Stoppons l’Arenh et Hercule

[Options N°650 – octobre 2019 – P 3-6] Petite histoire des tarifs et des prix de l’électricité, et décryptage sur la concurrence, la CRE, l’ARENH, le TURPE… Retour sur le passé et projection sur un futur menacé.

A la sortie de la 2ème guerre mondiale, l’énergie est essentielle pour redynamiser l’industrie, l’économie, le pays. Marcel Paul, résistant, déporté, alors Ministre de la production industrielle du gouvernement De Gaulle, conformément au programme du Conseil National de la Résistance, fait adopter la nationalisation de l’énergie le 8 avril 1946. 1 450 entreprises privées sont rachetées et indemnisées, jusqu’en 1996, pour créer deux établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) : EDF et GDF, 100% publics.

Un Service Public au grand bénéfice de tous

Chaque citoyen, rural ou urbain, bénéficie des mêmes tarifs de raccordement (en fonction de la distance entre l’habitat et le poste le plus proche). Les tarifs des kWh électriques et gaz sont fixés par le gouvernement afin de couvrir les coûts de production, de distribution et de commercialisation (peu de temps après apparaîtra le concept de « tarification au coût marginal » de Marcel Boiteux).
Durant 50 ans, ce système optimisé perdure, car il est :

  •  Economiquement compétitif : EDF et GDF font des bénéfices « raisonnables », uniquement destinés à couvrir les coûts et à répondre aux besoins des populations et des industries en pleine reconstruction.
  •  Techniquement hautement performant : au fil des décennies, le leadership de la France s’impose en matière de technologies de l’électricité et du gaz, appuyés par des politiques énergétiques essentielles à cette réussite.
  •  Durable : leur modèle social et économique, au service des citoyens et des entreprises, permet à tous un accès égal au gaz et à l’électricité. La desserte en électricité est une obligation dans le cadre d’un Service Public nationalisé.

Indépendance énergétique, électricité décarbonée avec EDF N°1 mondial

En 2010, contrainte par la loi NOME, et après d’âpres négociations, EDF doit céder 25% de sa production nucléaire française historique à ses concurrents : tous les fournisseurs qui en font la demande y ont droit au prix de 42€ le MWh pour un volume total plafonné dans la loi à 100 TWh. Les fournisseurs n’ont qu’à signer avec EDF un « accord-cadre » qui détermine le cadre général des ventes. Les prévisions détaillées et les droits calculés pour chaque fournisseur ne sont connus que par la Commission de Régulation de l’Energie ( CRE ). Cette ARENH était censée laisser le temps aux fournisseurs alternatifs de construire leurs propres moyens de production jusqu’à l’échéance de 2025. A ce jour, sauf à tirer des profits substantiels de ce dispositif, les concurrents n’ont rien construit, ou presque…

Des concurrents gagnants à tous les coups !

Les concurrents se fournissent sur le volume d’ARENH (à 42 €) ou bien sur le marché, si son prix est inférieur à l’ARENH. Pendant plusieurs années, les prix de marché ont été bien inférieurs à 42 €, incitant les concurrents à délaisser l’ARENH. Ils ont ainsi été en mesure de proposer des offres tarifaires inférieures au Tarif Réglementé (de 8 à 10 %), quitte à aller se fournir chez des producteurs beaucoup plus carbonés qu’EDF !
Quant à EDF Commerce, elle est seule à commercialiser le Tarif bleu Règlementé de Vente (TRV), lequel doit être fondé sur les prix de l’ARENH pour au moins 70% de son volume d’approvisionnement. Cette contrainte empêche mécaniquement EDF de pouvoir proposer des tarifs TRV plus avantageux que ses concurrents. En revanche, pour ses offres de marché, EDF se fournit sur le marché, d’où des marges financières bien moins importantes et qui lui font défaut pour investir dans de nouveaux moyens de production.
Les marges financières des concurrents ont coûté la bagatelle de 10 Md € à EDF dont 5 liés à la non revalorisation des 42 €… depuis 2010 !
Conséquence : EDF vend de l’électricité qui couvre à peine ses coûts, pendant que ses concurrents font un maximum de marge au dépend des usagers. Aujourd’hui, 25% des sites résidentiels sont en offre de marché, dans leur très grande majorité chez des concurrents d’EDF, et qui sont désormais plus de 160 acteurs !

Tarifs, prix… de quoi parle-t-on au juste ?

 

Le prix de l’électricité en France pour les particuliers reste très inférieur à celui des allemands

Les concurrents sont 10% moins chers ? MENSONGE !

Pour le client final, 2/3 du total de sa facture est identique, quel que soit son fournisseur. Car 2/3 sont composés des coûts d’acheminement et des taxes et c’est donc seulement sur 1/3 correspondant à la fourniture d’énergie, que la différence de prix entre fournisseurs peut s’opérer, soit quelques euros par mois…
Le fournisseur peut agir sur les coûts, et donc sur le prix final, grâce à deux leviers qui sont :

  • Les coûts d’approvisionnement : acheter les kWh au meilleur prix avant de les revendre.
  • Les coûts de commercialisation : les moyens qu’il utilise pour vendre l’énergie.

Stratégie d’EDF : suppressions d’emplois et dumping social

La stratégie d’EDF pour baisser ses coûts de commercialisation n’est pas nouvelle :

  • « Adaptation » de la masse salariale aux pertes de parts de marché : depuis 2007, les effectifs de la Direction Commerce ont diminué de 35%.
  • Externalisation des métiers au détriment d’emplois statutaires, pour baisser les coûts de main d’œuvre. A ce jour, 55% de l’activité relation client est sous-traitée.
  • Diminution des coûts annexes : fermeture des 165 boutiques (entre 2015 et 2018), fermeture d’environ 1/3 des Centres de Relation Clientèle pour regrouper les équipes et mutualiser les coûts.

Marché bas ou pas, le prix des factures, lui, augmente

Le consommateur final est lésé car les factures n’ont fait qu’augmenter, alors que la « concurrence était supposée faire baisser les prix ». Au travers de toutes ces règles, plus aberrantes les unes que les autres, le Tarif Réglementé de Vente peut donc mécaniquement être plus cher qu’une offre de marché proposée par la concurrence. Pourtant l’objectif du TRV est de garantir une maîtrise publique des tarifs. Il est donc urgent de modifier les règles actuelles, car elles favorisent bien trop la concurrence aux dépends d’EDF et des consommateurs.
Pour la CGT un TRV équilibré doit :

  • Protéger le consommateur en garantissant une certaine stabilité,
  • Permettre l’investissement durable,
  • Être contrôlé par un organisme pluraliste.

Un bilan qui s’aggraverait encore avec HERCULE

En 2018, les prix de marché ont fortement augmenté, bien au-delà des 42€, et les fournisseurs ont donc demandé un total de 133 TWh. La CRE a donc été contrainte d’appliquer un écrêtement à tous les fournisseurs. Sous la pression des concurrents, et la complicité de députés et sénateurs, la loi Energie Climat, adoptée fin septembre 2019 inclut la possibilité d’augmenter le volume d’ARENH à 150 TWh (soit 37,5% de la production d’EDF) ainsi que son prix. Mais le gouvernement vient d’indiquer qu’il n’opérerait aucune modification … pour le moment. En effet, la loi prévoit la possibilité de modifier l’ARENH (volume et prix) par arrêté, mais ne l’impose pas. Des évolutions des paramètres de l’ARENH nécessiteraient des échanges approfondis avec la Commission européenne, qui a considéré qu’un relèvement du volume à 150 TWh, même sans modification du prix, nécessitait une modification de sa décision de 2012 approuvant le dispositif ARENH.
En pratique, il semblait donc impossible d’obtenir cette validation avant le prochain guichet ARENH de novembre 2019.
Cela dit, ne soyons pas naïfs, ce n’est en fait qu’une question de temps… Pour les clients, la conséquence risque fort d’être une énième augmentation de la facture, car les concurrents étant contraints de se fournir, pour partie, sur le marché, qui est à ce jour supérieur au prix de l’ARENH, cela entraînera encore un relèvement des TRV électriques.
Hercule a pour objectif d’isoler la production nucléaire et l’hydraulique (avec tous les risques qui planent sur l’hydro si l’ouverture à la concurrence des concessions se mettait en place) et de privatiser tout le reste. EDF céderait sa production aux commercialisateurs, sans supprimer l’ARENH. Ce qui est rentable à court terme et sans risque : Enedis, Systèmes Energétiques Insulaires, Commerce, EDF Renouvelables, Dalkia … verraient leur capital ouvert à hauteur de 35% (pour commencer…). L’ouverture du capital de ces entités du Groupe devrait soi-disant permettre à EDF de « financer ses dettes ». Il est donc clairement question d’une grande privatisation d’EDF… 1 salarié sur 2 s’y est opposé lors de la grève du 19 septembre : ils ont clairement dit NON à Hercule !

Pour les usagers : des prix encore à la hausse

Il est probable, qu’à terme, le prix l’ARENH soit relevé (à 45 € le MWh ?). La capacité de financement d’EDF serait alors augmentée pour la production centralisée. Mais encore une fois ce seront les usagers qui paieront l’addition de la dérèglementation. Même si le TRV perdure, il sera augmenté en raison d’une revalorisation de l’ARENH et la Direction Commerce devra se battre pour limiter les pertes de parts de marché. Pourtant, quand on produit ce qu’on vend, on est plus rentable.
En revanche, si l’ARENH venait à être supprimé, cela n’entraînerait pas systématiquement la disparition des TRV : la CRE pourrait alors jouer son rôle et fixer un prix « protecteur ». Quant à EDF, elle pourrait toujours vendre ses kWh à qui elle veut, et au prix qu’elle veut dans certaines limites… et donc continuer à vendre à son commercialisateur propre qu’est la Direction Commerce.

Pour les salariés : menace sur les garanties collectives

Si de nombreuses entités EDF venaient à être filialisées, le risque serait grand de les voir fonctionner en Business Unit, comme cela s’est passé à Engie. Leur seul objectif serait alors, pour chacune, de maximiser ses profits sans se préoccuper de l’optimisation globale du groupe EDF.
Pourtant, l’optimisation globale d’un ensemble est supérieure à l’optimisation de chaque entité de cet ensemble. Tout comme l’intérêt général n’est jamais la somme de tous les intérêts particuliers. C’est par exemple le cas de l’activité Production / Commercialisation, dont les résultats sont aujourd’hui affichés groupés dans les comptes d’EDF et non pas séparés.
Socialement, l’addition serait lourde dans cet EDF explosé. Les conditions de travail s’en trouveraient dégradées pour maximiser les profits. Tous les accords collectifs seraient à renégocier avec des entités rabougries qui ne bénéficieraient plus du rapport de force pour peser sur les négociations. Les parcours professionnels seraient de moins en moins faciles, avec des passerelles entre entités de plus en plus fragiles.
Filialiser à tout va, en particulier la Direction Commerce, ce serait fragiliser encore un peu plus EDF, en la mettant au même rang que ses concurrents, à un moment où, avec les déboires à Flamanville et Hickley Point, l’urgence est plutôt de rassembler et de renforcer EDF en tant qu’entreprise publique intégrée…

Depuis 2007,
les effectifs de
la Direction
Commerce ont
diminué de 35%

« Il est clairement question d’une grande privatisation d’EDF »

 

 

 

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