[Options n°645 – mars 2019] Alors que la reconduction du PDG d’EDF Jean-Bernard Lévy est désormais actée, qu’est-ce qui se cache derrière sa nouvelle feuille de route ?
Les comptes d’EDF viennent d’être publiés et ils sont positifs pour 2018. Ils ont même été qualifiés de «rebond», mais à quel prix ? Salaires, emplois, service public en sont les victimes avec la vente du patrimoine qui s’est poursuivie (terminal méthanier de Dunkerque, immobilier…).
Beaucoup d’investissements en perspective
Pour prolonger et commencer à renouveler son parc nucléaire EDF devra investir des dizaines de Md€ ainsi que dans les énergies renouvelables. Mais son endettement actuel est déjà d’une trentaine de Md€ et pour les marchés financiers dépasser un ratio Dette/EBITDA de 2.5 est rédhibitoire (sans compter qu’une dizaine de Md€ supplémentaires de dettes sous forme d’hybrides ne sont pas pris en compte dans ce ratio) ! Or ces investissements étant à très long terme (plus de 60 ans de fonctionnement pour les futurs EPR), il est ridicule d’appliquer ces ratios financiers de court terme !
De grandes manœuvres se préparent
Et donc ressurgit un plan de séparation des activités d’EDF SA comme « la solution » (financière) au problème de la dette ! Cela pourrait consister à séparer des activités liées au parc nucléaire de celles liées aux autres activités d’EDF, comme ne plus détenir 100% d’ENEDIS, privatiser les services énergétiques… alors que la cession de 50% de RTE a déjà bien écorné le modèle gagnant
« d’entreprise intégrée » (voir encadré). Ce serait alors la mort de ce modèle, clé du succès d’EDF depuis plus de 70 ans.
L’entreprise intégrée : un atout majeur !
Face à ce charcutage, que pèserait une «nationalisation du nucléaire» si hydroélectricité, ingénierie, services supports, EDF Renouvelables, activités hors métropole… étaient émiettées en plusieurs sociétés, avec d’un côté des « investissements de très long terme » (nucléaire) et d’un autre des «investissements de plus court terme». Ce serait privatiser les activités rentables immédiatement donc « privatiser les gains », pour socialiser le reste ! A-t-on déjà oublié le scandale de la privatisation des autoroutes ?
A-t-on déjà oublié le scandale de la privatisation des autoroutes ?
Les marchés financiers ne manqueraient pas de se jeter sur les activités qui sont, soit subventionnées, soit régulées, et qui génèrent une rente sûre sans trop de capital ! Mais cela priverait EDF de ressources non soumises aux fluctuations du marché de l’énergie, alors que 2/3 de ses activités en pâtissent déjà et qui handicapent tout investissement à moyen et long terme. Car, contrairement à ce que l’Etat et EDF voudraient laisser croire, une séparation d’EDF en plusieurs entités ne faciliterait en rien les investissements futurs.
Maintenir EDF intégrée c’est optimiser les coûts au bénéfice des usagers, mutualiser les compétences, lancer des investissements industriels à long terme. L’ineptie de la séparation « Production-Transport » avec RTE montre bien toutes les limites d’un découpage de circonstance… pour récupérer ponctuellement quelques Md€ de cash.
Un coup de couteau dans « l’entreprise intégrée » EDF : la vente de 49.9% de RTE
Au fil des directives européennes, EDF a dû progressivement lâcher le contrôle du Gestionnaire du Réseau de Transport, pour laisser à RTE une autonomie de gestion de plus en plus grande… mais sans lâcher sa part de dividendes : une vision « 100% financière » de l’Entreprise Verticalement Intégrée. Le 31 mars 2017, EDF a cédé 49,9% du capital de RTE au travers d’une opération et un montage financier type LBO*, qui crée un endettement supplémentaire pénalisant ainsi le service public et l’investissement productif.
Fini les activités communes RTE/EDF (comptabilité, informatique, RH, achats…), chaque entité devant avoir ses propres services, et cela est même allé au-delà de l’exigé (cavalier seul, locaux distincts…). Terminé aussi toute recherche mutualisée : RTE a l’interdiction de confier ses activités R&D à EDF alors qu’EDF possède des laboratoires spécifiques et qu’aujourd’hui des études se font en doublons. Résultat : une dés-optimisation globale (économique, technique et environnementale) et un énorme gâchis, payé au final par les usagers du fait de la multiplication des coûts liés à la multiplication des acteurs.
* : Leveraged buyout : rachat d’une entreprise avec le moins de fonds propres (de capital en €) possibles
Le problème de tous les énergéticiens c’est le marché !
Les difficultés actuelles d’EDF sont principalement liées à la libéralisation des marchés de l’électricité, avec des prix de vente qui fluctuent au gré de l’offre et de la demande. Personne ne sait à quel prix sera vendu un kWh demain et cela pénalise tout investissement à moyen et long terme. Par contre, les activités renouvelables, dont le prix de vente est garanti, se portent très bien. Même si leur prix de revient est supérieur au prix de marché, elles bénéficient de contrats d’achats (généreux), fixés à l’avance et à prix fixe garanti.
Isoler le nucléaire des autres activités d’EDF serait un leurre : il ne se porterait pas mieux, bien au contraire, même si médias, Cour des Comptes, PPE… s’emploient à rendre inévitable des pseudos solutions pour soi-disant revitaliser EDF, dont la boussole est déjà trop guidée par les seuls intérêts financiers.
EDF : une entreprise pas comme les autres
L’énergie est un bien commun de première nécessité. EDF rassemble des métiers, des installations, un service public essentiel à la Nation. Quel serait le coût d’un black-out électrique pour la France ? Certains avancent une facture de 1% du PIB ? Quels moyens pour l’éviter avec des entités séparées ? Qui serait responsable ? EDF n’est pas la somme de «morceaux autoportants» qu’on pourrait jeter à droite à gauche en pâture au grand capital pour créer une holding !
La FNME CGT alerte
Personne ne sait à quel prix sera vendu un kWh demain et cela pénalise tout investissement à moyen et long terme
Découpages et pseudo-nationalisation du nucléaire ne pourraient être qu’un paravent de la désintégration de l’entreprise et de sa privatisation, avec pour conséquence que demain les agents d’EDF n’appartiendraient plus à la même entreprise. C’est à rapprocher de la stratégie des employeurs de la branche professionnelle des IEG ; ils veulent réduire la place du statut national des personnels en organisant le dumping social, avec la filialisation et la sous-traitance à outrance. Le scénario, type SNCF, avec une entité de tête et des filiales, conduirait à la disparition du statut national. De plus, il cache un autre « deal », où le PDG d’EDF engagerait la privatisation des concessions hydroélectriques, morcèlerait l’hydroélectricité et céderait au privé des ouvrages publics très rentables, amortis et financés par la Nation. Et ce, au mépris de la sécurité du système électrique, de sa sûreté et de l’intérêt général dans la gestion de la ressource en eau.
La FNME CGT exige donc de l’Etat un bilan sincère des 20 ans de dérégulation effrénée, le maintien de l’intégrité des activités d’EDF au sein d’une seule et même entreprise et préconise la mise en place d’un pôle public de l’énergie, monopole public, régulé, qui bénéficie aux usagers et à la Nation.
2019 : année charnière
Les élections au conseil d’administration EDF du 7 au 13 juin, suivies de celles des IRP au mois de novembre seront un des éléments déterminants du type d’entreprise que les salariés souhaitent pour le futur. Chaque voix de salarié pèsera pour préserver nos emplois et notre outil de travail et pour qu’usagers et salariés passent avant les marchés financiers !