Nucléaire : quel avenir ?

[Options 655 – Mars 2020 – Dossier p7-11]

En 2019 la consommation brute d’électricité a été de 474 TWh en baisse de 1 % par rapport à 2018 (températures plus douces et moindre croissance économique). Le nucléaire a produit 70.6 % de cette électricité fortement décarbonnée (Bilan RTE 2019) et à un coût très compétitif. Pourtant Bruxelles rechigne à considérer nos 57 centrales nucléaires, fleuron de l’industrie française, comme bas carbone (débat sur la taxonomie), tout comme l’État français qui reporte sa décision sur le renouvellement du parc. Ce dossier Options se penche sur la filière nucléaire qui n’a pas souvent bonne presse en France, mais qui a toujours un avenir, malgré une réduction à 50 % du mix électrique en 2035.

Préparer un avenir durable à la filière nucléaire française 

Le prototype industriel EPR de Flamanville (FLA3) devait être le fer de lance du nucléaire civil Made in France. Or, dès les phases de conception, la CGT avait alerté sur des plannings et des coûts irréalistes. « Dérives inacceptables », le « nucléaire ne doit pas être un état dans l’État »… le Ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire n’a pas mâché ses mots pour qualifier les déboires de l’EPR, même si, dixit le Ministre, c’est bien l’absence de vison stratégique des responsables politiques qui est inacceptable… 

La CGT ne peut tolérer l’opprobre jeté sur les salariés d’EDF et d’Areva (redevenue Framatome). Ils ont subi transformations, réductions d’effectifs et plans de départs volontaires, sous-investissements depuis les années 2000, totalement à contresens d’une logique industrielle et de développement des compétences… et ils continuent à se démener pour solder les travaux de l’EPR. C’est suite à cela que JB Lévy, PDG d’EDF, a demandé à Jean-Martin Folz, ex-président de Peugeot, un audit sur FLA3. 

Une filière essentielle 

De la conception à la réalisation, le nucléaire est essentiel pour la sécurité d’approvisionnement d’électricité du pays et en tant que moyen pilotable de production d’électricité (alors que les variations de charges sont de plus en plus fortes avec les EnR intermittentes). Mais cela doit se faire sous contrôle d’une entreprise de service public de l’énergie, intégrée, avec EDF architecte-ensemblier de réacteurs mais aussi exploitant. 

Il est indéniable que le nucléaire souffre d’une succession de non-qualités industrielles, certaines récentes (soudures FLA3), d’autres héritées de pratiques plus anciennes. 

Les dirigeants, focalisés sur les indicateurs de performance financière, ont négligé l’expertise, ont remplacé la maîtrise industrielle par la sous-traitance, ont supprimé le contrôle qualité au profit de stratégies d’achats impitoyables, battant en brèche les partenariats industriels, avec l’illusion que des contrats âprement spécifiés et négociés compenseraient cela… ils ont fait fausse route ! 

La mise en débat des conditions dans lesquelles ces failles ont existé, doit permettre aux salariés de reprendre confiance dans la maîtrise collective d’un travail de qualité. Il s’agit aussi d’y inclure une relation plus constructive entre l’exploitant, les personnels, l’ASN dans une démarche sûreté pro-active. 

Rapport Folz : troisième du genre en 8 ans 

Ce rapport appelle un travail de long terme autour de trois plans d’actions en cours d’élaboration : un principal sur la fin de réalisation du chantier de Flamanville, un spécifique HPC (GB) et un dernier sur les modalités de mise en oeuvre au sein de la filière afin de reconquérir les capacités industrielles indispensables au renouvellement du parc actuel. Six thématiques y seront déployées : Compétences, Maîtrise de la qualité industrielle, Gouvernance du projet, Ingénierie, Transition numérique, ASN. 

C’est un rapport sur mesure pour son commanditaire (JBL) qui s’inscrit sans surprise dans le droit fil des dirigeants actuels d’EDF sur la « gouvernance du projet ». Sur le diagnostic, rien de nouveau pour la CGT, il souscrit à nos analyses sur les besoins de formation et d’accompagnement des salariés aux métiers de l’industrie (soudure, tuyauterie…), mais il omet pour partie les problématiques liées au changement de contexte (passage d’EPIC en SA d’EDF), aux évolutions réglementaires (codes et standards) et la dégradation du tissu industriel depuis les années 1990 : le poids de l’industrie a été divisé par deux dans le PIB. 

Une entreprise étendue où chacun travaille de son côté 

Pour démontrer que la direction d’EDF a pris la mesure de la tâche, Folz souligne les efforts sur les outils et méthodes indispensables au management d’un projet d’envergure… mais pour autant les compétences transverses et d’architecte-ensemblier sont loin du niveau de la construction du parc actuel. 

Désormais, l’organisation des activités est établie dans le cadre d’une entreprise étendue : groupe, filiales, sous-traitance… Par exemple, concernant les études, chacun travaille de son côté, quitte à devoir recommencer plusieurs fois pour tenir le planning. Ces dysfonctionnements concernent l’ensemble des acteurs pour les nouveaux projets comme pour le parc en exploitation ! 

Cette filière de long terme doit être appréhendée dans sa globalité avec évolution en profondeur des modes de coopération et de dialogue, à tous les niveaux afin d’atteindre des objectifs partagés. Les compétences et l’engagement des salariés sont à valoriser avec aussi un effort majeur de formation et de recrutement dans les trois collèges. 

Même réduit à 50 % le nucléaire français a un avenir 

Le nucléaire, avec un tissu industriel garantissant un haut niveau de sûreté, sera toujours indispensable. Il faut abandonner les tribulations géopolitiques, dogmes financiers court-termistes et reprendre en main notre indépendance énergétique en préservant EDF – menacée de démantèlement avec HERCULE – et plus globalement notre industrie, en redonnant à Framatome, GE et aux centaines d’entreprises stratégiques (tuyauteurs, robinetiers, filtreurs, pompistes, instrumenteurs…) une vision stratégique fiable, émancipée de la reconduction des mandats de l’État comme à EDF. Il ne faut pas reproduire le cas de la branche énergie d’Alstom ! 

La réussite de la construction du parc futur, comme par le passé, c’est un programme de long terme, un tissu industriel solide avec des coopérations garantissant un développement à grande échelle sur le territoire. Être un bon architecte-ensemblier nécessite des foisonnements de compétences dans toute l’ingénierie hydraulique, thermique… sous couvert d’une même direction intégrée : totalement à l’opposé du projet HERCULE et des tergiversations gouvernementales qui ont abouti à 20 années de moratoire ! 

Les propositions pragmatiques et humbles de la CGT 

En effet, la situation est complexe. Sur les compétences, la CGT propose de rouvrir des écoles de métiers qui font encore référence d’excellence pour l’exploitation des parcs de production, de développer et de revaloriser des métiers techniques (soudeurs, chaudronniers…), de rétablir les priorités Qualité/Délais/Coûts et d’abandonner le Lean Management. Sur l’ingénierie, outre des recrutements massifs, la CGT revendique aussi des postes de chargés d’affaires occupés par des agents avec une expérience de terrain. La CGT souhaite aussi faire évoluer le périmètre Maîtrise d’oeuvre/Maîtrise d’ouvrage et obtenir de nouveaux droits d’intervention pour les représentants des salariés pour peser sur les choix stratégiques des entreprises. 

En s’appuyant sur les qualités des salariés du secteur, la CGT s’engagera à leur côté pour progresser, dans la durée, donner un avenir au secteur énergétique et reconquérir des capacités industrielles en France. 

Fermeture de Fessenheim : un authentique scandale ! 

Telle a été la réaction d’Yves Bréchet, membre de l’Académie des sciences et ancien haut-commissaire à l’énergie atomique (CEA) : extraits*. 

Alors que le vendredi 21 février, EDF procédait à la première phase de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, Yves Bréchet écrivait aux députés de l’Assemblée Nationale. 

« Mesdames, Messieurs les Députés, 

… Je considère qu’après l’arrêt de la filière à neutrons rapides, la fermeture sans justification autre que clientéliste de la centrale de Fessenheim est un authentique scandale. Si ça se passait aux Etats Unis, on saisirait la cour suprême pour abus de l’Etat. 

La filière nucléaire est la propriété des citoyens, elle a été construite, financée par des emprunts qui ont été remboursés (au contraire de la gabegie signalée par la cour des comptes concernant les ENR). Il est proprement scandaleux, comme citoyen et comme ingénieur, de voir avec quelle légèreté on détruit ce bien commun. 

Je vous prie d’agréer… » 

« Au-delà de la controverse pro/anti-nucléaire, le traitement de ces salariés méprisés et jetés comme des kleenex, manoeuvrés comme des pions sur un échiquier par les politiques, est simplement indigne. » 

« Il n’y a aucun sens du point de vue du bien public à arrêter un outil industriel amorti, dont la sûreté est garantie par l’ASN indépendante, et qui fournit de l’électricité décarbonée. » 

« Il relève de la forfaiture de dire que la perte d’emplois sera compensée par les activités de démantèlement… Il faut dix fois moins de personnel, sur une durée du même ordre de grandeur, pour démanteler une centrale ou pour la faire fonctionner. » 

« Il est insensé de prendre de telles décisions avant d’avoir mis en place les dispositifs de remplacement qui permettent d’assurer la fourniture d’électricité pilotable. Il est inconscient de penser s’appuyer sur nos voisins qui ont bien du mal à gérer l’intermittence de leur parc de renouvelables. » 

« Si on rajoute à cela les indemnités de fermeture anticipée à verser aux actionnaires, indemnités justement prévues par la loi pour que l’État ne puisse se permettre de spolier sans contrôle ni vergogne, y compris les actionnaires allemands et suisses, on converge vers le grand n’importe quoi du point de vue du bien commun. » 

« Il est temps de faire un parallèle évident avec d’autres fermetures d’usines rentables dans d’autres secteurs industriels, pour le seul profit à court terme des actionnaires. La différence est que le maître à servir ici n’est pas l’actionnaire, mais l’électorat vert qu’on espère attirer par cette décision absurde… une logique de « banquier électoral »… Raymond Aron avait défini ce style de politiques : « Ils sont faits pour la conquête du pouvoir, pas pour son exercice » ». 

 

5 points d’attention relevés par la CGT dans le rapport 2019 de l’Inspecteur Général pour la Sûreté Nucléaire et la Radioprotection en complément de la conclusion sur 

l’importance de la CONTINUITÉ : 

• Quels sont les critères de fin de vie d’une centrale ? 

• Inflation des textes concernant le nucléaire : trop de priorités 

• Culture EDF : se questionner au-delà du réglementaire 

• Incendie : en progrès mais mérite une attention particulière 

• Ingénierie : besoins durables pour le parc en exploitation mais trop de sous-traitance 

 

* : https://revue-progressistes.org/2020/02/21/fermeture-de-fessenheim-une-forfaiture-yves-brechet/

 

« Nucléaire » : un mot désormais banni au cea ? 

Pour la première fois dans l’histoire du CEA, le mot nucléaire a disparu des voeux de l’Administrateur Général.

Ces voeux définissent les orientations de l’organisme pour l’année à venir et si l’on y décèle une activité nucléaire autour de la dissuasion, pas un mot par contre sur la mort du projet ASTRID à la fin de l’année, ni sur le RJH* et les grands jalons à respecter en 2020 dans le cadre du plan de sauvetage du projet de construction (sa poursuite à terme n’est pas assurée aujourd’hui au-delà du 1er octobre 2020, date à laquelle le premier ministre doit se prononcer sur la poursuite). Pas un mot non plus sur les activités d’assainissement/démantèlement qui sont en train de prendre le dessus sur les activités de R&D dans le domaine nucléaire, ni sur la direction de l’Energie Nucléaire qui sera dissoute en début d’année pour « planquer » ses activités dans une direction des Energies, au nom d’une approche globale. 

Pour cet Administrateur Général, le CEA actuel n’apparait plus comme un acteur majeur de la filière industrielle du nucléaire civil, il en oublie les contributions majeures et enterre toute filière d’avenir. Va-t-il un jour changer encore de nom et ne plus faire référence qu’aux énergies alternatives ? 

Beaucoup de salariés ont été choqués 

En ne faisant aucune référence à ce qui se passe chez ses principaux partenaires industriels (ARENH, HERCULE pour EDF), le CEA feint d’ignorer ce qui forcément le touchera dans son activité nucléaire (ou ce qu’il en restera…) : un repli sur soi qui l’éloigne « du monde extérieur ». Il est urgent que les salariés comprennent qu’il existe un lien réel entre les déboires de la filière nucléaire et le déclin de la programmation R&D nucléaire au CEA… 

* : Réacteur de recherche Jules Horowitz sur les matériaux et les combustibles pour l’industrie électronucléaire et la médecine nucléaire 

 

Saclay, le 6 janvier 2020 

Madame, Monsieur, 

Permettez-moi de vous présenter mes meilleurs voeux pour l’année 2020. 

L’année qui vient de s’achever a été dense avec des jalons importants franchis. 

La stratégie d’ensemble du CEA est désormais posée et place notre organisme comme le pilier de la dissuasion dans le cadre de l’oeuvre commune, le catalyseur de la transition énergétique, un acteur clé de la transition numérique et le porteur d’une recherche d’excellence en soutien de ses missions, et enfin un promoteur de l’usage des technologies et de la maîtrise des données au service de la médecine du futur. 

Outre ces orientations scientifiques et techniques, quatre priorités transversales ont été définies. Un accent tout particulier doit être placé sur la sûreté et la sécurité. L’innovation doit être un des mots clés de notre action. La refonte des systèmes d’information est également indispensable, au service des équipes et de leur travail. Plus largement, nous devons veiller à inscrire l’action du CEA dans une stratégie internationale tirant mieux partie des atouts de l’organisme. 

Tout ceci ne saurait se faire sans une attention constante à nos compétences et à nos modes de travail. En effet, les évolutions pour l’organisme ne peuvent se réaliser que grâce à votre implication, à votre engagement au quotidien, chacune et chacun dans son domaine. Les défis relevés au cours de ces derniers mois n’ont pu l’être que grâce à vous. 

Nous préparons l’avenir de l’organisme afin que son excellence soit plus que jamais reconnue. Je sais que chacun aura à coeur d’y contribuer.. 

François Jacq, administrateur général du CEA 

 

http://www.cea.fr/ 

Commissariat à l’Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives 

Acteur majeur de la recherche, du développement et de l’innovation, le CEA intervient dans quatre domaines : la défense et la sécurité, les énergies bas-carbone (nucléaire et renouvelables), la recherche technologique pour l’industrie et la recherche fondamentale (sciences de la matière et sciences de la vie). 

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