » explique Guillaume Bouyt, sous-directeur de l’industrie Nucléaire à la Direction Générale Energie et Climat qui ajoute que : « C’est aux populations de décider de maintenir le cap du nucléaire, sur le long terme ».

De nouveaux projets et innovations

Le programme France 2030 soutient l’émergence de petits réacteurs modulaires (SMR) et de technologies innovantes sur les réacteurs à neutrons rapides, refroidis au sodium, au plomb ou au sel fondu. Le but est de produire une chaleur industrielle, de faire de la cogénération… Onze projets sont actuellement financés, portés par des consor­tiums publics-privés et des start-ups. Ces initiatives sti­mulent l’innovation et attirent de nouveaux talents selon les intervenants. Mais où est la garantie de sûreté avec des start-up interroge la CGT… François Sudreau répond que plus on sollicite de cerveaux pour réfléchir, pour faire de la R&D, et plus on avance. Pour lui, cette recherche des start-up n’est pas perdue et permettra de démontrer que le multi-recyclage fonctionne, ce qui poussera à la bonne décision politique. Car cette nouvelle technologie sera ab­solument essentielle d’ici 2038 pour les futurs EPR2.

L’attractivité du nucléaire et sa planification souffrent de l’instabilité politique

Le prolongement du parc actuel jusqu’à 60, voire 80 ans comme aux Etats-Unis, constitue aussi un enjeu majeur. Tout comme la construction annoncée de six réacteurs EPR2 : un chantier inédit depuis des décennies qui néces­site le recrutement de plus de 100 000 professionnels dans les 10 prochaines années. Mais la filière souffre d’une image d’instabilité liée aux « stop and go » purement politiques, ce qui fragilise la planification et l’attractivité des métiers.

De plus, la perception sociale reste ambivalente : environ la moitié des Français se disent favorables au nucléaire,

mais Tchernobyl et Fukushima continuent de peser sur l’opinion. Et comme les débats sur la durée de vie des cen­trales, le choix des technologies et la gestion des déchets sont rarement relayés avec la profondeur nécessaire dans les médias, cela accentue la défiance.

Une souveraineté à construire

Tous les intervenants soulignent que le nucléaire n’est pas une solution isolée, mais une composante d’un mix éner­gétique diversifié, où l’électrification des usages (trans­ port, industrie, chauffage…) jouera un rôle clé. Mais la vé­ritable souveraineté de la France repose sur sa capacité à planifier, de manière stable et cohérente sur le long terme, à sécuriser ses approvisionnements en uranium, tout en développant le retraitement et le recyclage, à maintenir des compétences industrielles et scientifiques, sans ou­blier d’impliquer les citoyens dans un débat démocratique sur les choix énergétiques.

Plus rien ne fonctionne quand il y a coupure d’électricité

Car cette souveraineté énergétique ne pourra se construire que sur un équilibre subtil entre continuité technologique, innovation, sobriété et volonté politique. N’oublions pas qu’aujourd’hui, en cas de coupure d’élec­ tricité, plus rien ne fonctionne : ni réseau, ni commerce, ni transport… Plus rien ! Nous sommes dépendants et il faut en prendre conscience. Fort de son potentiel de recyclage et de sa faible empreinte carbone, le nucléaire apparaît comme un pilier de cette stratégie, à condition d’être intégré dans une vision de long terme qui dépasse les alternances politiques, et sous réserve de prendre en compte l’ensemble du cycle : des mines jusqu’au stockage final des déchets.

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