Santé au travail et action syndicale

[Options n°651 – novembre 2019 – pages 14-15]

Moins de luttes collectives, plus de dossiers individuels : le travail syndical change de nature lui aussi.

Lorsque le salarié ne sait plus comment s’en sortir, il franchit la porte du local syndical à tel point qu’un camarade y a collé l’affichette « Psychologue ! ! ! ». Evidemment, les syndicalistes de proximité ne sont ni des psychologues ni des machines à accumuler le stress et le mal-être de salarié.e.s souvent en grande difficulté professionnelle. Peu formés, ils reçoivent de plein fouet les informations qu’ils.elles délivrent. Comment prendre le recul nécessaire pour à la fois digérer le malaise, réconforter ces collègues et les aider à trouver les solutions les moins mauvaises pour eux-mêmes ? Comment utiliser les paroles des salarié.e.s pour élaborer une réponse politique ?

Les maux confiés tiennent en quatre mots tout droit sortis du vocabulaire anglo-saxon : burn-out, bore-out, brown-out, bullshit jobs. Le burn-out, de loin le plus connu, résulte d’un « stress chronique au travail qui n’a pas été géré avec succès » [1]. Trois éléments le caractérisent : un sentiment d’épuisement, une vision cynique et / ou négative de son travail, une efficacité professionnelle réduite. Le bore-out sanctionne un syndrome d’ennui dû à une sous charge de travail. Le brown-out est déclenché par le manque de sens au travail qui découle soit d’un sentiment de lassitude soit de cynisme de la part de la personne qui en est victime. Le brown-out – littéralement, le manque de jus – relève de la démission mentale et du désengagement face au poste occupé. Enfin, le bullshit job ou « boulot à la con » désigne les tâches superficielles, improductives, vides de sens, de plus en plus nombreuses dans une société capitaliste qui produit de moins en moins [2]. Brown-out et « boulot à la con » se rejoignent en fin de compte pour désigner les symptômes dont souffrent des salarié.e.s qui ne comprennent plus leur travail et sa finalité [2].

Un isolement grandissant des salarié.e.s

Le nombre de démissions est croissant chez les nouveaux embauchés qui expliquent ne pas se retrouver dans les missions confiées et refusent l’absence de perspectives d’évolution. « Les directions préfèrent mettre en avant, de la part des démissionnaires, des souhaits de retour dans la région d’origine et / ou de rapprochements familiaux, plutôt que de reconnaître la démotivation comme source de démission » dixit un représentant syndical.

De plus, les nouvelles organisations de travail liées aux évolutions technologiques, mais surtout au profond désir patronal de modifier les méthodes de management, participent de la destruction des collectifs de travail. Les salarié.e.s deviennent des prestataires de service sans horaire et travaillant seuls. « Combien de fois par semaine j’entends parler de « clients » pour évoquer nos collègues de travail ! », réagit ce même représentant syndical. Travailler à l’isolement des salarié.e.s et au développement de leur faculté de compétition est un autre objectif patronal entrepris de longue haleine et qui porte ses fruits. Combien de collègues se sentent isolés, n’osent plus exprimer leur malaise et ne se sentent plus capables de venir sereinement au travail ?

D’autres facteurs génèrent des risques pour la santé mentale des salarié.e.s : le harcèlement, les humiliations et la dévalorisation (qu’ils viennent de pairs ou de la hiérarchie), de même que les compressions d’effectifs et les réorganisations continues qui marginalisent celles et ceux dans l’incapacité de suivre le rythme à un moment donné. Celles et ceux capables de les écouter, voire de les aider, sont également malmené.e.s par les modifications du code du travail destinées à affaiblir la défense du salarié. De la loi Rebsamen à la loi Macron en passant par la loi El Khomri, les assistants sociaux, les services de santé au travail, les syndicalistes disposent de moins en moins de moyens et de capacités d’intervention. Ils sont peu à peu rejetés dans une sorte d’invisibilité qui nuit à leur efficacité : leur considération baisse au sein de l’entreprise. Les assistants sociaux, prestataires souvent, plutôt que d’alerter sur des situations anormales préfèrent garder le silence par peur de représailles…

Ecouter, comprendre, entreprendre

Dans ce bouleversement profond du rapport au travail et au collectif de travail, les syndicalistes de terrain doivent trouver un chemin et des réponses. Confrontés à des salarié.e.s en détresse, il s’agit d’écouter, de prendre en considération la personne en souffrance assise devant soi. Poser quelques questions, mais sans doute pas trop, juste celles nécessaires à la compréhension du mal-être. Ne pas succomber sous le poids de l’émotion face à un collègue qui se met à pleurer ou s’énerve au fil des minutes. Bref, faire preuve de sang-froid et d’empathie tout en réfléchissant à une réponse allant bien au-delà du recueil de parole et de l’aiguillage vers telle ou telle consultation de santé. Surtout, ne pas laisser partir la personne sans prendre un nouveau rendez-vous, ou au moins son numéro de téléphone ; c’est la condition nécessaire pour maintenir un lien car la suite à donner est au moins aussi importante pour elle que pour l’organisation syndicale. C’est une réponse politique et des revendications élaborées à partir des difficultés observées qu’il va falloir mettre au point. Le rapport de force avec l’employeur repose sur la connaissance des situations vécues par les salarié.e.s et sur la capacité du syndicaliste à proposer des pistes de règlement.
Souvent, pour mettre fin à une situation de mal-être, l’unité propose la mutation du salarié concerné. Parfois, cette solution fonctionne, mais elle peut aussi aboutir à un simple report du problème dans le temps et ailleurs dans l’entreprise. Solution de facilité, elle évite l’analyse de la situation de souffrance et de ses causes. Or, c’est bien sur ce domaine que le syndicalisme de proximité doit travailler en proposant des pistes en matière de politique de prévention et d’organisation du travail au sein de l’unité. Chaque rencontre avec un.e salarié.e se transforme en nouveau savoir pour agir.

[1] Définition de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
[2] David Graeber, Bullshit jobs, Les liens qui libèrent, 2018.

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