EPR2 : Déjà un an de retard

Un projet très mal engagé à court terme et qui oublie le moyen et long terme !

Dès 2011, un Nouveau Modèle (NM) de réacteur, supposé plus simple et moins cher, est conçu pour succéder à T EPR1 Mais cet EPR NM est finalement rem­ placé par un nouveau modèle EPR2, issu d’une collaboration entre EDF et FRA­MATOME (FRA) pour coûter encore moins cher, à partir de nouvelles exigences et options de sûreté2, mais sans aboutir pour autant à un avant- projet figé et solide !

Le « Basic design » EPR2 (les grandes options retenues) est supposé validé et a été livré aux équipes d’ingénierie d’EDF et à sa filiale Edvance à l’automne 2022. Mais les premières études, sur la configuration des bâtiments, sur les gros composants font apparaître des impossibilités de construction et d’installation : un seul plancher, problème du radier et du récupérateur de corium…
À la suite des alertes répétées des techniciens experts du domaine, questionnant des choix validés dans des phases amont plusieurs années auparavant, les unités d’ingénierie d’EDF se sont dotées de revues de maturité, pour statuer sur l’état des points ouverts et l’opportunité d’engager les étapes suivantes, notamment le démarrage des études détaillées.

Le résultat est un retard annoncé « officiellement » d’un an, mais ce n’est qu’un début au vu des difficultés vécues par les salariés de l’ingénierie…

Une multiplication de projets sans priorisation

Les équipes travaillent sur beaucoup trop de projets en parallèle3… tout cela crée une dispersion des ressources avec des experts qui sont obligés de papillonner sur différents sujets.

Le pilotage par les délais entraîne des défauts de qualité des livrables

De plus, le pilotage par les délais entraîne des défauts de qualité des livrables (parfois sans véritables cahiers des charges en amont !). Et la diversité des contrats de travail complexifie l’ensemble, avec des mises à disposition par les maisons mères EDF et FRA de salariés coincés professionnellement dans la filiale Edvance (vu que leur activité n’existe plus dans leurs maisons mères)… sachant que cette filiale embauche aussi directement, sous une convention moins-disante BETIC (de la branche SYNTEC).

Les aspects juridiques de Propriété Intellectuelle (PIDU) pèsent sur les effets de série, sur la valorisation du REX et sur la maîtrise de l’activité et le travail au quotidien des équipes. Il faudrait mettre davantage de ressources et du temps dans la préparation des contrats pour éviter les surcoûts et retards en phase de mise en œuvre.

Des difficultés en cascade

Les réorganisations sont permanentes et la gestion en mode projets, à court termes, sous forme de task-force ou de plateau n’arrange rien. D’autant que s’y rajoute un déménagement de Paris à Lyon, avec télétravail et flex-office à la clé, sans que la logistique ne suive : bâtiments en location et livrés au fil de l’eau, avec des opérations tiroirs au fur et à mesure des arrivées sur les sites, restauration méridienne sous dimensionnée…

Si la réorganisation de l’ensemble de l’ingénierie va vite et semble s’orienter vers une vraie direction d’ingénierie, rien n’est encore vraiment fait à part des rattachements administratifs différents, avec des conséquences sur les salariés : temps de travail, localisation, périmètre d’acti­vité, management, mobilité, évolution de carrière… avec des IRP dispersées1 2 3 4. Et que dire de la sous-traitance accrue (prêt de main-d’œuvre?) sur des activités qui sont pé­rennes ? Certains prestataires assurent les mêmes activités depuis des dizaines d’années, quand d’autres ne sont pas assez expérimentés pour embrasser l’ensemble de la pro­blématique ! Et si les embauches sont massives, ce sont des jeunes qu’il faut former, encadrer, sans qu’aucun véritable plan de compétence n’y soit associé.

La transformation numérique n’aide pas non plus

Alors qu’elle était censée simplifier le travail des ingé­nieurs et techniciens, elle s’avère être un échec. Même les directions avouent que l’évolution de la productivité des études est estimée à… 0,8, et encore, grâce à des solutions de contournement pour réussir à produire les livrables.

La transformation numérique s’avère un échec

Car, si reprendre tels quels des outils numériques (CAO) et des méthodes issues d’autres filières industrielles (aéro­nautique et automobile) était supposé sortir de l’artisa­nat et industrialiser l’ingénierie nucléaire, il n’en est rien, car le nucléaire est en fait plus proche des procédés des chimistes et des pétroliers… En fait, le but véritable est de pouvoir utiliser, à moindre coût, des ressources de ca­ binets d’études et d’ingénierie œuvrant dans ces filières.

Cela ressemble donc beaucoup soit à de l’amateurisme, soit à de l’attentisme, même si la direction communique de façon agressive pour motiver les salariés et exerce une pression pour qu’ils respectent des délais intenables, tout en les culpabilisant sur les retards dans les études et sur les lancements des projets de construction…

Des solutions existent pourtant, comme des embauches massives au statut!

D’abord il faudrait figer les options et s’en tenir à des élé­ments validés, aussi bien en termes technologiques que de conception ou de suivi de règles d’ingénierie, alors que rien ne semble complètement défini et que tout évolue en permanence. Ensuite, fixer des priorités, en se concentrant sur le renouvellement du parc français et les 6 tranches EPR2 déjà prévues, tout en « finalisant » proprement Flamanville 3. A l’international, il faudrait se limiter à de la veille active, transférer les études HPC à la succursale an­glaise d’Edvance UK EPR-E, sinon la France risque d’être trop sollicitée en back-up à chaque nouvelle question de l’autorité de sûreté anglaise.

La priorité : se concentrer sur le renouvellement du parc français

Il faudrait aussi figer les organisations de travail et les in­terfaces (qui fait quoi), arrêter l’externalisation et la filiali­sation de l’ingénierie, et abaisser le niveau des contrats de sous-traitance, notamment en cessant tout prêt de main- d’œuvre. 11 faut aussi uniformiser les contrats de travail vers le mieux disant, avec un statut d’énergéticien qui soit proposé à l’ensemble des salariés permanents de la filière.

C’est possible, mais ça ne se réalise qu’au cas par cas, et cela limiterait le turn-over important, en mutant d’un contrat Framatome ou Edvance vers EDF par exemple.

Il faut aussi stopper l’externalisation et la filialisation

Enfin il faudrait embaucher massivement au statut des IEG, avec des plans de formation et de déroulement de carrière. Car les besoins dans cette filière sont énormes en nombre et sur plusieurs générations (3 ou 4 au vu de la centaine d’années à prendre en compte). Car il faut déjà compter a minima 30 ou 40 ans de travail pour cette première phase de construction et de mise en service.

Mais les premières embauches sont difficiles car EDF n’est plus attractif pour les jeunes. Certains envisagent EDF comme un marchepied vers d’autres grosses entreprises d’ingénierie… qui payent mieux !

 

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1. 4 tranches EPR sont en exploitation (2 à Taishan en Chine, une à Olkiluoto en Finlande, et Flamanville 3 en cours de mise en service), et 2 tranches sont en construction à Hinkley Point en Angleterre (avec 2 autres en projet à Sizewell toujours en recherche de financement).
2. Les derniers jalons d’exclusion de rupture sur une partie du primaire ont été validés par l’ASN en 2021 et la maintenance préventive, tranche en marche, a été abandonnée (fini les « two rooms »), 3 boucles de sauvegarde (2+1) et non plus 4…
3. sur EPR2 (1 600 MW), sur l EPR 1 200 MW pour la Tchéquie (avec 3 boucles primaires et non 4), sur FLA3, sur HPC, sur l’Inde (Jaïtapur 6 EPR), sur leSMR Nuward (160 MW) qui, lui aussi, change de design.
4. Comment réaliser un entretien annuel (EAP) quand votre manager n’appar­ tient pas à votre entreprise et n’a donc pas la main, ni la connaissance, des règles RH particulières vous concernant ?

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