FAUT-IL AVOIR PEUR DU TRANSPORT DES MATIERES NUCLEAIRES

(Options n°641 – novembre 2018)

Pour mettre en difficulté la filière nucléaire, les transports, omniprésents durant tout le cycle de vie, représentent une cible de choix.

Du sac à main de Marie Curie au colis CASTOR

A Drancy, Seine-Saint-Denis, l’une des dernières grandes gares de triage en France, 23 décembre 2013, 16h30. Le wagon est sorti de ses rails et s’affale sur le bas-côté. Des riverains observent la scène. C’est par la presse qu’ils apprennent, les jours suivants, que le ventre capitonné de ce wagon couvre un emballage de transport de type CASTOR chargé de colis de déchets nucléaires (voir encadré).
Plus de quinze millions de colis de marchandises dangereuses sillonnent les routes et les voies ferrées de France. Près d’un million d’entre eux sont des colis nucléaires au sens large ce qui représente environ 800 000 transports chaque année. 85 % de ces substances radioactives sont le produit des activités nucléaires médicales et de recherche. Pour ces déchets-là, qui relèvent des catégories dites de très faible activité (TFA) et de faible activité (FA), des exutoires de stockage existent et leur transport recèle peu de difficulté et/ou de danger particulier. En revanche, les 15 % restants concernent des produits liés au cycle du combustible nucléaire, dont des déchets à Haute Activité et Vie Longue (HAVL).
Actuellement, 4 500 transports, dont un bon millier venant de l’étranger ou à destination de l’étranger, sont le fait de l’industrie nucléaire civile. 300 d’entre eux concernent le combustible neuf, 250 les expéditions d’uranium sous forme fluorée, 200 les combustibles usés, 60 le plutonium et 30 le combustible MOX. Il est loin le temps où Marie Curie circulait dans Paris avec, enveloppé au fond de son sac à main, le produit de ses recherches sur le radium.

Livrer, fabriquer, retraiter, acheminer

L’uranium minéral (U), un élément naturel, abondant dans la croûte terrestre, se trouve partout à l’état de trace, y compris dans l’eau de mer. Son seul isotope fissile, le 235U, compte pour 0,7% de sa masse, mais l’énergie libérée par la fission est plus d’un million fois supérieure à celle libérée par les combustibles fossiles. Ce qui justifie son utilisation pour produire de l’énergie à grande échelle.
Le cycle de vie de l’uranium témoigne d’une intense activité transport. Sous forme de minerai, il est débarqué dans les ports du Havre (Seine-Maritime) et de Sète (Hérault) en provenance du Niger, d’Australie, du Canada et du Kazakhstan. Il est ensuite transporté vers les usines d’extraction, de conversion et d’enrichissement afin de devenir de la matière première servant à la fabrication du combustible dans des ateliers dédiés. Une fois transformé en crayons de combustible, l’uranium prend la route en direction des 58 réacteurs répartis sur le territoire français.
Ensuite, une partie des combustibles usés sera transportée des Centres Nucléaires de Production d’Electricité (CNPE) vers le centre de retraitement des déchets de La Hague dans la Manche, lieu vers lequel convergent aussi d’Europe et du Japon d’autres convois de combustible nucléaire usagé. Une fois retraité, la matière fissile, cette fois composée de l’uranium et du plutonium produits au cours du premier cycle de combustion, rejoindra l’usine Melox de Marcoule dans le Gard pour fabriquer le combustible MOX.
Dès lors, on comprend bien que les transports de matières nucléaires sont une activité indispensable, par le simple fait que les installations liées aux différentes phases du cycle ne se trouvent pas sur un même lieu. Il faut donc acheminer les matières vers les différentes installations pour faire fonctionner le cycle. Autant dire que l’acceptabilité sociétale du nucléaire passe par la démonstration que les transports nucléaires, source potentielle de risques, sont extrêmement bien maîtrisés.

Gainage, étanchéité, confinement

A la différence des activités nucléaires qui se déroulent à l’écart, dans des installations sécurisées et dimensionnées en fonction des risques encourus, les transports de matières nucléaires sont au contact direct de la population puisqu’ils empruntent routes, lignes de chemin de fer, bateaux sur les fleuves et les mers. La crainte est donc l’exposition du public et de l’environnement au risque d’irradiation et de contamination en cas d’accident de transport.
En termes de sûreté nucléaire, les transports adoptent la même stratégie de défense pour protéger l’homme et l’environnement que les centrales nucléaires, à savoir la multiplication des barrières entre la matière fissile et l’extérieur, en fonction de la dangerosité du contenu à transporter.
Prenons l’exemple d’un transport de combustible usé : la première barrière considérée est la gaine du crayon. Puis, les crayons sont placés dans un colis de transport étanche qui constitue la deuxième barrière. Enfin, troisième barrière, les colis sont placés dans un emballage de transport, de conception très robuste, qui doit assurer le confinement des matières en cas d’accident, si les deux premières barrières s’avéraient défaillantes. En conséquence les emballages de transport pour matières nucléaires sont un concentré d’acier, de plomb et de technicité afin de garantir, en toute circonstance, le respect de la réglementation en termes de protection des êtres humains et de l’environnement.
Les barrières de radioprotection ont été dimensionnées par rapport au contenu à transporter. Le risque de dissémination de matières nucléaires sous forme de gaz ou de poudres fines est maîtrisé par une étanchéité très poussée. Enfin, le risque de détérioration mécanique de l’enveloppe suite à une chute, un incendie ou une détonation interne est pris en compte lors de la phase de conception (voir encadré).

Aucun accident de transport avec impact radiologique ne s’est jamais produit en France

Avant de délivrer une autorisation de transport, les autorités de sûreté nucléaire (IRSN : Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire et ASN : Autorité de sûreté nucléaire) examinent très scrupuleusement tous les aspects touchant à la protection des travailleurs en contact direct avec les emballages de transport, et plus globalement, à la protection de la population et de l’environnement (voir encadré).
Si l’occurrence d’un accident ne peut jamais être exclue de façon définitive, il faut reconnaître qu’en ce qui concerne les équipements de transport, la prévention a été poussée très loin. Et le fait est qu’aucun accident de transport avec impact radiologique ne s’est jamais produit en France depuis le début de l’exploitation du parc nucléaire. A la gare de triage de Drancy, pas plus qu’ailleurs, ni au moment de l’accident, ni après. Si l’on suit attentivement la presse et les associations écologistes, on s’aperçoit que deux types de transports nucléaires sont plus particulièrement sous le feu des projecteurs : les transports de combustible usé et les transports de déchets.

Une activité de transport soutenue

La France a fait le choix de retraiter en partie son combustible usé, afin d’en extraire les fractions d’uranium et de plutonium (produit au cours de la combustion en réacteur) et qui sont réutilisables, et de les mélanger à de la matière fraîche pour fabriquer de nouveaux crayons de combustible. On parle alors d’un combustible MOX désignant ce mélange d’oxydes d’uranium et de plutonium.
Avec la filière actuelle de réacteurs électrogènes, les Réacteurs à Eau Pressurisée ou REP, ce cycle de retraitement ne fonctionne qu’une fois ; l’accumulation de poisons neutroniques, qui empêche la réaction de fission en réacteur, rendant inopérant le multi-recyclage.
Le retraitement du combustible usé représente un atout, car il participe à la maîtrise du stock de plutonium sous forme de combustible usé à l’échelle nationale, ainsi qu’à la maîtrise du risque face à des actes de malveillance. En contrepartie, le retraitement entraîne une activité de transports nucléaires soutenue : acheminement du combustible vers La Hague, acheminement des matières issues du retraitement vers MELOX, l’usine de fabrication du combustible MOX, puis acheminement du combustible MOX vers les réacteurs. Sachant que cette activité de transports nucléaires est très encadré et surveillé, le risque qu’elle pourrait faire courir à la population et à l’environnement devient soutenable.
Lors du transport d’un reliquat de combustible KNK-2 (réacteur expérimental allemand servant à configurer la filière à neutrons rapides allemande et équivalent du réacteur expérimental français RAPSODIE situé à Cadarache), provisoirement entreposé au CEA de Cadarache-Aix-en-Provence, à destination de l’entrepôt nucléaire de Lubmin en bordure de la mer baltique, un dosimètre a été placé à l’endroit le plus proche des emballages, dans le wagon transportant le personnel. Après quatre jours de trajet, la dose enregistrée, cumulée, équivalait à une radiographie dentaire. Lors du retour du personnel, effectué par avion, le même dosimètre a enregistré sur le vol reliant Berlin à Marseille, soit moins de quatre heures, l’équivalent de deux radiographies dentaires en rayonnement cosmique…
Tous les pays n’ayant pas fait le choix de retraiter leur combustible usé doivent stocker des quantités croissantes de ce combustible, soit dans des piscines dédiées, soit dans des emballages de transport d’un type particulier. En effet ces emballages servent d’abord, et pendant une cinquantaine d’années, à un stockage provisoire du combustible directement sur site. Ils ne serviront qu’à un transport unique sur voie publique pour acheminer le combustible usé directement vers l’exutoire définitif… Lorsque ce dernier aura été décidé. Au final, quelle différence avec des transports de grandes quantités de pétrole ou de gaz inflammables sous pression (hydrogène par exemple), qui sont sur la voie publique tous les jours, sans susciter d’émotion particulière ?

Privatisation de la SNCF : ne pas fragiliser les dispositifs de sûreté existants

Dans le domaine du transport de matières radioactives, l’expéditeur est le premier responsable de la sûreté au cours de l’acheminement et non le transporteur. Le choix du mode de transport dépend d’un ensemble conjugué de facteurs. « Il est choisi en fonction des infrastructures existantes, des risques encourus, de la masse du colis, de l’activité et de la période de demi-vie de la matière radioactive, de la distance à parcourir, du nombre de manipulations nécessaires et des risques de vol ou de détournement » écrit l’IRSN.
L’avion est par exemple très utilisé pour le transport de colis urgents de petite taille et sur de longues distances (comme les produits radio pharmaceutiques à courte durée de vie). Le transport maritime, des navires « équipés de dispositifs spéciaux et redondants comme une double coque, des systèmes de détection et d’extinction d’incendie et des radars anti collision » représente, toujours selon l’IRSN, 4 % de la totalité des transports de matières radioactives. La route est privilégiée pour la livraison de la plupart des colis de produits pharmaceutiques et de sources médicales aux hôpitaux. Moyen de transport souple, elle peut aussi être couplée au chemin de fer dans certains cas. Les chauffeurs disposent d’une habilitation Radio Protection, d’un suivi médical particulier, d’une formation et de qualifications spécifiques.
Le rail, moyen de transport très sûr pour les convois hors gabarit, « est choisi en priorité pour les colis lourds ou encombrants dès lors qu’il existe une liaison ferroviaire disponible » dixit l’IRSN. Les projets de privatisation de la filiale fret de la SNCF, actuellement à l’étude, pourraient fragiliser les dispositifs de sûreté mis en place et éprouvés depuis des décennies. Pour la FNME CGT et son Ufict, la tutelle publique est un garant de la sûreté et pour l’opinion, un gage de transparence et d’acceptabilité. ■

La tutelle publique est un garant de la sûreté et un gage de transparence et d’acceptabilité

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