32h sur 4 jours, c’est le sens de l’histoire !

Fruit de décennies de luttes sociales, la réduction du temps de travail, bien que marquée par une série d’avancées et de retours en arrière, s’inscrit globalement dans une tendance continue.

Aujourd’hui, la durée annuelle du travail se situe autour de 1 500 heures, alors qu’elle était d’environ 3 000 heures en 1840. C’est une estimation, mais il en ressort grosso modo une division par deux de la durée dutravail entre 1840 et aujourd’hui. Pour autant, cette dynamique n’est pas continue. L’histoire du temps detravail est marquée par une série d’avancées et de retours en arrière.

Par exemple, la loi de 1936 sur les 40 heures sera suspendue par les décrets Reynaud de 1938, puis annuléepar Vichy en 1941, pour être finalement restaurée en 1946. Aujourd’hui, on observerait même une tendance à l’augmentation de la durée du travail via, notamment le forfait jour et le recul de l’âge du départ à la retraite.

 

Et si l’on remonte plus loin ?

Au moyen âge, la population était agricole à plus de 90 %. Elle vivait au rythme des saisons, de la lumière du soleil. Ainsi, on pourrait penser qu’en dehors de quelques périodes de travail intense, agriculteurs et artisans ne travaillaient pas nécessairement tous les jours, ni toute la journée.

 

Le temps discipline : qu’est-ce que c’est ?

Le XVIIIème siècle a vu arriver l’industrialisation et l’heure, jusque-là indiquée par la hauteur du soleil, estdevenue un chiffre donné par les horloges. Cette époque voit apparaitre une nouvelle organisation de la journée de travail, caractérisée par la spécialisation des tâches, la verticalité des organisations, l’abandonprogressif du travail à domicile… La présence de l’horloge sur le lieu de travail, dans le village et à la maison estun signe – en même temps qu’un élément clé de cette dynamique

– de la fonction du découpage temporel objectivé, et de sa maîtrise par le patronat, dans un type nouveau deproduction et de travail. Le « temps-horloge » va petit à petit s’imposer et remplacer le « temps-nature » qui régentait jusqu’alors les journées de travail.

La révolution industrielle était ainsi corrélative d’une nouvelle conception du temps dans laquelle celui-ci doit être maîtrisé, optimisé. De l’organisation du travail à la planification des loisirs, de l’exploitation del’espace à la conception du quotidien, ce sont toutes les structures de la société capitaliste moderne qui sont nées desrouages du temps mesuré.

Edward P. Thompson, historien britannique, a mis en évidence les lois inhérentes au processus d’industrialisation au XVIIIème et les moyens utilisés pour l’imposer en Europe.

Ainsi, il s’est attaché à montrer comment le développement du capitalisme fut intrinsèquement lié à lamise en place d’une discipline temporelle du travail, grâce à l’introduction d’horaires stricts etréguliers.

A partir des très nombreuses scènes de vie quotidienne retrouvées dans les archives, l’historien a retracé la véritable « offensive » idéologique lancée par les entrepreneurs, dès la fin du XVIIème siècle « contre les vieilles habitudes de travail ».

D’innombrables moralistes louent alors l’établissement d’une « gestion du temps »au nom d’un mercantilisme agrémenté de considérations religieuses. L’école apprend également à observer dès le plus jeune âge une sévère discipline quant aux horaires, que résume l’adage : « L’oisiveté, mère de tous les vices ! » Thompson note ainsi que le puritanisme, en s’alliant par un « mariage de raison » au capitalisme industriel, a appris aux individus à attacher de nouvelles valeurs au temps, et martelé dans l’esprit des individus « l’équation terme à terme entre temps et argent ».

 

Industrialisation et progrès technique vont-ils toujours de pair ?

Travail à l’usine, développement des machines, croissance industrielle : ce sont les grands traits qu’on retient généralement de la révolution industrielle des XVIIIème et XIXème siècles. Mais, reprenant l’expression forgée par le démographe japonais Akira Hayami, l’historien Jan de Vries a développé l’idée d’une « révolution industrieuse » qui aurait saisi l’Europe bien avant les premières machines : l’augmentation de l’offre de travail salarié au sein des familles occidentales – hommes, femmes et enfants – aurait permis l’accroissement des productions sans changement deméthode de production ni innovation technologique majeure. Cette longue acculturation au travailaurait entraîné la hausse progressive des temps de travail qui atteignent vraisemblablement leurniveau maximal vers le milieu du XIXème siècle.

 

Le temps de travail, un axe revendicatif majeur au côté de la rémunération,de la protection sociale, des conditions de travail…

Les syndicats ouvriers ont tenu une position centrale dans la réduction du temps de travail. LaCGT jouera ainsi un rôle décisif dans l’adoption de la loi sur les 40 heures en 1936. En revanche, les organisations patronales ont montré une véritable constance dans l’opposition sur ce sujet aucours des deux derniers siècles.

Au cours du XXème siècle, la question de la durée du travail sera toujours accolée aux autres luttes importantes (salaire, conditions de travail, etc.). Du fait de l’hétérogénéité du salariat, laréduction du temps de travail a en effet rarement pu constituer, à elle seule, une base unificatrice demobilisation. L’histoire du temps de travail ne doit pas non plus manquer d’être croisée avec celle des conditions, de la charge, de l’organisation du travail, du temps libre, du chômage,etc.

En 1930, J.-M. Keynes écrivait que cent ans plus tard, grâce aux évolutions techniques (gains deproductivité), la semaine de 15 heures suffirait à produire les richesses alors nécessaires à l’homme.Cet objectif d’une semaine de 15 heures de travail est peut-être plus lointain que 2030. Pour autant,remarquons qu’une telle durée hebdomadaire moyenne correspondrait à une durée annuelle de800 heures dont se sont rapprochés certains pays industrialisés et riches dans lesquels la duréeannuelle est autour de 1 400 heures. Sur la période la plus récente, cette tendance à la réduction dutemps de travail semble stoppée dans de nombreux pays, voire parfois inversée.

L’histoire du temps de travail se révèle riche d’enseignements, dans un contexte de mutations dutravail avec en point de mire des enjeux énormes autour de l’intégration du numérique et des gainsde productivité, de la généralisation massive du télétravail, de la mise en place du forfait jour, durecul de la mesure du temps de travail et de la déshumanisation des lieux de travail (flex offices).

 

Paradoxe de l’histoire :

Pendant la révolution industrielle, les employeurs ont instauréla mesure du temps de travail pour l’augmenter, enl’élargissant même aux enfants et aux femmes sous payés.

Aujourd’hui, après des siècles de luttes sociales pour fairebaisser le temps de travail, le réglementer et l’humaniser, lesemployeurs reviennent à la charge et voudraient le faireaugmenter en ne le comptant plus.

Ils cassent les horloges !

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