L’envers du décor de cette « mutation » financière bien plus qu’industrielle
ENGIE engage sa transformation industrielle, au nom de la transition énergétique et de la performance, sous la novlangue : simplification, recentrage, nouvelles trajectoires… pour passer sous silence les emplois supprimés, les services qui ferment et les salariés écartés !
Une onde de choc silencieuse mais profonde
Neutralité carbone en 2045, production massive de bio méthane, leadership européen sur les infrastructures locales décarbonées… l’entreprise ambitionne de devenir “la meilleure utility de la transition énergétique” à l’horizon 2030. Mais la réalité sociale est hélas tout autre : fermetures de sites, cessions d’entités, des métiers entiers basculent dans la catégorie “en décroissance”, et des milliers de salariés sont ballottés entre incertitude, injonctions à la mobilité et disparition annoncée de leur poste.
Face à l’urgence climatique qui est réelle, la mutation stratégique d’ENGIE interroge sur ses modalités. Car si le virage énergétique semble s’accélérer, c’est le social, son identité du passé, qui en fait les frais.
Ambition verte mais social sombre avec recomposition brutale de l’organisation
En se fixant la neutralité carbone en 2045, ENGIE ambitionne de basculer de la fourniture classique de gaz puis d’électricité, vers des infrastructures locales décarbonées, les réseaux intelligents, les énergies renouvelables et les services d’efficacité énergétique. Des orientations stratégiques 2025-2027 et des ambitions industrielles détaillées au CSEC de mars : biométhane, hydrogène vert, stockage, services B2C, pilotage décentralisé et digitalisation accrue. Sous couvert de recentrage, de rationalisation et d’optimisation, le Groupe a engagé depuis 2024 une série de cessions et restructurations à un rythme soutenu. Ainsi GEPSA, Airport & Logistics Services, Mes Dépanneurs, EVBox ont quitté le périmètre et Teksial, Habitat Presto, MyPower, Siradel… sont sur le départ avec un projet de réduction de l’effectif à 70 000 salariés, contre plus de 100 000 par le passé.
Cessions, restructurations, et perte de 30 000 salariés !
Une gestion des emplois sous contrainte de décroissance
C’est dans ce contexte que s’inscrit la négociation d’un accord de Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels (GEPP), présenté comme un outil d’anticipation, mais qui, en fait, est un levier d’accompagnement des suppressions de postes. Le diagnostic emploi qui lui est associé classe les métiers en 5 catégories : croissance, transformation, tension, stabilité… et décroissance qui concerne à lui seul 21 % des effectifs, contre 3 % pour les métiers en croissance.
3 % des métiers et effectifs en croissance contre 21 % en décroissance
Parmi les métiers les plus exposés : finance, RH, achats, logistique, développement, digital. Ces métiers « support » pourtant primordiaux pour l’entreprise, sont jugés « opti misâmes » au regard des logiques de mutualisation, de centralisation ou d’automatisation par l’IA. La transformation numérique tend à les comprimer, alors même qu’ils sont essentiels pour le lien social et la conduite de projets complexes.
Le diagnostic emploi montre la faiblesse des métiers identifiés comme porteurs
Des conséquences juridiques et statutaires et des collectifs de travail mis à mal
Le projet « Focus & Simplify » de réorganisation du siège de la GBU Local Energy Infrastructures est un cas d’école : 129 postes à supprimer pour n’en créer que 17, soit 14 % de réduction nette des effectifs. Les directions les plus touchées sont le développement (- 39 %) et les ressources humaines (- 33 %), pourtant en première ligne pour accompagner les mutations, avec comme logique de supprimer les niveaux intermédiaires, regrouper les fonctions support, standardiser les processus, avec des transferts de postes d’ENGIE SA vers Engie Energies Services, ce qui fait changer d’employeur sans consentement explicite des salariés. Quelle application du statut des IEG et quelle pérennité des garanties sociales associées ?
Un choc silencieux pour les collectifs de travail
L’âge moyen des 18 740 salariés concernés par ce GEPP est de 44 ans (12 ans d’ancienneté), ce qui accentue encore les effets délétères de cette transformation. D’autant que les postes en décroissance se concentrent souvent sur des salariés de plus de 45 ans, peu mobiles, fortement enracinés dans leurs fonctions. Par exemple, sur les métiers financiers en décroissance (près de 500 salariés), la moyenne d’âge est de 46 ans pour une ancienneté de 14 ans. Quelles perspectives réelles de reconversion pour ces populations ?
Face à cette réalité, l’entreprise évoque des dispositifs d’accompagnement : reclassements internes, passerelles métiers, formations, appuis psychologiques, Rupture Conventionnelle Collective… Mais le diagnostic emploi ne laisse guère de doutes sur la faiblesse des métiers identifiés comme porteurs. A moyen terme, la GEPP se traduira par des mobilités contraintes, des départs subis, et un affaiblissement de la richesse humaine du groupe.
Une logique budgétaire mais pas industrielle Par cette transformation, ENGIE veut répondre au défi climatique tout en accroissant sa performance financière.
L’objectif est clair : 10 Md € d’investissements/an, dont 80 % alignés sur la taxonomie verte, avec réduction de la dette nette de 2 Md € et des coûts opérationnels (OPEX) de 0,5 Md € d’ici 2028.
Conséquence : réduction drastique des niveaux hiérarchiques, chasse aux “dépenses non essentielles” (voyages, consultants…), pression sur les managers de proximité… C’est un recentrage drastique des investissements sur les projets rentables très rapidement ou liés aux activités cœur.
Pour la CGT, une contre-stratégie ambitieuse s’impose face à cette trajectoire déjà engagée
Il faut une autre vision du travail et de la transition car la GEPP est totalement détournée de sa vocation initiale : c’est un simple levier de « gestion sociale de la décroissance », sans véritable ambition d’accompagnement des transformations. La CGT pointe l’absence de projection qualitative des métiers, la faiblesse des dispositifs de développement des compétences et l’effacement progressif de certaines expertises. Elle exige la continuité des droits, la reconnaissance du travail réel et de véritables parcours professionnels. Car aucune transition ne peut se faire sans les travailleurs, et l’histoire montre que toutes les précédentes ont assuré un équilibre (fragile) entre innovation et justice sociale. ENGIE, depuis trop longtemps asphyxiée par sa logique de performance actionnariale, oublie le social inscrit dans ses gênes. Aucune décarbonation ne réussira sans l’adhésion, la compétence et l’engagement des femmes et des hommes pour la porter.
Aucune transition ne peut se faire sans l’engagement des femmes et des hommes pour la porter
La transition énergétique n’est pas qu’un défi technologique, c’est un enjeu social et de société. Et si ENGIE veut rester un acteur « utile », elle doit réconcilier ambition climatique et engagements sociaux. C’est là que se joue sa légitimité dans cette transition.