Plus d’un tiers des salarié.e.s se connectent à distance pour travailler en vacances, selon une étude menée mi-juillet et publiée par le site d’évaluation des entreprises Glassdoor. Un nouveau terme est d’ailleurs en train de voir le jour pour illustrer ce concept : « les tracances », contraction du mot travail et vacances, un mélange peut-être utile, mais surtout très risqué entre vie privée et vie professionnelle. Pourquoi a-t-on tant de mal à couper, à laisser nos boites mail fermées et autres smartphones en veille le temps des congés ?
Pas si simple de déconnecter !
Une des explications tient au rapport que nous entretenons avec notre travail, l’importance que nous accordons à notre activité professionnelle : atteindre nos objectifs, mener à bien les missions dont nous avons la charge, rester disponible pour l’équipe en cas de besoin, se tenir informé… Ce serait notre fameuse « conscience professionnelle » qui nous empêcherait de décrocher même pendant les congés. Mais est-ce la seule raison ?
Depuis une vingtaine d’années, nous sommes aussi devenus des prisonniers volontaires des techniques de communication, à tel point que nos smartphones sont parfois des prolongements de nos corps physiques. S’imagine-t-on sans smartphone ? Comment faisions-nous pour vivre avant ? Et comme il est naturel d’être tout le temps connecté, on travaille en dehors de nos horaires de travail non pour le plaisir, mais souvent par peur de passer à côté d’une information, d’être submergé dès notre retour, au point de perdre tout le bénéfice des vacances.
La charge et l’organisation du travail en cause
Malgré notre attachement à nos métiers, c’est la charge individuelle de travail, son organisation collective souvent mal calibrée et la pression sociale qui restent les enjeux principaux. Les gestions purement financières et court-termistes des entreprises, qui consistent à faire toujours plus avec toujours moins, les cultures d’entreprise très françaises fondées sur le présentéisme et la surconnexion impliquent de devoir travailler bien au-delà des horaires légaux.
L’enquête Via Voice Ufict réalisée en novembre 2021 auprès d’un échantillon représentatif de 4000 cadres indique que près de la moitié des Ingénieurs, Cadres et Techniciens évaluent leur temps de travail à plus de 45 heures par semaine. Ce phénomène n’est pas nouveau, mais il a été exacerbé par la généralisation du télétravail. Même si, pour beaucoup, ce dernier génère un sentiment de mieux pouvoir concilier vie privée et vie professionnelle, travailler à domicile a rendu la frontière beaucoup plus floue en incitant à se rendre encore plus disponible et à travailler davantage, conformément à l’objectif de nos hiérarchies, non clairement exprimé mais déchiffrable entre les lignes de nombre d’accords collectifs.
Risque de dégradation de la santé mentale
Ce présentéisme a des conséquences à plus ou moins long terme, tout particulièrement l’augmentation des risques psycho-sociaux, quand le.la salarié.e n’arrive plus à faire face aux sollicitations incessantes. Dans les cas extrêmes, c’est le burn-out, avec des incapacités de travail de longue durée. Une situation totalement contre-productive, y compris pour la hiérarchie ! En conclusion de son évaluation, Glassdoor établit un pont entre le non-respect des temps de repos, la pression au travail et la dégradation de la santé mentale des salarié.e.s. Au cours des douze derniers mois, la plateforme observe une augmentation de 159 % de l’usage du terme « burn-out ».
C’est la responsabilité de l’employeur d’encadrer ces pratiques et de mettre en place un véritable droit à la déconnexion, et des organisations du travail permettant aux salarié.e.s de l’appliquer.
Gagner un vrai droit à la déconnexion
Le droit à la déconnexion figure bien dans le Code du travail, depuis 2017, mais ses modalités ne sont pas précisées par la loi. Pire, il n’a même pas de définition claire et précise (même s’il faut reconnaitre que l’exercice n’est pas simple !).
Ainsi, à l’exception de quelques très rares entreprises, les accords en vigueur ne sont aucunement contraignants pour les employeurs. Nos établissements n’échappent pas à la règle, et les accords signés ou en cours de négociation se limitent le plus souvent à des engagements de « sensibilisation » des salariés aux usages des outils numériques ou à des « chartes des bonnes pratiques » ! Ils ne représentent en rien une véritable solution et renvoient systématiquement la responsabilité unique de la déconnexion aux salarié.e.s.
C’est en termes de charge et d’organisation du travail qu’il faut poser le débat, avec des propositions ambitieuses :
– Faire établir un bilan des temps de travail, volumes et amplitudes de connexion au Système Informatique.
– Mesurer la charge de travail effective sans la renvoyer à la seule responsabilité du manager et constituer les équipes en conséquence.
– Créer au sein des équipes des systèmes de binôme ou de back up.
– Organiser le stockage automatique des mails en période de congés ou le week-end pour ne pas être inondé à son retour.
– Mettre en place des fenêtres d’alerte à l’agent s’il envoie un mail au-delà d’une certaine heure.
– Faire inscrire dans les accords un droit de recours du salarié pour acter de la responsabilité de l’employeur.
– Règlementer les WhatsApp professionnels !