Le patronat, ainsi que certains gouvernements et économistes voient dans la réduction du temps de travail, une utopie qui risquerait selon eux d’aggraver la situation économique. La France notamment travaillerait moins que les autres pays.
Ce n’est pas la première fois que l’on entend ce discours, mais pourquoi le marteler autant ? Qu’en est-il réellement ?
Les discours dominants cherchent à imposer une forme de « culpabilisation » des travailleurs en France. La réalité est pourtant toute autre. Cette question est posée dans de très nombreux pays, sous des formes et sous des contours qui peuvent certes paraître un peu différents, mais partout la tendance est la même : celle d’une diminution du temps de travail. La grande question actuelle au niveau international devrait être celle de la « convergence » des normes liées au travail.
En 2020, les salariés français ont travaillé 36,5 heures par semaine, selon une étude de la Dares publiée en juillet 2021. En 1990, la durée moyenne était de 37,5 heures. La durée du temps de travail est relativement stable depuis 20 ans, voire en légère augmentation depuis 7 ans. On peut donc voir que malgré le passage aux 35 heures en 1998, le temps de travail hebdomadaire n’a pas chuté.
Les cadres appartiennent à la catégorie socioprofessionnelle dont la durée du temps de travail augmente le plus. Au total 39% des cadres déclarent travailler plus de 45 heures hebdomadaires, la moyenne s’établissant à 44,30 heures. Le forfait jours participe à cette tendance et cela va à l’encontre de leurs aspirations à plus d’équilibre entre leur vie privée et professionnelle, et à une meilleure qualité de vie au travail. Il faut donc réinterroger les organisations du travail, le mode de management (délais de réalisation de plus en plus courts, objectifs de plus en plus déconnectés de la réalité…), la charge de travail et son évaluation au regard des moyens dont on dispose.
Mais qu’en est-il chez nos voisins ?
Si les salariés français travaillent en moyenne autant voire plus que leurs voisins, c’est en partie dû aux salariés à temps partiel (choisis ou contraints) qui travaillent largement plus (23,7 heures en moyenne contre 20,9 en moyenne pour les pays dans l’UE). La prise en compte des saisonniers, très nombreux dans les pays touristiques comme la France, contribue à faire chuter la moyenne du temps de travail annuel. Enfin, ces comparaisons tiennent compte du nombre de jours non travaillés comme les congés payés et les jours fériés, qui diffèrent d’un pays à l’autre.
Si l’on examine la productivité de la main-d’œuvre par personne occupée et heure travaillée, qui élimine les différences entre temps plein et tems partiel, les chiffres sont plutôt à l’avantage de la France et la positionnerait au 5ème rang en 2020 sur la productivité horaire. Si l’Irlande est loin devant, la France fait mieux que l’Allemagne. Cette productivité est d’ailleurs reconnue à l’étranger. Selon l’hebdomadaire The Economist : « les Français pourraient être en congés le vendredi, ils produiraient encore davantage que les Britanniques en une semaine ».
Expérimentation et débuts prometteurs dans de nombreux pays
De nombreux pays, par exemple l’Islande, l’Irlande, la Finlande, l’Allemagne ou encore le Japon expérimentent la semaine à 4 jours (avec maintien du salaire).
En Irlande, le syndicat Fórsa accroît sa coopération avec les employeurs et les ONG dans le but d’arriver à un accord sur une semaine de 4 jours de travail sans perte de salaire ou de productivité.
Au Royaume-Uni, l’idée d’une semaine de 4 jours bénéficie d’un large soutien et fait son chemin. Un sondage publié en 2020 révélait que 63 % de la population britannique y était favorable sans diminution de salaire. En Allemagne, la crise sanitaire et économique a relancé le débat sur la réduction du temps de travail. Pour préserver les emplois dans l’industrie, le syndicat IG Metall propose de passer à la semaine de 4 jours. La mise en place de cette semaine de 32 heures permettrait de sauvegarder et créer de l’emploi rapidement et massivement. En Espagne pour vérifier la faisabilité, l’expérimentation va durer 3 ans à partir de janvier 2022 et concernera 200 entreprises volontaires (cela pourrait représenter entre 3000 et 6 000 salariés, selon les informations du journal espagnol El Confidencial). L’essai a déjà été concluant dans l’entreprise Delsol située en Andalousie (181 salariés).
Travailler moins permet d’être plus productif
Les expériences déjà réalisées dans ces nombreux pays sur une population plus ou moins importante prouvent que le salarié a gagné en équilibre personnel. Et l’équation est sans appel : un salarié heureux est un salarié productif. L’expérience réalisée en Islande entre 2017 et 2019 du passage à 4 jours par semaine n’a entraîné aucune baisse de la productivité. Bien au contraire ! Et la réduction induite de l’absentéisme contribue aussi à une meilleure productivité. Les salariés ont continué de produire autant voire plus ! C’est exactement ce que montre les expériences françaises : celle de Bosch Rexroth à Venissieux depuis 1998, qui s’est accompagnée de recrutements et d’une hausse des investissements, et celle plus récente de LDLC, entreprise lyonnaise de vente en ligne de produits informatiques, qui vient d’acter, sous l’impulsion d’ailleurs de son patron, le passage à 32h de ses salariés.
D’autres choix sont possibles
Plus il y aura d’expérimentations concluantes à grande échelle et meilleures seront les chances de transformer l’essai. Les entreprises et les gouvernements doivent assumer leur part : embaucher plus pour réellement partager le travail, travailler sur les organisations pour la répartition de la charge de travail par binômes notamment, reconstituer des collectifs plus étoffés et plus solides, et assurer une politique salariale permettant de garantir le maintien du salaire dans le temps.